Condamnation de la France pour traitements inhumains et dégradants et insuffisance des sanctions prononcées
Le jeudi 4 novembre 2010, la Convention européenne des droits de l’homme avait tout juste soixante ans.
Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi même, les juges ont décidé de faire un beau cadeau en rendant public un certain nombre d’arrêts.
Parmi ceux-là, il est à noter la condamnation à l’unanimité de la France pour traitements inhumains et dégradants lors d’un contrôle d’identité d’un mineur dans un commissariat et l’insuffisance de sanctions prononcées pour réprimer ces faits.
affaire DARRAJ contre France, 4 novembre 2010
Le 10 juillet 2001 vers 18 heures, lors d’un banal contrôle sur la voie publique, les forces de police remarquèrent deux jeunes individus entrain de descendre d’un véhicule immobilisé dont les fils du démarreur semblent sectionnés.
Ces derniers n’avaient pas leurs papiers d’identité sur eux ; ils furent alors conduit au commissariat d’Asnières-sur-Seine dans le cadre de l’application de la procédure de vérification d’identité prévue par l’article 72-3 du code de procédure pénale.
A peine deux heures plus tard, l’un des deux intéressés, âgé de 16 ans, fut transféré à l’hôpital pour être examiné par un médecin qui constata alors des "contusions du globe oculaire droit, du poignet et du dos, de multiples érosions cutanées du visage et du cou, de multiples hématomes du cuir chevelu" [ainsi qu’] une fracture du testicule droit avec contusions et hématomes."
Le lendemain, alors que le jeune homme dû être opéré d’urgence, le parquet de Nanterre saisit l’inspection générale des services de la préfecture de police d’une enquête sur ces faits ; et là, on en arriva à deux versions assez divergentes :
- selon les policiers, "ils aperçurent un véhicule qui gênait la circulation et, sans son conducteur à son bord, décidèrent de verbaliser. Ils demandèrent alors une pièce d’identité aux deux passagers de la voiture. Constatant que ces derniers n’avaient pas leurs papiers sur eux, et ne sachant pas si la voiture avait été volée, ils demandèrent aux deux mineurs de les suivre au commissariat. Pendant le trajet, les mineurs ne firent aucune résistance et restèrent très calmes. Ce n’est qu’au moment de menotter le requérant, que ce dernier devint agressif et violent, refusant de se laisser faire, [...] pour maîtriser le requérant et le menotter, ils durent le plaquer au sol ce qui eut pour incidence de lui cogner la tête involontairement contre le sol. Les policiers expliquèrent encore n’avoir levé leurs genoux que pour se protéger des coups de pied du requérant."
Un récit un peu modifié dès le 12 juillet lorsque "les policiers alléguèrent la possibilité d’un heurt accidentel du requérant sur un robinet au dessus d’une vasque scellée à l’un des murs du commissariat, à l’origine de la fracture testiculaire du mineur."
- pour le mineur, l’histoire est un peu différente : "son ami et lui, tous deux à bord d’un véhicule à l’arrêt, firent l’objet d’un contrôle d’identité. N’ayant pas leurs papiers sur eux, les policiers les emmenèrent au commissariat en leur précisant qu’ils quitteraient le commissariat aussitôt après. Mais après s’être assis dans le commissariat, un policier informa le requérant qu’il devait être menotté. Ne comprenant pas pourquoi, ce dernier résista, si bien que plusieurs policiers (cinq ou six), le frappèrent et l’insultèrent. Il fut roué de coups, notamment dans les parties génitales, alors que les policiers tentaient de le mettre dans une geôle de dégrisement à l’extrémité d’un couloir. L’un des policiers lui empoigna la tête qu’il frappa violemment contre un pilier. Le requérant précisa dans le procès-verbal « avoir attendu assez longtemps » avant d’être emmené à l’hôpital. Il ne conteste pas s’être débattu et avoir insulté les agents de police."
Au cours de l’information judiciaire ouverte suite au dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile, un premier rapport conclut que les blessures constatées étaient compatibles avec la seconde version des faits avant qu’un autre viennent plutôt accréditer la thèse des policiers.
Dans le même temps, deux représentants de la force publique furent mis en examen pour violence ayant entraîne une ITT supérieure à huit jours.
Le 14 décembre 2004, le tribunal de grande instance de Nanterre les condamna "quatre et huit mois d’emprisonnement avec sursis pour violence volontaire par un dépositaire de l’autorité publique suivie d’incapacité supérieure à huit jours" et au paiement d’environ 7000 euros de dommages-intérêts.
Cependant, la Cour d’appel de Versailles rendit en 2006 une décision par laquelle elle atténua la responsabilité des prévenus et se limita à les condamner au paiement d’une amende contraventionnelle de 800 euros chacun pour de simples blessures involontaires.
Elle justifia cela en raison l’absence de preuve de l’existence de coups ou violences volontairement portés en notant tout de même que "il est tout à fait anormal qu’une personne contrôlée et amenée dans un commissariat, puisse en ressortir avec une fracture du testicule."
Les dommages-intérêts furent également réduit à 5000 euros en estimant que la victime avait participé pour moitié à la survenance de son préjudice.
Une demande d’aide juridictionnelle pour se pourvoir en cassation fut rejetée faute de moyen sérieux.
Et c’est avec une requête invoquant une violation de l’article 3 de la Convention pour mauvais traitements lors d’un contrôle d’identité dans un commissariat que cette affaire arriva à Strasbourg.
Sans grande surprise, la Cour commence par rappeler les grands principes qu’elle a dégagé concernant la torture et les traitements inhumains et dégradants et notamment le caractère absolu de leur interdiction ainsi que la nécessité d’atteindre "un minimum de gravité" pour entrer dans le champ d’application.
En l’occurrence, les juges notent qu’il ne peut être contesté que "les lésions subies par le requérant qui ont provoqué douleurs et souffrances physiques ont atteint un seuil de gravité suffisant pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention."
Dès lors, il appartient à la Cour de rechercher si la force utilisée était, en l’espèce, proportionnée.
Et pour cela, elle va prendre en compte différents éléments tels que la minorité du requérant, le fait qu’il n’était pas connu des services de police, que la conduite au commissariat a eu lieu sans heurts et que ce n’est qu’à partir du moment où les policiers ont tenté de le menotter qu’il est devenu agressif.
Elle fait également remarquer que le Gouvernement admet lui même que "la force utilisée par les policiers était disproportionnée" mais s’interroge cependant sur la pertinence de l’argument selon lequel l’usage de cette force était nécessaire au raison du comportement du jeune individu.
Elle relève que si "le port des menottes ne pose normalement pas de problème au regard de l’article 3 de la Convention lorsqu’il est lié à une arrestation ou une détention légales et n’entraîne pas l’usage de la force, ni d’exposition publique", les raisons le justifiant en l’espèce restent obscures.
De plus, prenant en compte un avis rendu par la Commission nationale de déontologie de la sécurité, elle "émet ainsi de sérieux doutes quant à la nécessité de menotter le requérant, celui-ci ne s’étant montré ni agressif, ni dangereux, ni même agité avant le menottage."
Elle estime aussi que "si l’agitation du requérant pouvait conduire les fonctionnaires à exercer une forme de contrainte pour éviter d’éventuels débordements, [...] il n’existait aucun risque sérieux et imminent pouvant justifier l’emploi d’une telle force par les policiers. A tout le moins, dans de telles circonstances, les fonctionnaires de police auraient pu employer d’autres méthodes pour calmer le requérant."
La conclusion est donc au final sans surprise : "le Gouvernement n’a pas démontré, dans les circonstances de l’espèce, que l’usage de la force contre le requérant était proportionnée et nécessaire" et, du coup, "les traitements exercés sur la personne du requérant ont revêtu un caractère inhumain et dégradant."
Mais malgré tout cela, la France aurait pu échapper à la condamnation de la juridiction strasbourgeoise si les faits avaient été effectivement poursuivis et réprimés par les juridictions internes ; le requérant aurait alors perdu sa qualité de victime .
Mais, en l’espèce, si "la Cour ne constate aucune lacune quant aux diligences menées dans le cadre de l’enquête", elle observe que les fonctionnaires ont été condamnés à des amendes "modiques", que "la somme allouée au requérant en réparation du préjudice subi est inférieure au montant généralement octroyé par la Cour" dans des affaires similaires et qu’aucune sanction disciplinaire n’a été prononcée ; ce qui ne "ne saurait être tenue pour une réaction adéquate."
Les juges européens ne sont pas plus convaincus que la qualification de blessures involontaires "pourrait s’apparenter à une reconnaissance de violation de l’article 3."
Bref, "pareille sanction, manifestement disproportionnée à une violation de l’un des droits essentiels de la Convention, n’a pas l’effet dissuasif nécessaire pour prévenir d’autres transgressions de l’interdiction des mauvais traitements dans des situations difficiles qui pourraient se présenter à l’avenir."
Dès lors, "il s’ensuit que le requérant peut toujours se prétendre victime" au sens de la Convention et la France n’échappe pas à la condamnation pour traitements inhumains et dégradants.
Cet article est initialement publié là : http://0z.fr/qeXfd
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