Conte des mille et un euros
Je ne suis pas un Français moyen, je suis juste réel. Pas une statistique, pas une moyenne, non, une vraie personne qui travaille à temps plein et qui vit un véritable conte de fée. Nous sommes au moins 5 millions de personnes réelles comme moi qui semblent ne pas exister.
65 euros pour vivre autre chose que les impératifs vitaux.
Démagogie ou populisme ? Non, simple principe de réalité, celui là même qu'il m'est demandé d'entendre quand on me demande de me serrer encore plus la ceinture.
Tout d’abord je tiens à apporter une précision : Cette petite histoire n’est portée par aucun courant politique. Elle est la seule expression de l’histoire de la vie, la vraie, celle que vivent sans rien dire des millions de personnes en France en 2011 et qui semble ne gêner personne.
Avant les échéances de 2012, j’ai souhaité montrer qu’il n’est pas la peine de se cacher derrière des pseudo nécessités d’études ou de commissions ou encore de recherches socioéconomiques pour comprendre et vérifier que la vie de près de 5 millions de personnes en France est ainsi.
J’en ai assez qu’on nous parle de moyenne et de Français moyens, car un français moyen ça n’existe pas et c’est la vie de près de 10% de nos compatriotes qui doit être mise à jour afin qu’une prise de conscience puisse enfin avoir lieu.
Pour vous montrer qu’entre les études statistiques et économiques rien ne parle de la vraie vie, je veux juste pour commencer, à titre d’exemple, énoncer la réalité de ce que l’on appel « la part consacrée au logement dans les revenus ».
On nous dit que la part moyenne consacrée au logement est à peine d’environ 30% des revenus des ménages français. Encore une fois, il s’agit de moyenne et non pas de la vie. Moi je veux vous parler des milliers de personnes qui consacrent entre 50 et 60%, parfois plus, pour leur logement et ceci déduction faite des allocations logements.
Vous comprendrez que la moyenne est un brouillard qui nous est diffusé afin qu’on ne se pose pas les véritables questions de la vie de milliers de gens ordinaires.
Je vois déjà certains me targuer de populisme ou de démagogie ! Si le populisme est l’acte qui consiste à décrire une vérité, alors j’accepte le qualificatif. Toute fois je suis tout à fait à l’aise car n’étant porteur d’aucune autre religion politique que ma liberté de pensée et d’écrire, je suis prêt à répondre à toute attaque sur le caractère démagogique de mon histoire.
La démagogie est un terme inventé par ceux qui disposent du pouvoir pour culpabiliser et moraliser le discours de ceux qui, libres de pensée, essaient de mettre à jour ce qui devrait rester caché.
J’ai intitulé ce petit récit « le conte des mille et un euros » pour décrire la vie merveilleuse des personnes qui gagnent un peu plus de 1000 euros par mois. Bien sûr je sais que le montant du SMIC (1364 euros brut pour 35h00) est un peu plus élevé, mais franchement est-ce vraiment important ?
Partons donc à la rencontre de quelqu’un d’ordinaire dans la réalité non « moyennisée » de son quotidien financier.
Je n’ai aucune origine particulière, ne suis ni beurre, ni blanc, ni noir, ni handicapé, ni homme, ni femme, ni en échec scolaire. En fait, je suis juste quelqu’un qui mange, dort, a des amis, des passions, des désirs, des frustrations, des amours, des enmerdes, une personne ordinaire. Mais je me distingue toute fois des 10% de mes compatriotes qui n’ont pas de travail, car moi j’ai la chance d’avoir un emploi, un emploi à temps plein et suis même gratifié d’avoir un CDI. En ce sens je vous l’accorde, je suis déjà presque nanti, je l’avoue et m’en excuse !
Je travaille donc 35 heures par semaine, ce qui est la loi et même si certains pensent que je devrais en faire plus, j’ai un emploi à temps plein, ce qui veut dire que d’un point de vu sémantique, si mon temps de travail est plein, il n’y a pas à chercher à remplir au-delà du plein. Mais peut-être que la norme a changé et que 35 heures n’est plus un emploi à temps plein. Mais alors serai-je en emploi à temps partiel sans le savoir ? Il faudrait que cela soit éclairci car si un emploi à 35 heures est un emploi à temps partiel, alors il faut revoir les statistiques sur l’emploi à temps partiel, question d’honnêteté du chiffre et de la norme.
Il est décrit sur un site officiel du gouvernement « pour un travailleur à temps complet qui exerce selon une base hebdomadaire de 35 heures, son salaire (brut) est au 1er janvier 2011 de 1.365 euros soit 1056 euros net ». Pour être le plus juste possible, ce montant pourrait être augmenté de 14 euros net au 1er juillet 2011 et porté le salaire mensuel pour 35 heures à 1070 euros net.
Je confirme donc que mon titre est un pur exercice d’accroche mensongère puisqu’il réduit à 1001 euros la valeur de mes revenus. Veuillez m’excuser de cette démarche populiste et démagogique.
Le 28 de chaque mois, je reçois donc sur mon compte en banque 1056 euros et dois vivre pendant les 30 ou 31 jours que compte le mois jusqu’au versement suivant avec cette somme rondelette.
C’est tous les mois un grand moment, comme une impression de liberté. Un nombre à 4 chiffres sur mon compte me rend euphorique le temps d’un instant d’inconscience. A ce moment j’oublie, surement pour me permettre de sourire un peu, que ces 4 chiffres sur mon compte ont une durée de vie d’un peu près deux ou trois jours. En effet, aux alentours du 4 du mois ce nombre pourtant imposant va fondre et m’effondrer.
Au début du mois, quelques jours après la paie, c’est en effet la ponction du loyer. Nous allons nous arrêter quelques instants sur cette charge, car selon de nombreuses études, il paraîtrait que je ( la fameuse moyenne) ne dépense qu’environ 30% de mon salaire pour mon logement. Comme je vous l’ai dis, n’étant pas plus en échec scolaire que cela, je peux faire une vérification mathématique pour vérifier si l’on parle de moi dans ces études. Je prends donc ma calculette sur mon Smartphone (pardon, c’est un signe extérieur de richesse) et après avoir hésiter sur le mode calcul, la règle de trois et mon bac sont loin, je découvre avec stupéfaction que je ne suis pas un français moyen. Je refais plusieurs fois le calcul, je demande avec une certaine gêne à un ami, mais rien n’y fait, toujours le même résultat, 52%, arrondi bien sûr. Vous me direz, c’est normal, en région parisienne, dépasser de 20% le Français moyen n’est pas surprenant ! Mais le loyer est une chose, car en fait ce ne sont pas 550 euros que je paie par mois pour mon logement mais 600 euros, car il faut rajouter les charges.
Avec mes 600 euros de loyer et un taux de presque 60% de mes revenus consacré à mon logement pour mon petit F2 dans une banlieue, certes tranquille de la région parisienne, je suis donc un double français moyen.
Le 4 du mois, mes 1056 euros vont perdre 600 euros et d’un seul coup mon compte retrouve un niveau à trois chiffres et affiche glorieusement 456 euros.
A première vue, 400 euros pour 4 semaines, ça devrait aller, je mange quand même pas 100 euros par semaine et puis le 10 je sais que je vais recevoir mon allocation logement, ce qui va nettement réconforter mon compte. En effet, depuis deux ans, je suis allocataire CAF et bénéficie de l’allocation pour le logement.
Peut-être imaginiez vous comme moi que lorsqu’on gagne juste le SMIC, on est aidé à un niveau qui permet de soulager de façon visible le montant de notre charge de logement. Et bien je vous laisse juger, parce que je ne suis forcément pas objectif, et il me faut me convaincre que les 64 euros qui me sont versés sont une somme qui me donne une vraie bouffée de pouvoir d’achat.
J’ai donc un potentiel pour les trente jours à venir de 510 euros et j’avoue qu’il n’est pas simple de trouver à quoi je vais bien pouvoir les employer.
Quelques idées me reviennent tout à coup. Etrangement tous les mois j’oublie toujours les mêmes choses, je ne sais pas pourquoi, surement parce que ce n’est pas important. Par exemple j’oublie tout le temps que ma télé, la lumière et mon chauffage, ne fonctionnent pas à l’air du temps. De même, j’oublie que pour ne pas risquer d’être endetter à vie ou sanctionner par défaut d’assurance, je dois m’acquitter de mon assurance auto pour laquelle je suis mensualisé. J’entends déjà les biens pensant qui me disent : « mais quand on gagne le SMIC on a pas de voiture ! ». Ils ont surement raison, et il existe forcément une étude qui montre que X% des smicar n’ont pas de voitures. Et bien je suis désolé de jouer mon original mais moi, sans ma voiture, je ne peux pas aller travailler. Peut-être qu’en moyenne des français moyens utilisent en moyenne les moyens de transports collectifs. Oui, certainement mais moi j’ai besoin d’une voiture et qui plus est, sans vouloir heurter certaines personnes qui aiment à penser pour les autres, j’ai aussi besoin d’une voiture pour vivre. Surement un comportement d’enfant gâté, désolé.
Ma voiture est une petite Twingo, achetée par ma grand-mère, qui passe tout juste le contrôle technique tous les deux ans, difficile de faire plus petit, moins cher, mais j’en ai besoin et comme elle ne fonctionne pas non plus au souffle du vent, il faut aussi que je pense à dire bonjour au pompiste de la grande surface au moins deux fois dans le mois pour faire un plein.
Bon je récapitule tout ce que tous les mois j’oublie et qui pourtant entre dans ce que l’on nomme les « charges incompressibles » : Electricité, assurance voiture, et assurance appartement que j’avais oublié, ce qui nous fait la modique somme de : 50 euros en moyenne par mois sur l’année d’électricité, 70 euros par mois pour ma voiture, 5 euros pour mon appartement, soit 125 euros au total à soustraire de mes 510 euros.
J’en arrive donc à 385 euros, ce qui reste une somme suffisante, si j’en crois la valeur du RSA qui est d’environ 410 euros et avec lequel il paraît que quelqu’un peut vivre. Je suis donc nanti, car moi j’ai payé mon toit, ma lumière, ma chaleur, mes déplacements et il m’en reste encore. Ah, mais j’avais oublié, mes deux pleins pour mon 4X4 Twingo qui consomme du 8 litres au 100. Il faut donc encore amputer les 385 euros de deux fois 50 euros, au tarif d’1,50 euros le litre en 2011.
J’en suis donc à 285 euros, la barre fatidique des 300 euros est passée mais aucune raison d’être inquiet puisque à ce stade j’ai tout payé ce qui est utile et nécessaire pour être logé et travailler, donc tout va bien car le reste ne doit appartenir qu’au domaine des futilités et du gadget.
Décidément, j’ai encore oublié une charge incompressible, Freud parlerait d’acte manqué. Oui, ma mutuelle, car sans ça s’il m’arrivait quelque chose, alors là se serait la rue. Ma mutuelle, la moins cher, prise dans une grande surface, comme l’essence. Elle me coûte 30 euros par mois.
255 euros, ça y est, je me suis concentré, je n’ai rien oublié, j’en suis sûr !
Maintenant, il me faut quand même me nourrir, même si tout le monde se fiche de ma santé, il faut au moins que je mange pour travailler et gagner mon salaire. Ca tombe bien puisque tous les jours, à la télé on me dit de consommer avec modération, je suis donc très obéissant. Alors là, si vous chercher le prix du panier moyen du français moyen vous verrez que le résultat est très moyen. Je vais donc simplement vous dire ce que je dépense, pour manger normalement en fonction de mes envies et de mes possibilités. C’est un peu comme tout le monde en fait, mais ce sont mes dépenses, pas une moyenne faite du panier des plus pauvres et des plus riches.
Il me faut en principe 40 euros par semaine et ceci sans aucun extra, en produits « premier prix », autrement dit, en comptant et sans me laisser aller par des envies couteuses. Je risquerai d’être qualifié de dépensier !
255 euros moins 120 euros, et j’en arrive donc à 135 euros de « rabe ». C’est ma marge de liberté, celle qui me permet de vivre d’intenses émotions, des aventures extraordinaires, des rencontres à vous coupez le souffles, mes mille et une nuit à moi avec mes mille et un euros.
Ca y est, mon Alzheimer chronique à 25 ans me joue encore des tours, j’ai oublié un truc super important et qui pourtant ne me quitte jamais, mon téléphone. Un abonnement standard, rien d’extraordinaire, peut-être qu’il existe moins cher mais disons que je crois que ça n’a rien d’exceptionnel : 40 euros par mois et bloqué pour ne pas dépasser, bien sûr.
Et puis j’allais aussi encore oublié quelque chose de super important, mon internet, celui qui me permet de communiquer pas cher et d’avoir trouver du travail : 30 euros par mois.
Alors cette fois je dois être au bout et ce qui me reste est vraiment pour moi, juste pour moi, pour m’éclater. 135 euros moins 40 euros moins 30 euros égale 65 euros.
C’est exactement ce que me verse la CAF pour mon logement, vous voyez, vous aviez raison, c’est une somme importante car sans elle, je n’aurai pas cette largesse financière pour allez boire un coup, aller une fois au cinéma, manger une pizza, inviter quelques amis à boire un verre à la maison, faire un cadeau à mes parents, à ma grand-mère qui m’a acheté ma voiture, bref, toutes ces choses dont on peut se passer et qui ne sont qu’accessoires à la vie d’un travailleur à temps plein.
J’ai toute fois encore oublié quelque chose, mais oui, mes impôts locaux, 400 euros, pour lesquels je ne suis pas mensualisé car en fait, je vais tout vous dire, je les paie avec ma prime pour l’emploi. Et oui, j’ai l’honneur, l’avantage et la chance de percevoir ma prime pour aller au travail. Etonnant qu’on me récompense d’aller travailler et de ne rien gagner, mais bon, je les prends, car ils me permettent une largesse financière non négligeable. Un boni de 300 euros une fois par an, alors merci Bercy.
Tout ce qui est décrit est réel et n’est pas le scénario misérabiliste d’une série fiction. La simple réalité de la vie ordinaire d’un français qui n’est à priori pas dans la moyenne et qui pourtant correspond à un nombre important de gens en 2011. En ouvrant les yeux et en cherchant, je suis certain que vous pourrez trouver tout près de vous quelqu’un qui me ressemble.
Bien sûr, je connais le discours qui conduit à dire que je pourrais faire autrement. Peut-être, mais sur quoi repose cette idée ? Sur le fait que si j’avais fait des études, plus longues ou si j’étais plus volontaire, plus dynamique et plus motivé, je pourrai avoir une situation plus sereine d’un point de vu financier.
A ceux là je réponds que ce discours n’a aucun sens car s’il suffit de dire que je peux faire autrement cela sous-entend que ce discours vaut pour tout le monde et que tous ces gens peuvent faire autrement, ce qui est tout simplement faux. Il ne peut être de la responsabilité individuelle de chacun de sa place dans une société qui de fait ne peut donner une place gratifiante financièrement pour tout le monde. Dire que je pourrai faire autrement cache l’idée que tout le monde pourrait faire autrement, sous-entendu, que tout le monde peut faire en sorte de gagner suffisamment d’argent pour vivre confortablement.
Cela pose juste un léger problème : qui fait quoi ? Jamais aucune société industrialisée n’a pu offrir à tous un salaire permettant une véritable liberté financière. J’accepte l’idée qu’il existe et existera toujours des gens qui travaillent et qui gagnent plus que d’autres, ceci n’est pas un problème et c’est un fait qui n’appelle aucune rébellion de ma part. Par contre ce n’est pas la même chose quand celui qui se trouve au bas de l’échelle sociale et qui pourtant travaille, ne peut plus se louer des bienfaits du fruit de son travail au-delà de la seule possibilité de manger et de se loger. Si Travailler, se loger, et se nourrir sont les seuls éléments satisfaits par un travail normal à plein temps, il en va de la santé psychique des gens et il ne faut pas s’étonner du nombre de personne qui préfère rester chez eux.
La société repose sur la consommation et c’est même elle qui permet à de nombreuses personnes de travailler, mais cette consommation est impossible pour une frange importante de la société. Pour y accéder, juste pour jouir des plaisirs que cela occasionne, elle ne peut le faire qu’en prenant des risques financiers importants d’endettement. C’est un cercle infernal, car de la dette nait encore plus de précarité financière et ceci sans aucun moyen d’en sortir seul.
Ce qui est insupportable et révoltant c’est que ce discours, « vous pouvez et devez faire autrement pour gagner plus et vivre mieux » repose sur un mensonge collectif, une escroquerie sociale maintenue sur le principe de la culpabilité individuelle.
Il est inacceptable qu’en 2011, en France, il ne reste aux personnes comme moi que 65 euros pour vivre autre chose que leurs charges fixes incompressibles. Impossible d’envisager quelle qu’activité que se soit avec cette somme. Qu’il s’agisse de culture, de sport, de musique, de tout autre loisir, la seule possibilité raisonnable consisterait à rester chez soi pour éviter toute tentation et toute envie qui seraient immédiatement refreinées et censurées par l’état de mes finances.
Je ne parle même pas d’autres nécessités que je n’ai pas décrites dans ma comptabilité. Avec 65 euros je dois aussi m’acheter des vêtements, des chaussures, et je passe quelques médicaments pour palier un mauvais rhum qui me conduirait à un arrêt de travail.
Il est pourtant simple et très concret de mettre 65 euros dans son portefeuille et de tenter de tenir un mois avec cet argent de poche.
J’insiste, je ne fais pas de misérabilisme, je décris tout ceci dans un principe de réalité, rien d’autre. La crise économique n’a même pas eu d’effet négatif sur moi, ma situation est identique depuis plus de trois ans, alors me dire que tout ceci est lié à la soit disant crise, me fait beaucoup rire jusqu’à me faire pleurer.
Nos élus, hommes ou femmes politiques de tout bord n’ont aucune conscience de ce que je vis. Eux vivent à travers des statistiques, des moyennes, des apports intellectuels qui pour des questions de méthodologie et de rigueur statistique ne sont même plus capables de donner forme à la réalité des vrais gens dans leur vraie vie. Je rêve d’un politique qui déciderait de vivre pendant six mois comme moi, avant de se présenter à une quelconque élection. Que quelqu’un ose cette démarche, sans peur d’être accusé de démagogie ou de populisme, qu’il ou elle mesure le plaisir de vivre ainsi. Que cette personne ressente et trouve des réponses aux questions que je me pose le matin pour aller travailler. De quel plaisir vais-je pouvoir jouir aujourd’hui, demain, le mois prochain. Que quelqu’un puisse me dire s’il sourit à l’idée de rester enfermer chez lui pendant les vacances d’été ou encore de trouver un boulot au noir pour améliorer l’ordinaire pendant ses 3 semaines de congés payées.
Si un élu ou représentant politique vivait ce que je vis, il persisterait un biais important, car lui il pourrait quand même s’accrocher à l’idée qu’il y aura une fin à sa situation misérable et ceci change tout en terme de ressenti.
Moi ma seule projection positive est l’image sécurisante de ne pas perdre mon travail. Et encore ceci ne tient qu’à un fil, car aujourd’hui, pour simplement survivre comme moi, ils sont nombreux à attendre pour prendre ma place à la moindre occasion.
Comment pouvons nous accepter et nous taire alors que nous sommes entre 5 et 8 millions à être pauvre officiellement ? La définition de la pauvreté en France et en Europe est simple : personne ou ménage vivant en dessous d’un niveau de vie (seuil de pauvreté) fixé à 60% (médiane) des niveaux de vie.
En France, on hésite et on utilise deux taux, l’un à 50% soit un montant d’environ 800 euros/mois, l’autre à 60% soit un montant de 950 euros/mois. Cela change le nombre de gens concernés mais à part les 150 euros d’écart cela ne change rien à la situation de ceux qui vivent avec ces niveaux de revenus.
Je n’irai pas plus loin dans une discussion sur les chiffres, je dirai seulement que s’agissant de seuil, évidemment, si l’on dépasse ce niveau on est plus pauvre par définition. Donc si l’on gagne 1060 euros (le smic) on dépasse ce seuil et l’on est plus comptabilisé dans les pauvres. Ca me soulage de savoir que je ne suis pas dans la classe des pauvres et on me dit tous les jours que j’ai déjà de la chance d’avoir un travail. C’est vrai, tout à fait vrai, car si nous sommes plusieurs millions à vivre comme moi, il faut encore rajouter ceux qui n’ont pas de travail du tout, et encore rajouter ceux qui n’ont qu’un travail à temps partiel. Alors oui, au monde des aveugles le borgne est roi.
Il faudrait définir une terminologie qui qualifie les « pauvres aisés » ou les « moins pauvres » ou alors passe t'on directement de pauvre à « classe moyenne » ?
On pourrait chercher à faire une somme en ajoutant toutes les personnes comme moi qui gagnent le SMIC et les personnes pauvres et l’on arriverait à un nombre qui à mon avis s’approcherait des 10 millions de personnes, mais là je sens que je vais me heurter violement aux scientifiques de l’économie qui me parleront de concepts différents et de l’impossibilité d’ajouter des choux et des carottes. Bref, tout ce qui fait que l’on ne peut jamais savoir en France la réalité du nombre de personnes qui vivent à la frange de ce seuil de pauvreté. Les questions sur ces sujets se heurtent toujours à de soit disant problèmes méthodologiques qui stigmatisent au final le débat et éteignent la vision insupportable de la réalité de la situation quel que soit le chiffre. Car enfin, que ce soit 3, 4, 5 ou 10 millions de personnes, est-ce le nombre qui pose problème ou la situation des personnes qui vivent comme ça ?
Je suis amère chaque matin, triste et mélancolique chaque soir, une vie de frustration et de culpabilisation perpétuelle sur l’autel du « j’avais qu’à faire autrement ». Alors sur cette argumentation je me dis que je dois être vraiment très nul puisque s’il suffit de vouloir pour avoir, et que je me trompe en pensant qu’il faudra toujours des gens pour travailler pour les autres. Le problème n’est pas un problème de classe, mais un problème de valeur du travail.
Ma journée de travail vaut tellement moins que celle d’un nombre croissant de gens qui s’enrichissent sur ma pauvre vie. Employés, vendeurs, ouvriers, agents de service, travailleurs manuels, petit fonctionnaires et autres activités sont des sous-personnes. Lorsqu’ils se lèvent et travaillent toute la journée, ils ne méritent pas autre chose que de survivre et surtout ils n’ont pas à se plaindre car ils n’avaient qu’à être à la place de ceux qui les font travailler.
Quelle drôle d’idée, encore une fois, j’imagine une société ou il n’y aurait que des gens qui décident et qui commandent les autres ! De qui se moque t’on ? La hiérarchie sociale est un fait depuis toujours et je n’ai aucune utopie qui remettrait en cause ce schéma, mais ce n’est pas parce qu’il existe ceux qui décident et ceux qui exécutent que ces derniers n’ont pas de droit à vivre autrement que comme des taupes qui ne voit que la lumière des néons. Ce droit fondamental à une certaine égalité de pouvoir jouir de la vie n’existe t-il pas ? Pourquoi devrai-je faire des ménages pendant mes congés alors que d’autres peuvent partir aux Seychelles ? Leur valeur individuelle justifie t'elle une telle différence d’accès au plaisir de la vie ? Oui, et cela ne gêne personne. Si demain toutes les petites personnes comme moi arrêtaient de se lever le matin, les dirigeants ne pourraient plus partir au soleil. A l’inverse, si ces leaders s’arrêtaient de faire ce qu’ils font soit disant pour notre bonheur, investir et diriger, et bien pour moi cela ne changerait pas grand chose, car de toute façon travail ou pas, mes possibilités de jouir de la vie n’en seront pas altérer puisqu’elles n’existent pas. Je gonflerais simplement les rangs des gens à la rue, mais peut-être faudra t-il en arriver à ce que le nombre de personnes à la rue augmente pour que la prise de conscience collective nécessaire s’affiche.
Je n’ai pas les solutions à mon problème et je considère que ce n’est pas à moi qui gagne 1060 euros/mois de les trouver. Forcément, on me raconte ce que l’on veut, que c’est la faute de la crise, que c’est la faute de la mondialisation, que c’est la faute de la dette de l’état, etc. Oui, oui, oui, je vous crois et je m’excuse d’oser demander et de réclamer en ces temps si difficiles pour les dirigeants. Je me rends bien compte que tout cela nous échappe et qu’il n’y a rien à faire pour moi et que je devrais faire preuve de plus de maturité et de compréhension.
C’est simple, il me suffit de regarder autour de moi et de regarder ne serait-ce que les voitures qui circulent pour me rendre compte que rien n’est possible et que finalement tout le monde est comme moi ! Il me suffit de compter le nombre croissant de voitures qui coûtent aux alentours de 30 000 euros pour me rendre compte qu’il me faudrait 2 années de travail, sans toit, sans manger, sans rien, pour pouvoir m’asseoir au volant de cet objet d’unique plaisir. Mais là, je sens que je fais du misérabilisme et de la lutte des classes et ce n’est pas bien.
Pour ne plus souffrir je vais écouter et appliquer les discours apaisant qui me suggèrent de ne pas être envieux, que c’est pêcher, que l’envie est la cause de ma souffrance et que si j’acceptai tout simplement ma vie telle qu’elle est, je serai bien plus heureux. Que si cela me pèse trop, je n’ai qu’à faire autrement et travailler le dimanche, le soir et les jours fériés pour avoir accès au bonheur. Que je me trompe de combat et que l’argent n’est pas une fin en soi et que ce qui compte c’est l’homme et l’esprit, pas l’argent. Oui, je vous écoute et je bois vos paroles et je vais continuer à me convaincre de la chance que j’ai de pouvoir garder ma dignité de pauvre. Que tout ce que je vois n’est que luxure, dépravation, bling bling et n’a aucun intérêt. Oui j’admets que de vouloir partir une semaine en vacances au soleil, au camping municipal, sur une plage française, n’est pas une fin en soi et que ce qui compte c’est de travailler.
Voilà, vous avez partagé un peu de mon conte de fée des mille et un euros, ma vie, moins que moyenne et mieux que le pire.
La morale de ce conte je vous laisse l’écrire, je vous laisse lui donner la suite qui vous convient le mieux. Ma suite à moi, elle me regarde, et n’a pas vocation à servir d’exemple.
Je ne dirai qu’une chose, je préfère qu’on ose me dire, nous dire, de nous taire, que de nous accuser de démagogie ou de populisme à chaque fois que l’on rapporte la seule réalité de la vie. Ces termes appartiennent aux politiques et n’ont vocation qu’à éteindre tout discours se rapprochant d’une réalité vécue, Les mots qui accusent de démagogie sont des armes de destruction massives de toute référence au principe de réalité qui dérange. Pourtant c’est ce même principe de réalité qui nous est imposé lorsqu’on nous demande d’être raisonnable : Comment voulez-vous qu’on augmente le SMIC cher ami, mais c’est impossible, vous êtes totalement en dehors de toute réalité économique !
Si l’engagement politique est une valeur respectable et que je respecte, je demande à ceux qui s’en réclament d’en être au moins dignes en assumant la réalité enfin non travestie.
Ne me culpabilisez plus ! Je ne l’accepterai plus !
Etre coupable c’est avoir un pouvoir sur les choses, alors si je suis coupable de quelque chose c’est uniquement d’avoir cru et de croire en l’individu politique à travers ce grand mensonge collectif que vous appelez démocratie.
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