De la faculté du placement en garde à vue d’un auteur de délit non-intentionnel
Le placement en garde à vue d’une infirmière, en conséquence d’une erreur d’administration de médicament ayant eu une funeste issue pour un enfant, à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris XIVème, fait l’objet d’un certain nombre de commentaires critiques. Ainsi, pour le syndicat Sud AP-HP, « la mort d’un enfant c’est toujours une catastrophe [mais] ce qui me pose problème, c’est la façon dont on réagit aujourd’hui en mettant les gens en garde à vue. Il suffit de demander ce qui s’est passé. Nous, on est interrogé à chaque fois qu’il y a des erreurs » (lien). Même son de cloche pour la CGT-Santé « cette garde à vue est disproportionnée », car « traiter les gens comme des délinquants, quand l’erreur est intentionnelle, parce que la personne a fait n’importe quoi, c’est une chose. Mais quand la personne est de bonne foi [...] c’est normal qu’elle soit auditionnée par la police et qu’ensuite la justice fasse son travail, mais [pas] de là à la mettre en garde à vue » (lien). Un membre de la direction de l’administration hospitalière précise que « la garde à vue est inhabituelle », celle-ci étant d’ailleurs prolongée de 24 heures, et qu’il s’assurera « qu’elle se passe avec le plus grand respect des personnes » (lien).
N’en connaissant rien, je n’ai aucun commentaire à faire sur le fond de l’affaire. Toutefois, il me semble judicieux d’en profiter pour rappeler que, même si la garde à vue est parfois considérée comme sanction, généralement seule phase privative de liberté pour les primo-délinquants, ce n’est pas une mesure infamante de manière systématique.
Certes, dans le cas le plus courant, pour le petit délinquant habituel, dont le dol criminel -l’intention malfaisante de braver la loi pénale- ne fait nul doute, elle marque la suite logique de son interpellation reposant elle-même sur la notion de délit flagrant. Il en va autrement pour les infractions non-intentionnelles, c’est à dire les infractions dont l’élément moral constitue en l’intention de méconnaître des obligations générales ou particulière de prudence et de sécurité,, qui ne prennent une dimension correctionnelle qu’au cas où le préjudice causé est notable - corporel ou mortel. Dans ces cas là, l’enquête prend sens non pas afin d’achever d’établir les circonstances de commission de l’infraction pénale flagrante mais, plutôt, d’établir si les circonstances funestes peuvent revêtir une coloration pénale.
La garde à vue, en principe décision facultative à l’appréciation exclusive de l’Officier de Police Judiciaire, se justifie toujours par « les nécessités de l’enquête », possible en « l’existence d’une ou plusieurs raisons plausibles de penser qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ». Certes, cela implique qu’existe une suspicion à l’encontre du gardé à vue.
Mais il faut bien comprendre que la garde à vue est aussi un cadre juridique protecteur pour le mis en cause, source de droit (faire prévenir sa famille ou son employeur, faire l’objet d’un examen médical, s’entretenir un avocat n’ayant pas accès à la procédure). Et, à ce titre, la garde à vue devient obligatoire dans le cas d’un maintien durable à disposition du mis en cause, comme c’est le cas de cette infirmière qu’il est nécessaire d’encore entendre pendant un laps de temps supérieur à un jour. L’absence de placement en garde à vue pourrait être considéré comme un détournement de procédure au détriment de ses droits, car, comme l’évoque la circulaire du 4 décembre 2000 présentant les dispositions de la loi dite Guigou, dans le cadre d’auditions hors du cadre de la garde à vue « il convient toutefois bien évidemment de s’assurer que la personne ne fait effectivement l’objet d’aucune atteinte à sa liberté d’aller et venir, qu’elle a librement accepté de suivre les enquêteurs, ou de répondre à leur convocation, et d’être ensuite entendue par eux. Que l’audition d’un suspect commencée au cours de l’après-midi se poursuive ou reprenne à la nuit tombée paraît ainsi révéler que la personne est retenue par les enquêteurs, qui doivent donc la placer en garde à vue » (circ. crim. 00-13 F1, 4 dec 2000, 1.1.1 lien).
La mesure dont fait l’objet l’infirmière apparaît donc inévitable. Et il ne faut pas y voir de la défiance à son endroit. C’est aussi dans son intérêt, étant donné qu’il ne peut y avoir d’homicide (involontaire) sans enquête approfondie, étant donné qu’il est dans son intérêt (si elle est innocente) que l’enquête soit diligentée avec l’efficacité et la célérité la plus grande possible.
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