Des « comme Matthieu » à la trouble personnalité, il y en a beaucoup dans la société
Matthieu, l’assassin d’Agnès, apparaît maintenant dans sa vraie nature, trouble et surtout double. Comme l’a bien expliqué un psychiatre dans l’émission de Calvi, certaines personnalités peuvent se révéler lisses et tout à fait sociables dans leur relation avec les autres mais recéler en leur fors intérieur un réservoir de pulsions négatives, pour ne pas dire sombres. Ce point focal de l’analyse psychologique est bien évidemment au centre de la polémique sur l’évaluation de la dangerosité d’un individu. Et l’on peut être certain qu’un individu très intelligent et très sombre à l’intérieur, se sachant traqué et surveillé par une équipes d’expert, saura mobiliser un instinct psychique phénoménal pour passer au travers des mailles de l’évaluation. Les quelques témoignages livrés par l’entourage de Matthieu confirment la structure double de cet adolescent qui n’a rien d’un délinquant grossier ayant manqué de chance et d’éducation. Bien au contraire, on a affaire à un jeune très intelligent et comme dans bien des cas, doué pour des activités abstraites, l’informatique en l’occurrence. Cette capacité est associée à une déficience sur un autre plan, celui de la morale et de l’émotion. Ce type de personnage apparaît comme froid, calculateur et privé d’émotion. En fait, il est centré sur lui-même, ses pulsions, et n’aucun souci des autres si ce n’est un intérêt pour l’apport à des tâches communes et surtout, la possibilité d’utiliser quelques spécimens au service de ses pulsions. Dans les milieux proches du new age, ce type d’adolescent est souvent décrit comme un enfant indigo. Intelligence supérieure et absence d’émotivité. Ceux qui conversent au bistrot du divan auront certainement entendu dire que parmi ces enfants qu’on dit indigo, certains sont capables de commettre des meurtres horribles. Mais la société n’a pas attendu les enfants indigo pour voir en son sein évoluer des assassins à la personnalité trouble et des déviants de toutes sortes.
Ce qu’on ignore, c’est que des personnalités doubles comme l’est Matthieu, on en trouve un bon nombre, dans les milieux professionnels, la famille. Pas de panique, enfin disons, pas de contresens, car la dualité psychique des individus que je vais évoquer ne fonctionne pas sur les pulsions strictement sexuelles pouvant pousser au viol puis au meurtre. La perversion fonctionne sur un autre registre. Bref rappel des catégories de la libido dessinées par saint Augustin. Il y a trois libidos dont deux nous intéressent, sentendi et dominandi. La libido des sens fonctionne avec la satisfaction des pulsions sexuelles, alors que la « libido des dominations » se conjugue avec la jouissance que procure l’avantage sur une personne. Quand les pulsions sont équilibrées par la retenue (vertu, culture, surmoi), les relations sont réciproques et la vie sociale fonctionne avec une relative harmonie. La sexualité devient un moment partagé et le pouvoir est accepté par la reconnaissance de qualités, de compétences et d’autorité dont l’exercice profitent à un groupe. Qui dira que les employés d’un « patron éthique et compétent » ne tirent aucun avantage ? Là où ça pose problème, c’est quand la réciprocité est rompue et que l’individu ne pense qu’à sa satisfaction personnelle.
Du cas de Matthieu, on passe à celui des pervers narcissiques, type de personnalité bien connu des psychiatres et des victimes mais dont la présence est ignorée le plus souvent par les groupes sociaux. Ce qui se comprend aisément puisque ces personnages savent être lisse et ne pas dévoiler leurs sombres intentions. Il aura fallu la ténacité d’une psychologue pour faire reconnaître juridiquement la réalité des phénomènes de manipulations perpétrées par ces individus déviants et pervers. Qui sont de véritables prédateurs et qu’il est préférable d’éviter car une fois dans leur collimateur, la vie des victimes devient un enfer. Des violences sont exercées mais toute la difficulté est de les établir comme faits pouvant entrer dans un dispositif juridique. Ces violences sont en fait d’ordre psychique. Il n’y a pas de violence sur le corps, comme dans un viol ou un meurtre. Néanmoins, le harcèlement moral, lorsqu’il se fait sur un lieu de travail, est un fléau qu’il est possible de contrer mais pour cela, il faut une solidarité dans le groupe dont la cohésion peut faire tomber le harceleur qui peut être un collègue ou plus souvent, un supérieur qui peut alors jouer sur la position pour préserver son immunité. Le lieu prédestiné du pervers narcissique reste le couple. L’engrenage peut devenir infernal car la victime participe à son corps défendant à ce lent processus de destruction qui permet au pervers d’assurer sa dose de jouissance quotidienne ou hebdomadaire. Son plaisir est assouvi lorsqu’il voit l’autre flancher, ce qui lui confère le sentiment de puissance et de force. D’où le volet narcissique qu’on ne confondra pas avec le trouble narcissique de la personnalité consistant à chercher l’estime des autres et refuser les critiques. Le « narcissique simple » a tendance à souffrir lorsqu’il n’est pas rassuré par son image et qu’il se cherche. Le pervers narcissique jouit parce qu’il a trouvé sa victime. Mais au fait, qu’est-ce qui pousse un partenaire à devenir la victime du pervers ? Eh bien c’est la dépendance affective et surtout, l’admiration, car l’un des traits de ces personnages est de savoir jouer sur la séduction, d’inspirer la confiance, de distiller force flatteries et compliments envers l’autre pour ensuite le faire trébucher d’une manière sournoise et insidieuse. Une image. Le pervers narcissique, c’est type qui vous persuade que vous êtes capable de piloter à deux cents à l’heure un bolide sur une route où il a tracé à votre insu un virage et un ravin.
Séduction, manipulation, froideur, instrumentalisation. Ces mots caractérisent un type d’individu présent dans la société et dont l’existence consiste à privilégier la satisfaction personnelle quitte à étouffer l’autre, le spolier de son existence, voire le détruire pour assouvir de sombres pulsions. Est-ce grave ? Ben, c’est comme dans la suite 2806 du Sofitel, il n’y a pas mort d’homme dirait docteur Djackyl Lang. En effet, pas de viol ni de meurtre mais pourtant, les pervers représentent un fléau social et peuvent éventuellement plomber des groupes qui fonctionnent avec compétence. Quelques études récentes ont tenté d’évaluer la prévalence de ces types sociaux, chiffrée à 3%, mais dans les lieux de pouvoir et de direction, ce chiffre pourrait doubler. Il est en effet connu que des personnages doués d’un pouvoir de séduction, d’un charisme et d’une froide intelligence, ont une aisance pour se faufiler dans les postes les plus intéressants, voire prestigieux. Leur objectif, obtenir leur satisfaction en se servant des autres. Les rapports sont renversés et les équilibres sociaux rompus. Ce type de personnage peut arriver assez haut dans les postes de direction, que ce soit dans les entreprises, les médias, les rouages de l’Etat. Combien de pervers dans les gouvernements et les cabinets ?
L’impact social des froids séducteurs pervers est difficile à évaluer. Il y a quarante ans, un sociologue s’était penché sur un autre fléau, le carriérisme. Une chose semble certaine, c’est que le culte de la réussite, du mérite, la cupidité et le développement de l’individualisme, ne peuvent que renforcer cette tendance à voir arriver aux commandes des individus peut soucieux d’autrui. Pour les contrer, il faut une solidarité qui tend à faire défaut dans un monde où chacun cherche à préserver sa situation. Pour clore ce billet, un extrait d’un livre du psychanalyste Saverio Tomasella consacré à la perversion. Et un autre propos en guise de complément mais à prendre avec recul, tiré d’une discussion avec les éditeurs de Ponérologie politique écrit par Lobaczewski :
« La perversion est une anti-relation, elle ne fonctionne que sous le mode du rapport, elle ne produit que des rapports de force, donc de pouvoir : séduction, emprise, domination. [...] La perversion joue sur tous les tableaux. Elle mêle l’inversion de la réalité à la banalisation des situations graves et au déni des actes profanateurs. Elle prône l’impudeur et le non-respect de l’intimité, échange fausses confidences contre confidences forcées, renverse les principes humains, retourne les situations en défaveur de la vérité et empoisonne pour garder l’autre en prison malgré lui… » (Tomasella)
« Ils sont également incapables d’éprouver des émotions profondes. En fait, quand Robert HARE — un psychologue canadien qui passa sa carrière à étudier la psychopathie — fit passer des scanners cérébraux à des psychopathes tout en leur présentant deux séries de mots : une série de mots neutres sans association émotionnelle, et une série composée de mots chargés émotionnellement, alors que différentes zones du cerveau s’activèrent dans le groupe test des non-psychopathes, dans celui des psychopathes, les deux séries furent traitées par la même zone du cerveau, celle qui traite le langage. Ils n’eurent pas de réaction émotionnelle instantanée.
Toute notre vie émotionnelle est un mystère pour eux, et en même temps, elle leur fournit un outil formidable pour nous manipuler. Pensez à ces moments où nous sommes profondément affectés par nos émotions, et à quel point notre capacité à réfléchir s’en trouve affaiblie.
Maintenant, imaginez que vous êtes capable de feindre une telle émotion, tout en restant calme et calculateur, tandis que la personne avec laquelle vous échangez est véritablement prise dans un tourbillon émotionnel. Vous pourriez avoir recours aux larmes ou aux cris pour obtenir ce que vous voulez, tandis que votre victime serait poussée au désespoir par les émotions qu’elle vivrait.
Il semble aussi qu’ils n’aient pas de réelle conception du passé ou du futur, vivant entièrement pour leurs besoins et désirs immédiats. En raison de la stérilité de leur vie intérieure, ils recherchent souvent de nouveaux frissons, depuis le sentiment de puissance ressenti en manipulant les autres jusqu’à l’engagement dans des activités illégales pour la simple poussée d’adrénaline qu’elles procurent. »
27 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON