Justice et prison : la « stratégie du choc » vécue
Amis lecteurs, suite à un article sur le jeune Belkheir (24 ans) dont le suicide a été relaté dans rue 89, je viens en toute modestie apporter mon témoignage sur la détention en France pour une procédure en correctionnelle. A ce jour la France compte 49 suicides pour 2009 dans ces zones de non droit (et combien plus encore hors murs...). Au delà du récit – un parmi tant d’autres - mon but n’est pas de créer des réactions du genre « c’est qu’il le méritait » ou « c’est bien fait » voire même « la prison c’est le quatre étoiles » mais plutôt de réfléchir sur les conséquences psychologiques mais surtout sociétales que vous et moi devrons affronter. En effet tous détenus - a de très rares exceptions- n’ont pas vocation à rester en détention : un jour ou l’autre il faudra sortir !

Le but de telle méthode me fais penser ‘à la stratégie du choc’ de Naomi Klein. Dans l’état il s’agit de me couper de mon tissu social en créant un choc (pas de contact) et de poursuivre avec ce qu’il convient bien d’appeler une déportation. Citoyens que vous soyez innocents, coupables ou prévenus vous ne vous appartenez plus !
Le lendemain je suis présenté devant un juge d’instruction. Pas de réponse au ‘bonjour’ de ma part (ni même du ‘au revoir’). Après réflexion, il me paraît plus qu’évident que la non réponse de cette magistrate n’est pas due à un manque de temps ou d’argent (sourire !) mais qu’il s’agissait bien de me faire comprendre que je n’étais rien, que je n’existais pas ! La stratégie est donc la même : détruire l’intégrité de la personne. D’ailleurs les fouilles sont un moyen supplémentaire pour vous déstructurer par l’humiliation. Vous n’êtes qu’un bout de viande, un futur numéro d’écrou, rien d’autre. Lors de la signature du mandat de dépôt, je demande ‘mais alors j’ai tout perdu’, qu’elle a été la réponse du juge. Devinez......’bein oui’. On ne peut être plus clair !
Je prends possession d’une cellule au CP (centre pénitentiaire) de L après un transfert de B. Elle fait partie de ces nouvelles prisons sorties de terre en un temps éclair. Il n’y a pas photo au niveau hygiène/qualité de vie c’est la formule un des prisons mais ce n’est pas l’hôtel de luxe avec tout confort. De l’électronique en veux-tu en voilà (portiques électroniques, détecteurs infrarouge, caméras, écrans de contrôle à chaque étage...), bref pas d’humanité. Dès à présent et avant de l’oublier je tiens à dire que les surveillants ont fait leur boulot et que je n’ai pas eu à m’en plaindre. Je sais que cela n’est pas le cas partout, disons que je suis tombé peut-être au bon moment et au bon endroit. Tous le personnel de surveillance s’appelle ‘surveillant’, en clair vous ne pouvez mettre aucun prénom sur les visages. Complètement déstructuré, le 1er symptôme qui apparût chez moi est une perte très importante de mémoire et de concentration. Mais la stratégie de choc doit continuer. Du matin au soir et du soir au matin, j’ai été entouré de stimulus dont les conséquences ont été de me plonger dans un stress permanent.
-Sondage tous les jours [passage d’une barre de fer sur les barreaux]. Fouille de la cellule. Haut parleur. Lumière jaunâtre avec tous les murs blancs. Bruit des verrous. Alerte, alarme, les cris etc....
Le 2ème symptome est celui de la paranoïa. Vous ne dormez plus, vous écoutez comme la bête traquée le moindre bruit, la peur au ventre que demain sera encore pire. Ce monde hostile vous oppresse et l’idée du suicide arrive. Les surveillants ont-ils parlé de vous aux autres détenus ? faut-il s’aventurer en promenade et qu’est-ce que ce nouveau vocabulaire ? : missile, fax, mitard, prétoir, CIP (conseiller d’insertion et de probation), cacheton, gamelle, baveux etc....Le pire, je crois, est d’entendre taper sur une porte en plein milieu de la nuit. Des fois c’est un détenu, prisonnier de ses souffrances, qui supplie pour voir quelqu’un ou alors d’autres fois un suicide à l’étage supérieur et dont l’arrivée des pompiers fait grand raffut. Vous pouvez crever l’âme en paix, les surveillants de nuit n’ont plus les clés pendant leurs rondes (depuis que des surveillants ont tabassé des détenus dans le silence tout relatif de la nuit). Entre le passage à l’oeilleton et la récupération des clés par le chef du bâtiment compter une bonne 1/2 d’heure. Pour le sujet candidat au suicide, la nuit sera menu spécial : être réveillé toutes les 2 heures (cellule allumée et obligation de montrer signe de vie en bougeant). Cela ressemble bien aux méthodes du docteur Ewen Cameron, grand ‘torturologue’ de la CIA des années 50. Des douleurs terribles me prennent au coeur, je suis marqué dans ma chair. J’accuse tout simplement la justice d’acte de torture.
J’ai rencontré tous types de détenus : analphabète (gens du voyage), des ouvriers d’usine, des intellectuesl (thèse, licence), des handicapés (triple peine pour eux : prisonnier de leur liberté, prisonniers de leurs névroses, prisonnier de leurs handicaps) mais aussi des jeunes de 18 à 85 ans. Je m’arrête quelques instants sur ‘Gaston’, 85 ans. La 1ère fois que je le vois, c’est accroché à la manche d’un surveillant, pantoufle aux pieds en direction de l’UCSA (antenne de soin en milieu carcéral). Pensez donc à cet âge : ouie bien diminuée et réactivité qui se compte en minute. Son regard est complétement perdu et je me dis -excusez de cette violence- qu’il faut être des chiens pour en arriver là. Je le rencontre de nouveau à la bibliothèque et les quelques détenus que nous sommes avons vite fait de se douter du pourquoi il est là : vous savez, les médias en parle tous les 2 jours comme de l’ennemi de l’intérieur qu’il faut stigmatiser afin d’attiser le cerveau reptilien du pékin moyen. Le pervers à la sortie des écoles ! j’oubliais il y a maintenant les utra-gauchistes....sorry
Lors des correspondances, j’ai retrouvé un peu de mon intégrité, mais face à la douleur de mes proches, à la réalité qu’il faut se faire qu’une grande partie de votre tissu social est détruit (article dans les journaux[balancer à la vindique populaire], les on-dit etc..), le suicide revient à la charge. Il s’agit bien de mettre fin à ses jours en vue d’arrêter ce jeu de massacre et non pas comme le prétendent les juges ‘à cause d’un souci psy...et patati et patata, nous ni sommes pour rien et blabla...’. Vous êtes détruit, il n’y a plus d’avenir point ! 4 mois sans un courrier de mon avocat, sans une visite de sa part, sans une réponse rien ! Sujet non dit mais si tu ne payes pas, tu peux toujours attendre ! Au nom de tous ces malheureux, détruits à tout jamais dans leurs corps, leurs têtes, (car il en restera toujours quelque chose) j’accuse tout simplement la justice de crime de guerre.
4 mois plus tard, c’est l’heure de l’extraction. Comme son nom l’indique c’est dans la douleur que cela a lieu. Enchaîné comme un toutou voire entravé, je me retrouve devant le juge d’instruction ayant bien l’intention de lui dire ses quatres vérités, elle qui était si prompte à faire éclater sa vérité. Ni une ni deux, elle m’informe de ma mise en liberté (certes provisoire) parce que j’avais dit la vérité. Je n’ai même pas été capable de lui donner mon code postal, c’est pour vous dire l’état ! Ni une ni deux, n’ayant subit aucun contre interrogatoire me voici ‘vomi’ de la prison à 500 km de chez moi à 19h. Autre choc...Contrôle judiciaire, procès sine die, absence de réponse aux courriers avocats/juge, tissu social brisé, paranoïa et moults névroses, tout va bien la politique de terreur peut continuer...
Chers lecteurs mon histoire n’a pas d’importance en soi sur les détails mais dans l’actualité d’aujourd ‘hui elle permet de prendre du recul sur le fond. A quelque niveau que se soit de la société, l’état installe la peur : explusion, garde à vue, huissier, contrôle voiture tous les 5 km etc...afin de faire régresser la population en l’infantilisant et donc de lui faire accepter tout et n’importe quoi. Dans la justice, système héritée de l’inquisition (créer un aveu coûte que coûte), les résultats sont probants : Outreau, Patrick Dills, peut être Colona etc... et maintenant voler 2 tranches de jambons peut vous faire passer pour un criminel très dangereux sans que personne ne s’en offusque d’ailleurs. Prise d’ADN à tout va, fichage, contrôle judiciaire sur 3,4,5 ans tout est bon pour que la peur soit permanente et ainsi empêcher la moindre rébellion. Le casier judiciaire faisant le reste et plombe définitivement vos perspectives de projets. A l’heure où cet article est écrit nous avons atteint au moins 64000 détenus en France. Je vous site Alvaro Gil-Robles : ‘de ma vie, sauf peut-être en Moldavie, je n’ai vu un centre [Beaumettes] pire que celui-là ! c’est affreux’. C’est un euphémisme Monsieur ! La violence appelant la violence, que fait le détenu à sa sortie de prison : il récidive. Et l’on peut se dire, aux vues des réactions de certains citoyens face à celles-ci -dont on ne cherchera pas à s’expliquer- que l’on a bien avancé ! La machine du tout sécuritaire s’auto-alimente.
Devant autant de mépris des juges, devant autant de névroses ‘attrapées’ en centre de détention, devant autant d’événements indicibles dans les prisons, il viendra le temps où le mouvement va s’inverser. Avis à la population : attention au retour de boomerang énorme dans le civil (sortie des condamnés) qui sera proportionnel aux souffrances endurées au nom du peuple dans ces zones de non droits. Les prisons fabriquent une haine incommensurable, vous ne pouvez même pas imaginer. Le système pénitenciaire dans ce pays est sur la voie de la folie ! de l’autisme ! Et maintenant ce sont les surveillants qui se suicident ! mais shut....
Vous remarquerez que dans toute cette litanie d’horreur, que ce soit dans les médias ou dans la presse le principal acteur n’est jamais cité. Il s’agit du juge. Car enfin, qui signe l’arrêt de mort ? Tout le monde à en tête le grand carriériste Burgaud et ses grands besoins de justice. Pas d’émotion, pas de regrets, pas de remords, rien ! Faut-il être né salaud ? et combien d’exemples comme ça...N’importe qui peut se retrouver devant ces personnes qu’il faut bien qualifier de sadiques (voir à ce propos le témoignage des enfants du juge Laroche). Les juges se cachent derrière l’indépendance, la loi ou le secret de l’instruction mais dans la prison ou la population cela ne trompe personne ! Leurs silences cachent peut-être quelque chose d’inavouable...
Il me semble qu’il est temps de vous donner la parole, même si beaucoup d’idées appellent à plus de développement. Je passe le témoin...Je fais un clin d’oeil à Alain Draperi, que j’ai connu en détention et dont je conseille le livre (pour approfondir ou pour réfléchir sur les difficultés de la réinsertion : par exemple la nécessité de s’inventer une identité virtuelle...)
‘prison-récidive-insertion’ édition Edilivre (18.50 euros)
Extrait : ’Tant que ce problème [la réinsertion] ne sera pas réglé, nos prisons resteront des dépotoirs, de vulgaires abattoirs au sein desquels l’administration, faute de moyen, ne fera qu’assurer l’élimination sociale du condamné’
A vous Didier, Christophe, Sylvain, Greg, Alain et bien d’autres revenus de ces camps de la mort.
PS : merci de votre indulgence pour mon 1er écrit que je réalise ici (structure, expression etc...).
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