L’école égalitaire
Dans les années soixante-dix, avec le triomphe de l’idéologie de l’interdiction d’interdire, on a vu naître l’éducation antiautoritaire qui allait permettre aux enfants, enfin, de s’épanouir. Le mal, c’était la répression et l’ancienne pédagogie tyrannique. Ainsi, à l’instar des apôtres de l’école heureuse, on nous a appris que l’enfance est une minorité jusqu’alors opprimée, qui avait besoin de se libérer, et nous avons donc compris qu’il faut mettre l’enseignement au service de la liberté créatrice des élèves. L’ancien professeur, qui croyait ouvrir un monde aux élèves, fut congédié pour déficit démocratique et supplanté par le moniteur, qui noue des liens d’affection avec les gamins. Dans la relation amicale avec les élèves, les frontières s’effacent, les âges se confondent. Autrefois considéré comme un être en devenir, un être immature, on s’est aperçu que l’enfant a tout de l’adulte, et au même titre que l’adulte, on l’a affublé des droits de l’homme, et notamment, l‘égalité.
L’égalité eut vite fait de discréditer l’ancienne méritocratie. Le mérite, dont l’ancienne école républicaine faisait si grand cas, apparut désormais comme un piège, une imposture et le moyen non de donner à chacun sa juste place, mais de donner l’illusion d’équité au destin de chacun. Loin d’assurer le principe démocratique, la sélection par le mérite renforcerait l’inégalité. Ce qui a changé, à notre époque postmoderne, c’est le sens et le statut du concept de l’égalité. Les hommes ne sont pas seulement égaux en droit, on proclame qu’il n’y a pas d’inégalité naturelle. Nous sommes tous égaux, à tous points de vue. Raison pour laquelle, au lieu de laisser se déployer à l’école l’inégalité des talents, on s’emploie à la déconstruire. On ne stimule et promeut plus le bon élève, surtout quand il est pauvre, comme faisait alors l’ancien professeur, mais, afin de ne pas stigmatiser l’élève en difficulté, on ralenti et ajuste la leçon au niveau de ce dernier. Les écoles avec un trop fort niveau, qui décourage une partie des élèves, se voient condamnées pour non-assistance aux enfants en difficulté.
L'insistance sur l'importance du jeu pour apprendre se base sur l’a priori que les matières sont ennuyeuses. Devoir apprendre les maths, les sciences, la géo, l'histoire est supposé être une tâche désagréable et contraignante, qu'il faut rendre moins pénible en l'intégrant dans des jeux. Il faut sucrer la pilule. Dans le meilleur des cas l'enfant apprendra sans se rendre compte. L'école devient alors une récréation permanente, et c'est effectivement ce qu'il est arrivé. Ennuyer, voire blesser irrémédiablement l'enfant avec des dictées et des tables de multiplication à apprendre par cœur est tabou, et, en outre, inutile, puisque l'ordinateur s'occupe de l'orthographe et le calculateur du calcul. Dans cette école ludique l'autorité tyrannique du prof a été éradiquée et les élèves peuvent, enfin, s'épanouir.
L’idéologie égalitaire commence déjà à la maison, où les parents ont de moins en moins d’autorité, et à l’école, et encore plus aux collèges, facs, universités, les maîtres ne sont plus reconnus comme tels et il est spontanément admis qu’on ne leur doit aucun respect particulier. En ces lieux chaotiques, et la chose est désormais établie, l’autorité est bel et bien introuvable, chacun fait ce qu’il lui plaît, ce qu’il veut, ce qu’il peut, au grand détriment des élèves eux-mêmes qui ne parviennent plus à s’élever dans de telles conditions. Les gamins arrivent en faculté avec un lourd passé d’irrespect et d’intolérance à toute forme de discipline. Se considérer l’égal des professeurs empêche trop souvent l’attention nécessaire à l’étude de s’exercer. A quel titre devrait-on rester là, assis sur un banc, à écouter des discours rébarbatifs alors que l’on peut s’éclater avec son iPod à écouter de la musique, à jouer des jeux vidéo, ou à chatter avec ses copains ?
En se concentrant sur les élèves faibles ou « en difficulté », quel est le prix à payer pour le niveau moyen ? En se souciant de ceux qui ne peuvent pas suivre, on témoigne d’une louable mansuétude, certes, mais ne conviendrait-il pas de s’interroger sur ce qu’il advient, pendant ce temps, de ceux qui suivent bien, et qui attendent, et de ceux qui pourraient précéder, éclairer la voie, avancer plus vite ? On s’interroge à n’en plus finir pour savoir comment aider l’élève en difficulté sans jamais se demander s’il est meilleur pour la majorité des élèves de ralentir l’enseignement pour secourir les plus faibles. Le mot d’ordre selon cette idéologie est l’égalité, tous au bac. Ne serait-il pas plus utile et plus juste de promouvoir un accès égalitaire à l’enseignement supérieur, pour ainsi dire un accès égalitaire à l’inégalité que les diplômes supérieurs créent ? L’accès égalitaire, c’est-à-dire faire en sorte que personne ne puisse être empêché de faire des études par des contraintes matérielles, sociales ou culturelles, c’est-à-dire, concrètement, offrir une abondance de bourses de toutes sortes, créer une filière d’enseignement spécial, chargée de tout faire pour compenser, en cours d’études, les différences de niveau liées à l’origine, à la fortune, etc., tout en dirigeant les élèves en difficulté vers les filières moins exigeantes.
En concentrant toutes les attentions à l’enfant « défavorisé » on cherche à éviter que l’enfant favorisé, lui, n’ait aucun avantage sur le précédent et reçoive exactement la même éducation que lui, une éducation contrainte par ses besoins à lui, limitée par ses limites à lui. C’est garantir que le niveau général baissera. S’il faut s’adresser de préférence aux plus mauvais élèves, de sorte que l’on n’avance pas ou très lentement, les acquis s’amenuiseront, le niveau moyen s’abaissera, et la culture régressera.
Curieux effet des immenses progrès prétendus de la diffusion de la culture dans le public tels que les décrivait Jack Lang et les autres avocats de l’égalitarisme, tout est décalé d’un écran ou plus vers le bas. De même qu’à l’université les professeurs et étudiants sont obligés d’essayer de rattraper le travail qui n’a pas été fait au lycée, qu’au lycée on s’efforce de compenser les négligences du collège, dans les collèges on calfeutre comme on peut les trous laissés par l’enseignement primaire.
Poser la notion d’égalité comme un idéal ou un principe demeure très abstrait et ne dit pas grand chose des conséquences concrètes de l’application d’un tel principe. Il n’y a pas d’égalité dans la nature. Il n’y a que la différence ou la différenciation, et c’est ce qui fait la beauté du monde. L’extraordinaire variété des espèces et la diversité des êtres humains contribuent à rendre le monde plus beau. Si l’on veut l’égalité entre les hommes il faut l’imposer. Mais il n’est pas sûr, si l’on arrive à l’imposer, qu’elle soit souhaitable. L’égalité implique un nivellement vers le bas, qui peut se révéler désastreux. L’égalité porte en elle une perversité en ce sens qu’elle ne peut s’appliquer que pas la force. Ce n’est pas le principe d’égalité qui mérite tant de respect mais plutôt celui de l’équité.
Après trente ans de l’école égalitaire, menant une politique de lutte contre les inégalités, on constate qu’on les a aggravées. Pour lutter contre les inégalités sociales, on a abaissé le niveau d’exigence culturel de l’école. Mais plus l’école a baissé son niveau, plus le nombre d’élèves issus de familles pauvres accédant aux grandes écoles a diminué.
Réf. : L’école, malade de l’égalitarisme, Olivier Vial, jan. 2112
Le débâcle de l’école, Laurent Lafforgue, sept. 2007
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