Ma France se meurt chaque jour un peu plus sans s’en apercevoir et je reconnais de moins en moins le pays où je suis né, où j’ai grandi et appris une langue et une culture. Ce qu’il est devenu m’afflige de plus en plus et j’appréhende le jour prochain où je vais rentrer chez moi voir ce qui me reste de famille et visiter les quelques amis que je connais encore en France. Si j’avais la malhonnêteté intellectuelle d’un Yannick Noah, je dirais d’un ton prétentieux et péremptoire que je suis parti à cause de Sarkozy. Il n’en est rien. Je me suis expatrié bien avant pour des raisons professionnelles et par choix personnel sans pour autant renier ma patrie. Et pourtant, malgré mes origines diverses et variées, je ne veux et je ne peux me considérer autre que citoyen français. La France que j’aime, elle a commencé à mourir dès 1982, juste après les premières mesures libertaires de Mitterrand, quand toute une jeunesse applaudissait l’homme à la rose quand il autorisa les radios libres. On a tous constaté ensuite le virage à 180 degrés de ce leader se disant socialiste.
La démocratie à la française a tué la liberté au nom de celle-ci. Sarkozy ne fait qu’achever un travail commencé par Mitterrand et continué par Chirac. Et la répression actuelle n’est plus d’ordre politique, où si peu, elle est d’ordre sociétal et moral, même si je n’aime pas trop employer ce dernier terme. La répression politique, c’était l’affaire du général de Gaulle, du SAC et des barbouzes. La France est devenu un ramassis de geignards tant de droite que de gauche qui ont accepté pour ne pas dire plébiscité des mesures liberticides au nom de l’intérêt commun. La lâcheté de mes compatriotes me désole quand je les voie avoir peur à la fois des jeunes, des émigrés, des OGM, des composants des biberons, des jouets chinois, du réchauffement climatique des fumeurs et de la consommation d’alcool. En entendant les messages de prévention routière et surtout en constatant la traque fiscale des automobilistes à coup de contraventions et de radars, j’en arrive presqu’à regretter les 20.000 morts sur les routes des années 70, époque où l’on mourait encore de façon festive, (Je sais, c’est de la provocation, mais elle est nécessaire pour réveiller les consciences). Mes concitoyens en demandent toujours plus au niveau protection et sécurité, ils tendent les bras pour qu’on les enchaine et ils en réclament encore plus au nom d’un soi-disant bien être dans une prison doré et règlementariste.
Je me souviens d’avoir longtemps gardé chez moi un cendrier de l’Assistance Publique. Un immonde objet en plastique blanc, siglé des initiales de couleur bleue de l’institution. Aujourd’hui au nom de la santé des autres, on ne fume plus nulle part, et encore moins dans les hôpitaux. Pour chaque phénomène de société, on applique le principe de précaution, on recherche le risque zéro comme jadis les conquistadors partaient à la recherche de l’Eldorado mythique. La peur du réchauffement climatique, des pédophiles des pesticides rejoint celles venues de la nuit des temps. Je pensais que la science et la modernité allait nous débarrasser des vieilles lunes, or les Français se comportent de plus en plus comme du temps où les Gaulois avaient peur que le ciel leur tombe sur la tête et où leurs descendants craignaient les invasions barbares.
On a critiqué Georges Frêche pour de soi-disant « dérapages », chaque mot de travers fait monter les glapissements. Car la précaution ne concerne plus uniquement le tabagisme passif, l’alcoolisation des jeunes, la violence des cités et les émissions de carbone, elle concerne désormais le langage. Il faut se comporter civilement, c’est-à-dire ne rien dire ou ne rien faire qui puisse incommoder les autres.
Laurent Fabius ayant déclaré il y a quelques années qu’il aimait les carottes râpées, celui qui oserait dire qu’il les déteste serait immanquablement qualifié d’antisémite en tenant ce genre de propos « pas très catholiques ». Nous vivons dans l’ère du syllogisme et quand, pour rester dans le domaine alimentaire, un historien chercheurdécouvrira dans des archives inexplorées qu’Adolf Hitler aimait les coquillettes et le reblochon, il faudra les bannir des menus et des cantines scolaires pour ne pas encourager une dérive fascisante intolérable.
La Libération avait vu fleurir les libertés avec les zazous, le jazz, les existentialistes, Puis apparurent le rock’n’roll, les fesses de Polnareff sur les affiches, Gainsbourg, les films pornos, la contraception et l’avortement. Et malgré le Général de Gaulle qui voulait nous maintenir dans une morale du XIXème siècle, la société française évoluait doucement vers plus de liberté individuelle.
Mais les périodes d’indépendance et de libre arbitre sont rares dans l’histoire d’un pays. Les forces de pouvoir qui ne sont plus désormais d’ordre politique mais financier et médiatique ont toujours aimé dominer les consciences. Jadis ce rôle était dévolu à la religion et au pouvoir monarchique, il s’est déplacé dans les mains des faiseurs d’opinion. Et cette opinion est désormais écologiste et sécuritaire. L’histoire de France, si chère à Eric Zemmour n’a connu que de brèves périodes de liberté et encore, elles ont été imparfaites, que ce soit la Régence, le Directoire, la Commune ou les Années Folles. Pour l’époque la plus récente, la liberté des consciences s’est installée dans l’après-guerre et est devenue moribonde dès le milieu du premier septennat de Mitterrand, concomitant avec l’arrivée du sida et des aphorismes de fin de course du catholicisme agonisant malgré le « n’ayez pas peur » de Jean-Paul II adressé à un monde occidental mort de trouille.
La semaine dernière, je suis passé voir une amie ougandaise qui avait eu un accident de la circulation. J’étais avec un ami venu de Paris pour me rendre visite. A notre arrivée, la fille de la blessée de deux ans et demi m’a tendu les bras bien que je la connaisse à peine. Je l’ai prise sur mes genoux et je l’ai embrassé. Et puis j’ai fait remarquer à mon ami que j’avais de la chance d’être en Ouganda, car dans certains milieux hystériques en France, mon geste aurait pu être mal interprété. Quand j’ai appris qu’Air France faisait voyager les enfants non accompagnés sur des sièges isolés pour les protéger des attouchements éventuels de passagers adultes et qu’un photographe amateur qui avait pris des clichés de enfants dans la rue avait failli être lynché dans un village, je me suis dit qu’il fallait être véritablement inconscient pour prendre une gamine sur ses genoux. Et pourtant, il ne me serait jamais venu à l’idée d’ouvrir ma braguette ou d’introduire le moindre doigt sous la petite culotte. Ce sont les moralistes qui ont des pensées malsaines. Ces laïcs reprennent à leur compte les interrogations perverses des confesseurs de jadis qui traquaient le masturbateur, ces défenseurs de l’enfance sont ceux qui développent le plus les pensées abjectes dans la société.
J’ai pris cet anecdote pour mettre l’accent sur la dérive morale, hygiéniste et sécuritaire de la société actuelle. Mais j’aurais pu aussi parler des furieux qui vous agressent verbalement ou maugréent en haussant les épaules quand vous fumez dans la rue ou en attendant le bus. J’aurais pu évoquer les cinq légumes, l’alcool qu’il faut consommer avec modération ou les cris d’orfraies et anathèmes lancés à ceux qui ne pensent pas droit ou écologiquement correct.
Paradoxalement, cette France frileuse qui a peur de tout et de tout le monde, qui demande protection, sécurité et assainissement, n’a pas conscience qu’elle vit entourée de civilisations et sociétés qui n’ont pas autant la peur au ventre et qui créent, investissent et essaient de s’imposer au niveau mondial. Les délires écolos, la recherche du moindre mal, ne résisteront pas longtemps à l’agressivité économique de la Chine, de l’Inde et de la Russie qui n’ont pas encore été contaminées par notre culture de Bisounours pleutres. Et aller donc expliquer à des jihadistes armés jusqu’aux dents qu’il faut trier les ordures, interdire la corrida et porter des sous-vêtements en coton équitable !
Et pourtant, la France est un pays où il serait encore possible d’être heureux malgré Sarkozy. Ce président de pacotille ne fait la pluie et le beau temps que parce qu’une immense majorité de nos concitoyens veut bien le subir. Je rêve d’un pays redonnant goût aux plaisirs, à l’effort, aux sacrifices et à la dignité. Un pays de buveurs, fumeurs, baiseurs et jouisseurs, capable de travailler dur et défendre ses valeurs quitte à se battre, ce pays qui est le mien s’éloigne de ces objectifs et j’en souffre.
Une civilisation disparait uniquement quand ses dirigeants mais surtout son peuple sont faibles. Dans ma jeunesse on apprenait à l’école le sacrifice des deux Joseph, Bara et Viala, morts pour la République, aujourd’hui on les considérerait comme des enfants soldats victimes ! Alors j’avais envie de vous dire : réveillez vous tant qu’il est encore temps !
En rappel, ce couplet du Chant du Départ :
De Barra, de Viala le sort nous fait envie ;
Ils sont morts, mais ils ont vaincu.
Le lâche, accablé d’ans n’a point connu la vie :
Qui meurt pour le peuple a vécu !
Vous êtes vaillants, nous le sommes ;
Guidez-nous contre les tyrans :
Les républicains sont des hommes,
Les esclaves sont des enfants.