La menace du socialisme de guerre
Jay Hanson a été un pionnier dans le domaine du pic énergétique et de la soutenabilité. Son site, dieoff.org, a été le premier à soulever ces problèmes, à une époque, les années 90, où ils n’intéressaient qu’une poignée de spécialistes. Il a, en un sens, joué le même rôle sur Internet pour le débat sur le pic pétrolier et ses conséquences que le Club de Rome dans les années 70. Ce n’est donc pas sans un certain émoi que ce que l’on pourrait appeler le monde de l’écologie des contrainte l’a vu décrire dans son nouveau site, le système politique qui, à son sens, à le plus de chance de s’imposer dans le monde d’après le pic pétrolier : le socialisme de guerre.
Tous ceux qui ont lu les écrits antérieurs de Jay Hanson savent qu’il est favorable à une coopération internationale sur le mode du Protocole de Rimini – un projet de traité international visant à stabiliser les importations et exportations de pétrole avant de les réduire de manière coordonnée à l’échelle internationale au fur et à mesure de l’épuisement des réserves. Le socialisme de guerre est pour lui une solution de désespoir, née de la certitude que la crise des ressource n’engendrera pas une décroissance contrôlée mais une guerre de tous contre tous et que dans une telle situation, la seule chose à faire c’est d’essayer d’être parmi les survivants... à n’importe quel prix.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le prix est élevé.
Jay Hanson décrit – ou propose – huit stratégies visant à contrecarrer les effets des pics pétroliers et énergétiques globaux :
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Accroître notre part de l’énergie net disponible au niveau mondial par des actions militaires directes – ce qui concrètement signifie envahir les pays disposant les ressources dont nous avons besoin, les contrôler, directement ou via des gouvernements fantoches, afin de s’assurer que les dites ressources iront chez nous et pas chez nos concurrents.
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Accroître notre part de l’énergie net disponible au niveau mondial par des moyens économiques, en attirant des capitaux notamment par une augmentation des prix de l’immobilier, ou d’une manière générale de tout ce qui peut faire l’objet de spéculation.
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Réduire la demande énergétique interne en diminuant les activités économiques superflues
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Réduire la demande énergétique en réduisant la population (fermer les frontières, expulser autant d’étrangers que possible, réduire la natalité).
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Créer des "jardins de la victoire" partout dans le pays
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Investir massivement dans la recherche énergétique de base
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Supprimer les règles environnementales pour les énergies renouvelables. Arrêter toute construction de centrale électrique non-renouvelables, de routes et de logements.
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Un effort massif d’économie d’énergie, de production d’énergie locale et des investissements massifs dans les énergies alternatives
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Des transports publics gratuits
Toutes ces mesures ne sont pas stupides. Généraliser les jardins ouvriers améliorerait le pouvoir d’achat des plus modestes tout en allant dans le sens d’une plus grande soutenabilité de l’agriculture. Économiser l’énergie et investir massivement dans les renouvelables (les vrais, s’entend, pas les agro-carburants ou le photovoltaïque) sont des mesure de bons sens, tout comme généraliser la gratuité des transports publics – après tout si on veut en finir avec la civilisation de l’automobile il faut fournir une alternative, ne serait-ce que le temps de relocaliser l’économie. Diminuer l’activité économique afin d’économiser des ressources de plus en plus rares peut également se défendre, pour peu que cela se fasse dans le respect de la justice sociale.
Le reste, cependant, est beaucoup plus douteux et lorsqu’on la prend globalement cette politique ressemble plus à celle d’un Mussolini qui aurait lu La Décroissance qu’à l’humanisme, il est vrai parfois un peu naïf, généralement associé à l’écologie politique. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si dans le commentaire qu’il en fait Kurt Cobb l’associe au British National Party de Nick Griffin. Le BNP, qui a obtenu deux sièges aux dernières élections européennes est un parti d’extrême-droite assez classique en ce qui concerne leur vision de la société – ils n’aiment ni les homosexuels ni les juifs ni ceux qui ont le teint un peu trop mat. Contrairement à un Front National qui reste stupidement attaché à son ultra-libéralisme et à son populisme traditionnel, cependant, le BNP est favorable à une certaine forme de décentralisation, à la généralisation de l’agriculture biologique, à la nationalisation des transports et à la propriété coopérative de la production énergétique, le tout par les blancs pour les blancs naturellement.
C’est pour cela que Cobb, et dans un autre registre Greer, le considère comme dangereux. Alors que l’extrême droite française se complait dans le ressassement de ses haines et de ses défaites, Griffin combine sa xénophobie traditionnelle à un discours environnementaliste et décroissant qui se demande comment les Britanniques – ou plutôt la vision restrictive qu’il en a – pourront survivre au milieu d’une crise qu’il juge d’autant moins inévitable qu’il la souhaite. Le résultat est une idéologie potentiellement dévastatrice dans le monde de ressources rares qui nous attend. D’autant plus dévastatrice qu’elle n’a guère de concurrents. Comme le rappelle Greer le premier mouvement politique qui trouvera une réponse plausible au pic pétrolier devrait définir le discours politique sur l’énergie et la société pour les décennies à venir.
Ce ne sera certainement pas les Verts. Leur acharnement à défendre le mode de vie bourgeois-bohème fait parfois penser à des romains du bas empire militant pour les "orgies soutenables" et "l’esclavagisme équitable". Il n’en reste pas moins que l’extrême-droite n’est pas la seule sur les rangs. On peut tout à fait imaginer qu’un groupe de gauche dure associe anti-capitalisme, nationalisme et idées décroissantes – n’oublions pas, après tout, que Mussolini venait de l’aile gauche du Parti Socialiste Italien. Le résultat ressemblerait sans doute à la Pologne des années 80 ou à l’URSS de Brejnev avec des étendards d’une couleur légèrement différente.
Pour l’instant cette alchimie idéologique ne s’est pas opérée. Riposte Laïque et la mouvance qu’elle représente a enveloppé sa xénophobie d’un voile laïque mais les préoccupations écologiques lui restent totalement étrangères. Le POI a sombré dans le social-nationalisme le plus rance mais sa cible c’est l’Union Européenne, pas les immigrés. Quant à l’écologie... Trotsky n’en parle pas donc lui non plus. Lutte Ouvrière s’est elle rendu compte de l’existence des idées décroissantes, mais c’est pour les rejeter comme "réactionnaire" avant de s’enfermer dans un discours pseudo-scientiste. Le courant républicain, de Soral à Chevènement a largement démontré son goût pour les hommes forts ainsi que son peu d’appétence pour l’immigration, mais son productivisme foncier cadre mal avec un discours décroissant.
Le Parti de Gauche pourrait aller dans cette direction. Son fondateur Jean-Luc Mélenchon est connu pour ses saillies nationalistes et les minorités un peu trop voyantes ne sont manifestement pas sa tasse de thé. Il a, au cours de la campagne des européennes donné une interview remarquée, quoique pleine d’ambiguïtés, à la Décroissance. On le voit mal, cependant, expulser en masse les étrangers. C’est un patriotard, c’est en entendu, mais il ne mange pas de ce pain. D’ailleurs ses troupes – fort maigres quoi qu’on en dise – ne le suivraient pas.
Il faudra sans doute attendre que la crise des ressources s’impose à tous comme une réalité indéniable et qu’une nouvelle génération d’hommes politique accède aux responsabilités pour que le socialisme de guerre s’incarne dans un mouvement politique, tout au moins en France. Le menace est là, cependant, cachée derrière les appels à un état fort ou à l’unité de la nation, ou dans les ambiguïtés et les prétentions révolutionnaires de certains partisans de la décroissances. Ce répit il nous faut de toute urgence l’utiliser pour élaborer une véritable réponse, réaliste, adaptative et humaniste, au pic énergétique global, car si nous laissons germer cette graine, ce sera pour le malheur et l’enseignement des hommes.
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