La valeur travail à l’heure de l’économie de la connaissance
Les sociétés du XXème siécle se sont toutes organisées autour du travail. Qu'elles soient capitalistes ou communistes, toutes les sociétés ont fait du travail leur valeur principale, qu'il s'agisse d'une source d'enrichissement financier ou d'une valeur noble destinée à produire des richesses pour la société dans son ensemble. Mais depuis le passage à l'ére post-industrielle et à l'économie de la connaissance dans les années 70, le chomage de masse fait des ravages. Le travail peut il rester la valeur au centre des société du XXIème siécle ?
Une valeur encore partagée par la droite et la gauche
Si certains politiciens ont essayés de faire croire que le travail est une valeur "de droite", rien n'est pourtant plus faux. Bien avant que les sociétés capitalistes ne s'emparent de la valeur "travail", le marxisme en faisait la valeur centrale de son projet de société.
La seule différence entre droite et gauche sur le travail consiste d'un coté à considérer que le chomeur est responsable de ce qui lui arrive et donc qu'il ne faut pas l'assister. Et de l'autre à considérer que le chomeur est victime du fait qu'il n'ait pas de travail et donc qu'il faut l'aider.
Cette focalisation sur la valeur "travail" est lié au fait que société capitaliste et société socialiste sont toutes deux des sociétés industrielle. La production de biens manufacturés est au centre de leur économie et cette production nécéssite avant tout du travail. Marx, dans son oeuvre avait d'ailleurs confondu la société industrielle et le capitalisme tant l'une lui paraissait résulter de l'autre. Il prévoyait qu'un jour, nous allions être en situation de surproduction et que cela sonnerait la fin du capitalisme, et non celle de la société industrielle.
La transition vers la société post-industrielle
Or, nous sommes passé depuis les années 70 dans une société post-industrielle. Cette société peut se définir de la façon suivante :
- La capacité industrielle disponible suffit à la satisfaction de la demande solvable. Nous avons en conséquence atteint le seuil de surproduction dont parlait Marx.
- En conséquence, être capable de produire des biens industriels en quantité n'est plus une garantie de succès. Pour réussir, il faut être capable de produire des biens innovants pour bénéficier pendant quelques années d'une demande solvable. Lorsque cette demande solvable aura été satisfaite, il faudra changer de produit.
- Si c'est l'inovation qui fait la valeur du produit, alors il se crée une séparation des tâches entre des entreprises qui innovent sans produire et des entreprises qui produisent souvent sans innover. Les premiéres sont restées à l'ouest, les secondes ont migrées à l'est.
- Les travailleurs ne sont plus recherchés pour leur force de travail (celle ci ne vaut plus grand chose sur le marché) mais pour leur créativité et leurs connaissance. C'est ce que l'on a appelé l'économie de la connaissance.
- L'innovation agit ainsi comme une drogue : les entreprises doivent suivre pour avoir un "shoot" de compétitivité, mais le shoot ne fait pas effet très longtemps. Elles doivent donc sans arrêt innover. Elles sont dépendentes à l'innovation. Les entreprises qui tolérent bien l'innovation continue s'en sortent sans trop de problèmes, les autres s'endettent et voient leur productivité réelle s'effondrer.
- Le capital a une durée de vie plus courte, et l'innovation demande des capitaux très importants. En conséquence l'économie se financiarise à grande vitesse. Les entreprises qui arrivent à rentabiliser leurs innovations s'en sortent bien, les autres se font progressivement asphyxier par les dettes.
Ce passage vers la société post-industrielle a eu des conséquences diverses : Le socialisme avait été conçu autour de la société industrielle comme une alternative au capitalisme. Il n'avait jamais été question que ce modéle de société change. Dès les années 70, les économies socialistes sont entrées dans un déclin profond. Le système était inadaptable à cette société post-industrielle et il s'est effondré en 1989.
La société capitaliste existait avant la société industrielle et lui collait donc moins comme un gant. Elle s'est financiarisée mais continue à tenir. Toutefois, les tensions se constatent tous les jours, notamment au sujet de la valeur travail et la contestation de la place de la finance.
Pourquoi la société post-industrielle détruit des emplois ?
La société industrielle nécéssite des investissement très lourd dans ses entreprises, mais ses capitaux sont à grande durée de vie : Amortir une usine sidérurgique sur 20 ans avait du sens. En conséquence, elle met en place des barriéres à l'entrée qui la protégent contre l'innovation radicale. A l'inverse, la société post-industrielle vise à des investissement moins lourds mais à durée de vie beaucoup plus courte. Dans l'industrie de la technologie, les financiers souhaitent "sortir" de leur investissement en 5 ans. Ce modèle n'offre aucune résistance à l'innovation radicale, au contraire il la récompense. Un adage dans l'industrie de la technologie dit que si vous prenez un marché et que vous pouvez détruire 90% de sa valeur, tout en gardant les 10% restant pour vous, acteur des technologies,alors vous avez un bon business plan. Dans de nombreux cas, l'innovation radicale n'existe que parce qu'elle détruit de la valeur ailleurs. Le public y gagne s'il n'est pas au chomage car il profite pour peu cher de biens qui autrefois valaient beaucoup plus cher.
Mais de l'autre coté, les gains de productivité exponentiels détruisent de très nombreux emplois. Contrairement à une idée répendue, ce ne sont pas uniquement les emplois "low cost" qui sont touchés. Le gros des supressions d'emplois liées à l'informatique concerne des employés de bureau intermédiaires (notamment administratifs) dont l'emploi a été rendu "redondant".
Le phénoméne des délocalisations masque pour le public ce phénoméne de l'innovation radicale, mais de nombreux économistes constatent aujourd'hui que les délocalisations sont responsables de moins de 5% des destructions d'emploi.
La technologie plus impossible à réguler que la finance ?
La quasi inexistance de régulation politique vient accélérer le phénoméne. En général, une société existe et se maintient car elle maintient des bornes sur ce qui est permis ou pas, toléré ou pas, ... Dans une démocratie, ces limites sont transgressables, bien sur, mais elles existent. Jusque dans les années 60, il semble que le pouvoir politique parvenait assez bien à maintenir une société très stable et à ralentir l'evolution des choses. La télévision a ainsi été maintenue sous contrôle et apprivoisée par le pouvoir politique.
Mais l'accélération des innovations radicales et le fait qu'elles sont devenues indispensables à la bonne santé économique de nos pays rend toute auto-régulation impossible. Internet est incontrôlable non seulement car il a été conçu pour l'être mais surtout car aucun état ne peut ajourd'hui se priver de la croissance économique qu'apporte le réseau. Dès lors, la régulation politique de la technologie est amenée à être quasi inexistante.
Rapidement, nous arrivons à la société décrite par Neil Postman dans The Technopoly : Une société dont toutes les caractéristiques sont dictées avant tout par l'état de l'art de la technique et ou aucun contre pouvoir philosophique ou religieux n'existe.
Vers une place plus réduite pour la finance ?
Certains lecteurs objecteront certainement que c'est pourtant la haute finance qui contrôle tout. Mais s'il est vrai que la finance a vu son rôle accru du fait du besoin de financement de la transition technologique, il est pourtant fort probable que la financiarisation de la société soit transitoire.
Car si dans un premier temps, il suffit d'investir dans la technologie pour avoir un avantage compétitif, cela cesse d'être vrai lorsque la machine s'emballe. Les premiers signes apparaissent aujourd'hui :
- De nombreuses entreprises de technologie ayant eu recours au private equity ne parviennent plus à atteindre l'équilibre financier. A l'inverse, de nombreuses sociétés de ce même secteur ont réussi à s'autofinancer. Il semble que de plus en plus, la connaissance et le capital humain ait une importance énorme dans le succés ou l'échec d'une aventure technologique. Actuellement le capital financier se paie à prix d'or ces sociétés. Mais souvent il ne parvient plus à les rentabiliser après le départ de leurs fondateurs. Le rendement des fonds de private equity est ainsi en chute libre aux USA. Et les investisseurs grondent.
- Dans de nombreux secteurs sans valeur ajoutée, le retour sur investissement devient tellement faible qu'investir n'a plus aucun intérêt.
Or, le capital financier permet souvent de financer des structures larges qui créent un nombre d'emplois significatif notamment en dehors du strict secteur technologique. (Fonctions de marketing, communication, etc, ...). Si ils deviennent moins actifs des pans entiers de l'économie vont se trouver en recession, sans que cela ne freine l'innovation.
Vers un monde sans travail
Toutes ces données pointent vers un monde ou tout le monde ne pourra pas avoir de travail. Ceci ne concernera pas que les métiers peu qualifiés. La dématérialisation des documents juridiques prive actuellement de nombreux jeunes avocats américains de travail par exemple.
Le nécéssaire désendettement (à la fois public et privé) de nos sociétés va faire le reste en forcant à des économies drastiques et donc à une optimisation toujours plus grande. De nombreux postes administratifs vont ainsi être rendus redondants dans les grandes entreprises. Ainsi, un taux de chomage approchant les 50% de la population active n'est pas inimaginable et ce notamment dans les pays qui ont une faible culture technologique.
Dès lors, il n'est plus raisonable d'orienter nos sociétés sur la "valeur" travail. Bien sur, le travail productif doit être récompensé. Mais il faut trouver un moyen de ne pas stigmatiser ceux qui n'en auront plus afin que la société puisse tenir. Le revenu universel est une proposition qui va dans le bon sens. En permettant à chacun de vivre dignement (mais pas dans le luxe) le revenu universel permet d'offrir une protection sociale sans assistanat (vu que tout le monde le touche). Inversement ceux qui travaillent gagnent forcément plus que ceux qui ne travaillent pas. Toute la société devra être repensée autour de cette oisiveté forcée. Nous n'avons pas beaucoup de temps !
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