Nous sommes dans une époque où règne une grande confusion dans beaucoup de domaines, les valeurs sont dénaturées, le sens des mots dévoyé. Ceux-ci se voient trop souvent détournés de leur sens, et malheureusement, quelque fois, pour des raisons politiciennes ou idéologiques.
Il en est ainsi pour les mots « laïcité, laïc, laïque ». Quel est le véritable sens de ces mots ?
Laïc (masculin) et laïque (féminin), étymologiquement, viennent du mot latin « laicus » qui lui-même vient du grec ancien « laikos » qui signifie « qui est du peuple », « qui est ordinaire »… Ce n’est que vers le 13ème siècle que ces mots sont apparus. Pour L’Église catholique les mots laïc et laïque ont désigné les fidèles catholiques qui n’étaient pas membres du clergé, ceux-ci étant appelés « clercs », mot désignant l’ensemble des curés, des prêtres, évêques, et autres religieux (le clergé)…
Le mot laïcité est apparu beaucoup plus tard, à la fin du 19ème siècle au moment où est apparu le problème de la séparation de l’État et de l’Église. Il a désigné d’abord ce qui est indépendant de toutes confessions religieuses, puis il a aussi désigné le principe de séparation de l’État et des institutions religieuses.
C’est dans un contexte de lutte politique passionnée entre les partisans de la séparation et leurs opposants que finalement est née la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État. Le rapporteur du projet de loi, Aristide BRIAND, socialiste, soutenu par Jean JAURES, lui aussi socialiste, ont réussi à faire adopter une loi équilibré malgré la vive opposition des extrémistes cléricaux et des extrémistes anticléricaux. Loi adoptée par l’Assemblée nationale le 3 juillet 1905, puis par le Sénat le 6 décembre et promulguée le 9 décembre 1905.
Quel est l’esprit de cette loi ? Elle distingue le pouvoir politique, c'est-à-dire l’État et l’ensemble des pouvoirs publics, des institutions religieuses, à l’époque l’Église catholique, les Églises protestantes, et la religion juive. L’État doit rester neutre face aux institutions religieuses et celles-ci ne peuvent intervenir en tant que telles dans le fonctionnement de celui-ci. Il garantit la liberté des cultes, les manifestations religieuses devant respecter « l’ordre public ». L’État ne place aucune opinion au dessus des autres (religions, athéisme, libre pensée, idéologie, philosophie…). C’est ce que l’on appelle « l’égalité républicaine ».
Nous voyons donc que la laïcité est quelque chose qui s’impose aux Pouvoirs Publics. L’État ayant l’obligation 1) de rester neutre face aux différentes pensées : religieuses, athées, philosophiques et autres… 2) de garantir la liberté de culte et d’expression… Voila ce que dit l’article 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous la seule restriction édictée ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ». Et l’article 27 : « Les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte, sont réglées en conformité de l’article 97 du code de l’administration communale », c'est-à-dire comme toutes les autres manifestations politiques, syndicales ou autres…
Donc cette loi s’impose aux pouvoirs publics, et il n’y a rien dans cette loi de 1905 qui concerne le comportement du citoyen ou de la citoyenne qui sont redevables des différentes déclarations des droits de l’homme reconnues par la France : « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen » de 1789, « Déclaration Universelle de Droits de l’Homme des Nations Unies » de 1948.
On peut conclure de tout cela que toutes expressions quelles soient religieuses, philosophiques, politiques ou syndicales peut se dérouler dans l’espace public sous réserve de respecter l’ordre public et c’est un devoir pour l’État de faire respecter cela…
Ainsi pendant presque un siècle la République a vécu sous ce régime. Ce qui était finalement devenu banal pour chacun. On pouvait voir sans que cela ne pose de problème à quiconque, des manifestations religieuses dans l’espace public, comme toute autre manifestation, des élèves portant croix ou kipa dans les établissements scolaires… Et cela n’offusquait personne !
Puis au début des années 2000 tout a basculé, le sens du mot « laïcité » et sont esprit a été dévoyé, déformé, détourné, l’esprit de la loi de 1905 perdu… Mais que s’est-il donc passé ? Quel cataclysme s’est abattu sur notre République pour transformer si profondément ces valeurs ?
Voila, l’œil du cyclone était à Aubervilliers au lycée Henri WALLON, et ce cyclone s’est abattu sur notre pays à la rentrée scolaire 2003… Ce fut une véritable tempête médiatique et politique. Notre République était en danger et elle menacée de s’effondrer si de fortes mesures n’étaient pas prises dans les plus brefs délais ! Tous les chefs politiques, et autres « élites » se pressaient devant les micros et les caméras pour faire comprendre au bon peuple combien l’heure était grave et qu’il fallait agir d’urgence !!! Même le Président de la République a donné de la voix !
La cause de cette tempête ? Deux frêles jeunes filles de 16 et 18 ans : Alma et Lila LEVY, deux sœurs, dont la mère est d’origine algérienne, et le père, Laurent LEVY, athée et militant à la LCR de BESANCENOT… Alma et Lila se sont converties à la religion musulmane et ont décidé de porter le foulard sur la tête… C’est ainsi que revêtues du foulard elles se sont présentées au lycée et leur refus de l’enlever et leur détermination a été « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase »… Car depuis 1989 le monde politique était en effervescence à cause de ce fameux foulard ! En Novembre 1989 le Conseil d’Etat, saisi par le Gouvernement émet un avis qui stipule que le port du foulard en tant qu’expression religieuse est compatible avec la laïcité sauf s’il y a caractère ostentatoire, revendicatif ou prosélyte… En 1994 (le 20/09) il y a la circulaire BAYROU qui dit que le foulard est un signe « ostentatoire » qui peut constituer un acte de pression, de prosélytisme ou de propagande…
C’est donc dans ce climat passionnel que fut votée la loi portant sur « l’interdiction des signes religieux à l’école », elle fut promulguée le 15 avril 2004 et elle dit : article 1 : « Dans les écoles, les collèges, les lycées publics ; le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ». Les décrets d’application précises qu’il s’agit du foulard, de la kippa, et du turban sikh, les croix si elles sont « discrètes » sont autorisées… On n’a pas précisé ce qu’est une croix « discrète » : fait-elle 2cm, 10cm, 20cm de hauteur ??? Jusqu’à cette loi, les kippas, les turbans sikh et les croix « non discrètes ? » étaient admis et ne poser pas de problèmes ostentatoires ou prosélytes !! Ce qui signifie que c’était bien le foulard « islamique » qui était visé, donc l’islam !
Si on lit les textes officiels qui inspirent toujours la République on constate facilement que cette loi est en contradiction totale avec la loi de 1905 (art.1er et 27), avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen inscrite dans la constitution de 1958 (art.10) et avec la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, ratifiée par la France (art.2, 18, 19). L’État se trouve dans une situation très paradoxale, voire schizophrénique : il est dans l’obligation de garantir la liberté d’expression (loi de 1905) et en même temps il restreint la liberté d’expression (loi de 2004), comprenne qui pourra !
Ceux qui soutiennent cette loi de 2004, pour justifier celle-ci avance comme argument que la religion est une « affaire privée » ? Ҫa signifie quoi ? Que l’on ne peut exprimer ses convictions religieuses qu’une fois enfermé chez soi ? C’est contraire à ce que dit la loi de 1905 et contraire même au principe de « liberté d’expression » qui suppose l’expression dans l’espace public. Si on ne peut s’exprimer dans l’espace public il ne peut y avoir de « liberté d’expression ! Donc dire que la religion est une affaire privée c’est refuser la liberté d’expression religieuse, et faire comme si les Déclarations des Droits de L’Homme, celle de 1789 et celle de 1948, n’existaient pas !…
Depuis cette loi de 2004 je pense que le principe même de « Laïcité » a été dévoyé, perverti en créant une obligation de comportement laïque aux citoyens alors que la Laïcité est un attribut et une obligation pour l’État et une Liberté pour le citoyen…
Post-scriptum. J’insiste fortement sur le fait que je ne suis adepte d’aucune des trois religions monothéistes. Je respecte ces religions comme je respecte les convictions de chacun… Par contre je suis très réservé envers les institutions religieuses qui ne sont que des constructions humaines avec toutes les dérives propres à ces institutions qu’elles soient religieuses, politiques, économiques ou autres ! Je constate aussi que l’on fait des confusions entre « religions » et « institutions religieuses ».Une religion étant tout simplement un enseignement, un message, une « philosophie de vie »…
Par exemple le Bouddhisme ne voit pas l’individu à travers ses opinions ou convictions mais il regarde au-delà de cela, qui finalement ne sont que des artifices. Chacun est important par ce qu’il « est » et non par ce qu’il pense ou croit. Et ce qu’il « est » se révèle par ce qu’il fait, par son comportement, par ses actes… Ce qui est important c’est ce que je fais et les conséquences de ce je fais sur les autres et mon environnement et ces conséquences peuvent aller très loin ! Donc je ne peux faire n’importe quoi n’importe comment, je dois être attentif aux autres. C’est que l’on appelle le respect de l’autre : les fondements du Bouddhisme sont la bienveillance envers tout ce qui vit, le respect, la compassion, la non-violence… Il est donc important d’être à l’écoute de l’autre, pour cela il faut être dans le non-jugement de l’autre et essayer de le comprendre : « …Ne pas déplorer, ne pas haïr, mais comprendre… », disait SPINOZA.
Lorsque la tempête médiatique s’abattit sur ces malheureuses filles porteuses de foulard on ne peut pas dire qu’on ait cherché à les comprendre, on a beaucoup parlé d’elles mais on ne les a pas laissé parler : les raisons de leur choix, leur motivation, leur espérance, le sens de leur démarche, le drame qu’elles vivaient. On ne les a pas écouté, on ne les a pas vues dans les grands médias : information toujours à sens unique, dévoyée, manipulée, unilatérale. Elles ont été vilipendées, dénigrées et condamnées sans jugement… Nous vivons dans un monde où l’on ne cherche pas à comprendre, mais plutôt à rejeter, à stigmatiser ! Elle est loin « l’égalité républicaine » prévue par la loi de 1905 !…
Guy RAYNAUD