Autisme : le scandale du packing
Les 14 et 15 octobre derniers avait lieu à Biarritz un colloque intitulé "Médiations Corporelles Thérapeutiques" organisé par l'association "Corps et Psyche". Pendant ce colloque, une manifestation de plusieurs associations de parents d'enfants autistes a perturbé quelque peu le déroulement des débats, comme le rapporte la presse locale (cliquez ici). Que s'est-il passé et pourquoi des parents manifestent-ils ainsi pendant un colloque professionnel ?
Ce qui a ainsi cristallisé la colère des parents d'enfants autistes, c'est la technique dite du "packing", présentée lors de ce colloque par deux psychomotriciens de la région bordelaise (voir ce lien). Il s'agit d'une pratique qui se répand de plus en plus dans les hopitaux de jour (psychiatriques) ainsi que dans des centres de soins type Centre Médico-Psychologique ou même des Instituts Médico-Educatifs accueillant des enfants autistes. Elle consiste à envelopper et serrer l'enfant, étroitement dans des draps mouillés et refroidis à 10°C (extraits du réfrigérateur en début de "pack"), le visage seul restant libre. L'enfant est nu à l'exception en général de son slip. On maintient ainsi l'enfant complètement nu (ou l'adolescent, ou l'adulte) étroitement serré pendant 45 à 60 minutes, sans qu'il soit capable de bouger, le temps qu'intervienne d'abord un choc thermique sous l'effet du froid intense des draps, suivi d'un réchauffement progressif sous l'action des défenses physiologiques du corps.
L'idée de départ de ce "soin" très particulier est d'aider l'autiste à "reconstituer son moi-peau psychique" de façon à surmonter ses "angoisses de morcellement". On s'inscrit donc ici dans une théorie psychanalytique de l'autisme selon laquelle la personne autiste se replie sur elle-même sous l'effet d'angoisses primitives "de morcellement" du fait d'une image de son corps "éclatée" ou "morcelée", qu'un tel traitement doit aider à rassembler pour la faire "sortir de l'autisme". C'est pourquoi pendant les 45 à 60 minutes d'enveloppement, un "thérapeute" est présent et parle à la personne packée afin de mener à bien la thérapie.
Cette technique a initialement été utilisée dans les années 60 avec des adultes schizophrènes violents. En France, le Pr Delion du CHU de Lille travaille depuis des décennies pour diffuser cette pratique avec les autistes, et le packing se répand donc petit à petit dans le milieu des hopitaux psychiatriques pour enfants autistes (hopitaux de jour) mais aussi comme on l'a dit dans des centres type CMP et IME. Or, et c'est là le problème, personne n'a jamais validé sérieusement le packing. Personne n'a étudié ses effets à court, moyen et long terme sur les personnes packées. Personne ne sait s'il y a des effets indésirables et lesquels. Et surtout, cette pratique se répand au détriment des méthodes de prises en charge éducatives demandées par les associations de parents depuis 30 ans et que les mêmes hôpitaux, CMP et IME refusent de mettre en place (voir notre précédent article "Autisme, le casse-tête et l'horreur”).
Au-delà de ces considérations scientifiques et médicales, on peut se poser la question du caractère éthique d’un tel traitement, qui consiste à maintenir immobile un individu parfois très jeune (dès 3 ans) sans qu’il puisse bouger, ne serait-ce que pour se gratter ou satisfaire un besoin physiologique quelconque, dans des draps très froids. Question à se poser avec d’autant plus d’acuité lorsqu’il s’agit d’un individu incapable d’exprimer une éventuelle détresse, compte tenu de son handicap, et qui de surcroit est très angoissé du fait d’une incapacité générale à comprendre le monde qui l’entoure et ce qu’on attend de lui ou ce qui va lui arriver. C’est précisément ces questions qui amènent la plupart des associations de parents à dénoncer cette pratique comme potentiellement maltraitante et à exiger un moratoire immédiat et général tant qu’une évaluation exhaustive n’aura pas été menée, incluant les questions d’éthique et de bientraitance. Malgré des appels répétés aux pouvoirs publics, ces aspects n’ont jamais été examinées sérieusement, le Haut Conseil de la Santé Publique, saisi par Mme Bachelot début 2010, ayant refusé de se prononcer sur la question (lire son avis ici).
Selon ses promoteurs, le packing est utilisé uniquement dans des cas "extrêmes" d'autiste non verbal, violent ou auto-mutilateur, et pour lesquels "tout le reste a échoué". Cette pratique selon eux permet de limiter le recours aux médicaments neuroleptiques et serait donc plus humaine et bientraitante. Or, sur le terrain, force est de constater qu'on est bien loin de ces affirmations. Ce qui se passe est proprement scandaleux mais personne ne le sait, le secret est bien gardé et les parents concernés soit ignorent ce qu'on fait à leurs enfants, soit ont peur de parler, car on les menace d'exclure leur enfant du centre où ils ont attendu qu'une place se libère pendant des années. Dans la réalité, comme l'attestent plusieurs témoignages, le packing est pratiqué sur toutes sortes de profils de personnes avec autisme, pas seulement des "autistes sévères violents et non verbaux" comme on veut le faire croire. Au contraire, des enfants autistes verbaux ou des personnes atteintes du syndrome d'Asperger, ont aussi subi cette pratique. De plus, en violation de la loi, on utilise le packing sans forcément en informer ni demander l’accord des parents, pourtant responsables légaux de l'enfant. S'ils s'en aperçoivent et qu'ils demandent que cela cesse, on leur répond en général "je suis le psychiatre directeur de l'établissement, c'est à moi de décider des thérapies, pas à vous", suivi de "si ça ne vous plait pas la porte est ouverte", ou pire, "si vous refusez, on vous signalera aux services sociaux pour défaut de soins".
Quant aux effets supposés du packing, la encore un énorme hiatus se fait jour entre la parole des professionnels qui le promeuvent et celle des parents dont l'enfant l'a subi. Ainsi, ce témoignage d'une mère qui a retiré son fils du CMP où il était packé, le jour où un jeune infirmier stagiaire, livide, l'a prise à l'écart pour lui raconter la séance de packing dont il avait été témoin. Cette mère raconte que pendant des semaines son fils était terrorisé par les draps de lit et refusait de se coucher, qu'il avait besoin que sa mère le rassure longuement avant d'accepter de se coucher et s'endormir. D'autres parents, amers, admettent qu'au début il leur a semblé noter une amélioration, un enfant plus calme, jusqu'au jour où ils ont découvert à quel prix ce résultat était obtenu, mais surtout leur colère finit par éclater lorsqu'ils apprennent l'existence d'autres méthodes bien plus humaines et efficaces pour juguler les crises, violences et automutilations, en l'occurence les méthodes éducatives cognitivo-comportementales TEACCH et ABA. Ces méthodes sont très rares dans les centres spécialisés pour autistes du fait de la résistance idéologique des psychiatres se revendiquant de la mouvance psychanalytique.
Ainsi, l'alternative n'est pas "packing ou neuroleptiques", mais bien "packing ou éducatif". La France, sous l'influence de la vision psychanalytique de l'autisme qui y fait tant de mal depuis 40 ans, a choisi la première voie, en une sorte de fuite en avant toujours plus profond dans le gouffre des théories obsolètes et des prises en charges inefficaces, alors que le reste du monde a depuis longtemps opté pour la seconde, en raison d'un simple constat d'efficacité, d'utilité, et de bientraitance.
C'est ce qui explique la stupéfaction et la consternation des médecins et scientifiques internationaux qui découvrent comment les autistes français sont pris en charge. Ainsi, réunis en congrès fin 2010 à Catane par l'association Autisme Europe, publiaient-ils une déclaration conjointe "Contre le packing, une déclaration de consensus" qu'ils concluaient par ces mots : "cette « thérapie » ne tient pas compte des connaissances actuelles sur les troubles du spectre autistique ; elle va à l’encontre des paramètres des pratiques fondées sur des preuves et elle va à l’encontre des grandes lignes directrices des traitements reconnus aux États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Espagne, Italie, Hongrie et en Australie. De notre point de vue, elle risque d’empêcher ces enfants et adolescents d’accéder à leurs droits fondamentaux à la santé et l’éducation" (article originel : lien ici).
Pendant ce temps, en France, les psychanalystes et leurs associations professionnelles continuent de propager cette technique par le biais de congrès comme celui de Biarritz, ou de formations universitaires (financées par l'Etat) comme celle de Paris VII (détails ici), ou encore de formations continues organisées par le principal syndicat professionnel des psychomotriciens (détails ici). Tout cela, encore une fois, alors qu'aucune étude scientifique n'a jamais validé une quelconque efficacité, alors que les risques de maltraitance sur lesquels alertent depuis des années les grandes associations de parents comme Autisme France, Vaincre l'Autisme ou encore Pro Aid Autisme, n'ont jamais été prises au sérieux par les pouvoirs publics malgré les arguments concrets qui leur ont été présentés. Et tout cela, évidemment, au détriment de la mise en place des prises en charges réellement utiles, efficaces et bientraitantes que les parents réclament depuis des années sans les obtenir par la faute de la résistance acharnée des psychiatres en place.
Pour parachever le tableau, quand on regarde la liste des participants à ce colloque de Biarritz ou aux diverses formations sur ce packing, on peut y reconnaitre de grands noms de médecins qui dirigent les Centres Ressource Autisme de plusieurs régions. Ces mêmes centres mis en place lors du premier plan autisme pour faire enfin progresser le diagnostic et la prise en charge de l'autisme, après une condamnation de la France devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Ainsi comprend-on la colère des parents : ces centres, censés aider leurs enfants par le biais de diagnostics améliorés et de prises en charges adaptées, sont pour certains dirigés par des personnes qui promeuvent des pseudo-thérapies jamais validées et décriées tant par les associations de familles que par les spécialistes internationaux de l'autisme.
Alors quel espoir aujourd'hui pour nos enfants ? La prise en charge des autistes en France arrivera-t-elle un jour à s'extraire du marasme dans lequel la psychanalyse, ses théories obsolètes et ses pratiques inutiles la maintient depuis 40 ans ? Faudra-t-il attendre le départ à la retraite des praticiens actuels en espérant une plus grande compétence et une meilleure formation de leurs remplaçants ? Nos enfants ne peuvent pas se le permettre ; c'est aujourd'hui qu'ils ont besoin d'aide, pas dans 20 ans. La seule lueur d'espoir est une prise de conscience grandissante dans le monde politique, par dela les clivages habituels, du caractère dramatique et inacceptable de la situation, accompagnée d'une lente évolution des formations professionnelles. En attendant, les parents d'enfants autistes et leurs associations devront continuer à se battre pour protéger leurs enfants des errements du corps médical et médico-social que la collectivité paye fort cher pour (en théorie) les aider...
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