Le « socle commun des connaissances et des compétences », un nouvel intérêt pour l’Éducation.
« Tout le monde aurait le socle, et certains seulement la statue ! » Entretien avec Ph. Meirieu réalisé par J.-M.Zakhartchouk,2006.
« ..la culture commune pensée encore comme culture des cultures, incluant les cultures du monde et fondant son unité sur sa diversité ». Alain Becker, CRAP-Cahiers pédagogiques, 4 janvier 2006. « Le socle commun des connaissances et des compétences », un nouvel intérêt pour l’Éducation ?
Le HCE et le socle commun.
Dans la Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005 1,couramment appelée « Loi Fillon » du nom de l’ancien ministre de l’éducation François Fillon, a été inséré un nouveau dispositif, le HCE (Haut conseil de l’éducation), qui dès son apparition a suscité autant de curiosités que de perplexités.
Le Haut conseil 2 a une fonction exclusivement consultative, mais il peut jouer un rôle déterminant dans l’élaboration de plusieurs questions relatives « à la pédagogie, aux programmes, aux modes d’évaluations des connaissances des élèves, à l’organisation et aux résultats du système éducatif et à la formation des enseignants » (art.L.230-2).
Après cinq mois de consultation avec les principaux acteurs de l’éducation et de mise en discussion des problématiques plus générales regardant le projet de « cadre de référence européen », le 30 mars 2006, le Haut conseil a rendu publiques ses recommandations sur les contenus du « socle commun » qui seront soumises au ministre pour la préparation d’un décret correspondant, prévu pour le mois de mai prochain et à appliquer dans le primaire dès la rentrée 2006 3.
Le document s’appuie préalablement sur trois points ou « constats » : 150 000 élèves sortent chaque année sans une qualification ; les enfants issus des milieux défavorisés connaissent plus l’échec que les autres ; la violence à l’école est un phénomène qui s’accroît considérablement au collège. Les autres thèmes sont regroupés en sept « paliers » :
1. Maîtrise de la langue française (lecture, écriture, vocabulaire et orthographe)
2. Pratique d’une langue vivante étrangère (communiquer lors des situations simples ou usuelles)
3. Compétences de base en mathématiques et culture scientifique et technologique (résoudre les problèmes)
4. Maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication (Internet)
5. Culture humaniste (notions d’histoire, de géographie, d’économie ou de culture générale)
6. Compétences sociales et civiques (vie en collectivité et travail en équipe)
7. Autonomie et initiative(apprentissage de méthodes de travail)
Loin de nous la prétention d’aborder tous les points du document. Nous n’aimons pas non plus les querelles sémantiques (socle/culture ; compétences/connaissances). Nous essaierons de porter notre attention (et évidemment celle du lecteur) sur quelques aspects de l’Avis qui nous semblent particulièrement attirants .
Le socle commun, pour qui et pour quoi ?
Les avis du HCE viennent de paraître et les discussions sur le « socle commun » reprennent, animant les tables-rondes et les interviews à la presse, à la télé, dans les établissements, notamment depuis que des milliers de parents, d’enseignants et de lycéens se sont mobilisés pour contester ce dispositif qui aurait dû garantir à tous les élèves l’égalité des chances et permettre de réduire les phénomènes d’exclusion et de ségrégation scolaires.
Certains saluent positivement la nouveauté du « socle commun », partie intégrante d’une logique globale orientée vers la récupération de la dimension culturelle, d’autres l’ont âprement critiquée (Jean Paul Brighelli) 4 exprimant des réserves et limites, presque tous les spécialistes de l’éducation s’accordent sur la nécessité d’intervenir pour faire face à une situation de dégradation du système éducatif 5 dans son ensemble. N’oublions pas que la France a récemment connu la révolte des banlieues et le mouvement anti-CPE, qui ont avivé un état d’inquiétude assez délicat, mettant en danger la cohésion sociale. On reparle avec insistance de « fracture sociale ». Pour le sociologue Louis Chauvel, il s’agit d’une « fracture générationnelle ». Si l’on ajoute à ce cadre d’insécurité diffuse les inégalités territoriales, on se rend vite compte que la situation devient alarmante.
Dans ce contexte de grand embarras, la question du « socle commun », malgré ses imperfections, offre plus d’avantages que d’inconvénients.
C’est quand même une idée innovante qui introduit une logique de prise en compte des difficultés de l’élève en amont, se fixant des obligations afin de le rendre plus sûr et plus conscient de ses potentialités personnelles, lui permettant d’être un citoyen à part entière, « à la fois solidaire et responsable »(E. Morin).
Le fait même que, par l’introduction du « socle commun », on veuille insister pour améliorer la formation de base, montre que les apprentissages et la formation peuvent jouer un rôle d’antidote aux incivilités et aux exclusions de toutes sortes.
Quelle culture humaniste ? Quelle culture scientifique ?
Une considération particulière doit être accordée aux paliers consacrés à la culture humaniste et à la culture scientifique et technologique. Le « socle commun » reconnaît « à la transmission de la culture humaniste » une fonction fondamentale. Parallèlement, l’observation et l’expérimentation sont considérées comme indispensables à la culture scientifique et technologique .
Or, nous sommes convaincus par l’exigence « d’améliorer l’école » 6 , de modifier les programmes scolaires et de réconcilier les élèves avec l’école par la culture, l’expérimentation et le sport (Ph. Meirieu). Mais nous pensons également que tout doit passer par une récupération du goût d’apprendre, du goût de la culture, qui ne s’arrête ni dans un espace défini (cadre scolaire), ni dans le temps (à la fin du socle commun). Dans le Rapport mondial de l’UNESCO : Vers les sociétés du savoir (2005), on fait référence à un nouveau type de société, « la société apprenante » qui va se développer « sur la base de la valorisation des savoirs, indispensable dans l’acte de l’innovation » (Blandine Raoul-Réa,2006,Café pédagogique,n°71). Pour que la formation ne soit pas insuffisante pour faire comprendre les multiples mutations avec lesquelles nous devons quotidiennement nous mesurer, il faut que l’école ne fournisse pas seulement des « répères » et ne donne pas une connaissance-en vrac-des œuvres artistiques... ou encore pis, des « éléments de culture civiques.. ». Nous ne croyons pas à une formation soft, évanescente, « périssable ». Nous craignons que le socle commun ne fasse passer l’idée qu’il suffise à l’élève de s’approprier des mécanismes d’apprentissage, plutôt qu’un corpus de connaissances bien défini. Ce sont les éducations humanistes et scientifiques approximatives « coupées de la société et de la culture, expulsées des débats publics, marginalisées dans les médias » 7 qui fabriquent, nous semble-t-il, de l’exclusion.
Certes, nous n’attendons pas trop du socle. Nous savons très bien que ce ne sont pas les dispositifs pris à part qui changent l’école. Il ne nous paraît pas non plus que les slogans aient beaucoup favorisé le développement de la culture scolaire.
Il s’agit tout simplement de garantir les « fondamentaux » pour que soit acquise une culture réellement démocratique.
Facile optimisme ? Peut-être. Une nouvelle politique de la République ? Certainement, oui.
Les questions sur le « socle commun ».
« Minimaliste et étriqué » pour certains, « une vraie révolution » pour d’autres, le « socle commun » se prête à beaucoup d’interrogations. En voilà quatre qui semblent le plus récurrentes et qui méritent une précision ultérieure et immédiate, sinon on risque de donner de la culture scolaire une vision plutôt vague et inutilisable : si le socle commun regarde la formation initiale des élèves du primaire et du collège, quelle formation la réforme va prévoir pour les lycéens ? Si le soutien sera accordé dans les disciplines insérées dans le socle commun, qu’en est-il des autres ? Et encore, quand on passe des compétences fondamentales à maîtriser pendant la scolarité obligatoire aux compétences dites « transversales », est-ce qu’on donne de la culture une vision simpliste, voire banale, divisée en deux, dont l’une serait « excluante » et l’autre indispensable à toute émancipation et liberté individuelle ? Quelles sont les compétences dites « utiles », et quelles disciplines contribuent davantage à l’acquisition du socle ?
L’idée contenue dans l’Avis du HCE selon lequel l’acquisition du socle ne dépend pas de telle ou de telle autre discipline est certainement à retenir. En éducation, il n’y a pas de discipline qui soit déterminante, et les programmes traditionnels par disciplines cloisonnées sont souvent un obstacle aux acquisitions. La condition nécessaire à la réussite éducative est tout autre : c’est la capacité de l’élève à mobiliser les connaissances que les enseignants veulent qu’il apprenne. Il ne s’agit plus, en fait, de raisonner exclusivement en termes de quantité d’informations, mais d’offre qualitative. A la fin du socle, l’élève devrait avoir consolidé les savoirs de base et avoir assimilé le travail en équipe. Il faut noter, à ce sujet, avec surprise, que rien n’est dit dans les recommandations du HCE à l’égard de dispositifs alternatifs tels que les IDD (initiatives de découvertes) et TPE (travaux personnels encadrés) abandonnés ces derniers temps mais qui ont connu un grand succès de participation de la part des enseignants et des élèves. Il serait mieux de rétablir ces travaux interdisciplinaires, parce que non seulement ils favorisent l’interaction, mais surtout ils exercent une utile fonction d’apprentissage au même titre que les formes d’enseignement dites « classiques ».
La continuité éducative pour une meilleure réussite de tous.
Au moment où le document du HCE reconnaît une formation initiale commune aux enfants les plus « fragiles », ce qui suppose la mise en place de pratiques pédagogiques diversifiées et différenciées , et une formation successive plus « lourde » mais plus complète, de facto, il réalise une discontinuité entre les cycles, incapable de donner aux savoirs une dimension culturelle unitaire et partagée.
A ce propos, il convient de faire une dernière réflexion sur la question de la continuité école-collège/lycées, qui me semble centrale. Le système éducatif français, comme la plupart des systèmes d’enseignement européens, est construit sur une étroite relation entre les divers cycles d’apprentissage. En ce sens l’éducation de base est considérée comme propédeutique, en vue des « études longues », selon l’expression de Ph. Perrenoud 8. Or, la mise en place du « socle commun » semble justifier l’idée que l’éducation de base suffirait par elle-même à la solution des problèmes pratiques ordinaires, déplaçant la charge de préparer les jeunes aux savoirs plus complexes.
Une interprétation du socle évidemment simpliste, car nous ne pensons pas qu’il existe deux modes « antagonistes » et donc discontinus dans la conception de la formation. La réussite éducative des élèves, à laquelle aspirent les parents et les enseignants, est le fruit non seulement d’une constante et quotidienne collaboration entre tous les acteurs de l’éducation, mais surtout d’un concours entre toutes les disciplines et les parcours culturels mis en œuvre, pour forger une conscience culturelle commune, en fonction des besoins qui émergent.
« La continuité école-collège me paraît absolument décisive », dit Ph. Meirieu,de même que décisive est la mise en relation des divers segments d’apprentissage. Car il n’est pas question de distinguer les disciplines dites « principales » de celles considérées « marginales » ; tout l’engagement de l’enseignant doit être porté à les impliquer dans un projet plus complexe et homogène, pour que chacun puisse s’approprier les acquis culturels qu’elles sont à même de produire.
Mes conclusions.
Je pense que l’idée du « socle commun » est une bonne chose, mais je me demande si cette mesure ne limite pas l’enseignement. Car le « socle commun », c’est un problème essentiellement d’enseignement. Philippe Meirieu a profondément raison quand il affirme, au sujet de ce dispositif, qu’il ne s’agit pas de lister une par une les compétences que chaque élève doit posséder à la fin de la scolarité obligatoire (16 ans). Pour le célèbre pédagogue, « l’important c’est d’échapper à la dérive encyclopédiste (la grande culture commune) » 9. Écrire que tout est essentiel, c’est facile, et en même temps fourvoyant. Les contenus comptent, mais ils ne sont pas suffisants. Je pense que dans un cadre scolaire en évolution, l’enseignant joue un rôle plus déterminant que dans le passé. C’est à lui que revient la responsabilité d’éveiller la motivation et l’intérêt des élèves pour les études. La trandisciplinarité, c’est bien, mais c’est toujours l’enseignant qui attire l’attention sur les savoirs et les savoir-faire. Bien entendu, rien ne lui est imposé a priori, mais fidèle au respect des diversités culturelles, il a la tâche d’accompagner l’élève vers la connaissance de soi et des autres. J’ai l’impression que le « socle commun » a été construit sans considérer le travail et les compétences de l’enseignant, vrai moteur de l’innovation. Le grand risque est que le vase soit rempli de notions, mais qu’il n’y ait aucun formateur qui sache les transmettre correctement.
Construire un « édifice » plus solide qui résiste aux multiples mutations, voilà la mission principale de l’Ecole. Est-ce que le « socle commun » supportera tout le poids de cette construction, aussi ambitieuse que complexe, qu’est la loi Fillon ? On va le voir.
Prof. Raphaël FRANGIONE
Notes :
1.Elle remplace la loi du 1989, dite Loi Jospin, reconnue inadéquate pour faire face aux échecs et à la violence à l’école.
2.Le HCE se compose de neuf membres. Trois sont nommés par le président de la République, deux par l’Assemblée nationale, deux par le Sénat et deux par le Conseil économique et social. Ce dispositif remplace le Conseil national des programmes et le Haut conseil d’évaluation. Le président de la République désigne le Président de ce Haut conseil. « Organe consultatif indépendant », le HCE est chargé par la loi de rédiger « annuellement un bilan public des résultats obtenus par le système éducatif ». (Titre V, article L.251-1)
3.Le ministre de l’Éducation et de la Recherche a présenté le mercredi 10 mai le projet de décret définissant le futur « socle commun des connaissances et compétences ». M. Gilles de Robien a repris les recommandations du Haut conseil de l’Éducation en ajoutant aux cinq champs de compétences indiqués dans le document du 30 mars dernier deux autres, à savoir « les compétences sociales et civiques » et « l’autonomie et l’esprit d’initiative ». Lors de sa conférence de presse sur le socle commun, le ministre a tenu à souligner qu’il s’agit là « d’un acte refondateur ». Après Jules Ferry, a-t-il dit, « la République va indiquer clairement le contenu impératif de la scolarité obligatoire ». Il a précisé, entre autres, que l’éducation artistique et l’éducation physique et sportive entrent dans le socle commun et que l’enseignement du français (langue maternelle) prend appui sur la lecture, la grammaire et le vocabulaire. Ce projet a vite suscité des critiques, surtout de la part des syndicats. Pour la FSU, « ce projet reste marqué par les faiblesses et les contradictions du concept même du socle contenu dans la Loi Fillon et la volonté de renoncement qu’elle traduit. » L’UNSA conteste dans son communiqué « la vision trop compartimentée de l’enseignement de la langue » et pose la question de l’évaluation des élèves. Le flash du 11.05.2006 de L’Expresso ! se demande ironiquement si « le socle est simplement incantatoire ou pas si commun. »
4.Lire, entre autres, ses textes de récente publication et notamment les deux pamphlets : 1) La fabrique du crétin (2005) J.-Cl. Gawsevitch Éditeur 2)La bonne école, avril 2006, J.-Cl. Gawsevitch Éditeur.
5.Les évaluations internationales OCDE et PISA le montrent : la France est classée parmi les nations moyennes. En tête : la Finlande et le Canada.
6.Lire l’intéressant livre de D. Muret et de G. Chapelle intitulé Améliorer l’école, Ed.PUF, Paris, 2006.
7.Cfr, André Giordan,CRAP-Cahiers Pédagogiques, n°443, 5 mai 2006.
8.On renvoie à la lecture de son très intéressant article « Le socle et la statue », 2005. On peut trouver le texte, au format RTF, sur le site de l’Université de Genève.
9.Entretien avec Ph. Meirieu réalisé par J.-M. Zakhatchouk (2006).
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