Le stress au travail : ma petite tête va craquer
Appel pour une vision partagée sur le stress au travail, point de départ d’une coopération efficace d’amélioration de la qualité de vie au travail et de lutte contre le stress au travail.
Alors, plutôt que de nous intéresser aux sujets autour du stress au travail, parlons des sujets du stress au travail.
Le long parcours nous conduit peu à peu à remonter la hiérarchie des organisations : il y a quelques années, les articles et enquêtes sur le stress au travail ont mis le projecteur sur les salariés au pied de la pyramide. Le modèle KARASEK d’analyse du stress au travail a mis en évidence une catégorie de populations de salariés (le job-strain), à savoir celle qui d’une part est soumise à des exigences de travail lourdes (charge de travail, horaires, pression managériale, …) et d’autre part à un faible niveau de marge de manœuvre dans l’exercice de leur activité.
Depuis 2 à 3 ans, les mêmes articles et enquêtes ont mis en évidence une nouvelle catégorie de population de salariés particulièrement touchée : les cadres.
Lors de la conférence au CNIT de la semaine de la qualité de vie au travail le 11 juin 2009, ont été présentés les résultats d’un sondage CSA commandé à cette occasion. Et nouvelle progression vers le haut de la pyramide : les cadres supérieurs sont particulièrement touchés par le stress au travail.
Il reste donc un dernier effort pour atteindre le sommet de la pyramide, et ce n’est pas le moindre. Pourquoi ?
Probablement parce que de nombreux acteurs n’ont pas la volonté, l’envie, le courage, l’honnêteté intellectuelle, l’esprit logique de sortir du déni … c’est selon … et/ou au pluriel.
Mais de quel déni parlons-nous ici ? Celui du sommet de la pyramide qui refuse d’accepter que le stress professionnel puisse trouver en partie son origine dans les conditions de travail, l’organisation ou la communication au sein de l’organisation ?
C’en est un qui existe, mais ce n’est pas de celui-ci dont je veux vous parler[1].
Il s’agit du déni du stress professionnel pour une catégorie oubliée : celle des dirigeants et par extension, des équipes dirigeantes.
Quel entrepreneur, quel dirigeant peut-il nier son exposition à des facteurs de stress au travail ? Peut-être me l’accordera-t-on du bout des lèvres. De là, à reconnaître que l’on puisse être stressé ou sensible au stress, c’est tout autre chose.
Vous connaissez ces émissions où l’on permute, qui sa famille, qui son job pendant un jour, une semaine … ?
Expérience qui pourrait être intéressante, à la fois pour un salarié en bas de la pyramide et son dirigeant. Il est fort probable que l’un et l’autre puissent en apprendre sur les conditions de travail de l’autre et sur les tensions et pressions vécues au quotidien. Une façon de revisiter l’image certainement stéréotypée et décalée que chacun pourra avoir de l’autre.
Olivier Torrès, chercheur de l’Université de Montpellier a créé début janvier 2010 AMAROK, un observatoire sur les conditions de travail et de résistance au stress des dirigeants de PME.
Le présent article va dans le sens de cette initiative et constitue un appel à tous les dirigeants, les entrepreneurs, les syndicats de salariés et d’employeurs, les salariés, les pouvoirs publics, le gouvernement, les partis politiques, les citoyens, les représentants de citoyens au niveau local et national mais aussi les membres de conseil d’administration, les actionnaires, les analystes financiers.
Un appel pour une prise de conscience que tout dirigeant, entrepreneur, auto-entrepreneur, artisan, commerçant, agriculteur, … bref toute personne qui a en charge sa propre personne, son activité, son entreprise et éventuellement des collaborateurs est confrontée à ses propres facteurs de risques psychosociaux au travail, en croisant à la fois les risques du métier et les risques du statut.
Les difficultés et tensions en jeu mériteraient à elles seules un article.
A noter une population grandissante poussée par des initiatives du Gouvernement : les auto-entrepreneurs pour lesquels il faut bien considérer que la dimension des risques psychosociaux au travail n’a pas été réfléchie pour le moment.
Bien sûr, cette prise de conscience n’est pas facile. Beaucoup s’attachent à préserver leur image de capitaine du navire que personne ne voudrait voir en peine de chercher la direction ou dans le doute de la bonne manœuvre à effectuer face à une intempérie ou une opération délicate.
Une problématique voisine serait de refuser à un éminent responsable militaire le droit à la peur … ou pire à celui de pouvoir évoquer le mot « danger » ou « risque ».
Mais en parlant, de danger, quel est-il le danger pour un dirigeant de se refuser le droit de pouvoir être stressé ? Il en existe trois à mon sens : le premier de prendre des risques avec sa propre santé psychologique et physique. Les deux autres dangers découlent d’une mécanique intellectuelle qui parait limpide : « je ne suis pas stressé … le stress ça n’existe pas … donc cela ne devrait pas concerner mes collaborateurs ». D’où une prise de risque concernant la santé des collaborateurs et par conséquent, une prise de risque pour la santé de l’entreprise.
Refuser l’idée du stress, c’est aussi considérer que ceux qui s’en plaignent sont faibles ou trop sensibles. Cela constitue donc le risque de bâtir un jeu d’opposition entre dirigeant et salariés, entre celui (ou ceux) qui serait vertueux et fort contre ceux qui seraient faibles voire tires-au-flanc.
Or, il est temps, il est largement temps que les dirigeants, entrepreneurs, auto-entrepreneurs, artisans, commerçants, agriculteurs, … puissent s’approprier judicieusement la problématique du stress au travail afin d’assumer pleinement leur responsabilité de préservation de leur propre santé et de la santé des collaborateurs de l’entreprise. Cette responsabilité qui doit leur permettre de se questionner sur leur mode de gouvernance - en particulier en terme de relations humaines et de dialogue social -, de mettre en place la politique et l’organisation adéquate en coopération avec les acteurs de l’entreprise (CHCST, représentants du personnel, tous les collaborateurs qui veulent s’investir sur le sujet, service de santé au travail, préventeurs), avec des appuis externes si nécessaires et en liaison avec les acteurs extérieurs à l’entreprise (fournisseurs, clients, partenaires, …).
Bien sûr que le Gouvernement, la Loi, peuvent impulser, promouvoir, obliger à des efforts dans ce sens. Néanmoins, sans une sensibilisation et reconnaissance explicite des uns et des autres que le stress au travail peut toucher potentiellement tout individu dans une organisation et quelle que soit sa place, le risque est évident que les actions en terme de négociation sur la prévention des risques psychosociaux dictées par la loi et poussées par le Gouvernement procèdent de l’opération d’affichage et de cosmétique.
Les partenaires sociaux ont conclu l’accord national interprofessionnel sur le stress au travail en juillet 2008. Il ne me semble pas avoir perçu de critiques essentielles sur cet accord depuis sa publication.
A titre personnel, je considère que c’est une bonne base de discussions, de réflexions et de négociation dans les organisations. Les partenaires sociaux ont matière à fierté du fruit de ces négociations au niveau national.
Alors, si chacun se retroussait les manches dans un esprit coopératif, car toute le monde est gagnant.
On évoque quelques fois sur d’autres sujets le principe du GAGNANT-GAGNANT.
Il faut bien considérer que pour le stress au travail, c’est d’un principe GAGNANT-GAGNANT++ dont on parle, car qui en seront les bénéficiaires ? Alors, je reprends mon souffle, et voici :
• L’Entreprise en terme de performances et de réduction des coûts directs et indirects du stress au travail,
• L’Entreprise en terme d’image (je renvoie sur la dégradation de l’image de France Télécom dans le palmarès des entreprises préférées des français – passant de la 8ème à la 29ème place en 4 mois ),
• Les salariés en terme de santé et de bien-être,
• Le chef d’Entreprise en terme de santé de bien-être,
• Les services de santé au travail qui seront renforcés dans leur mission de prévention et pourront trouver une forme de cohérence dans l’exercice de leur profession
• Les comptes du régime général de la Sécurité Sociale (qui prend en charge la quasi totalité des arrêts maladies et des soins pour les troubles de santé consécutifs au stress au travail),
• La part de la dimension humaine dans les organisations,
• Les dirigeants et leurs représentants en terme d’image et de valorisation d’un accord sur le stress au travail dont ils sont co-adaptateurs et cosignataires,
• Les syndicats de salariés en terme de valorisation d’un accord sur le stress au travail dont ils sont co-adaptateurs et cosignataires
• Le Gouvernement et les dirigeants des collectivités territoriales en terme d’exemplarité de la lutte contre le stress au travail,
• Notre pays en terme d’image pour le dialogue social, les conditions de travail et la qualité de vie
• Et chacun des citoyens et des foyers en terme d’impact de la vie professionnelle sur la qualité de vie et la sphère personnelle en particulier.
Olivier HOEFFEL
Annexe : Document synthétique au format PDF (deux pages) schématisant l’historique de la sensibilisation au stress professionnel et la situation recherchée dans le cadre de cet appel
[1] Il existe individuellement pour certains dirigeants, mais les organisations patronales ont signé l’accord national interprofessionnel sur le stress au travail en novembre 2008, accord stipulant que le stress professionnel peut trouver son origine dans les conditions de travail, l’organisation et la communication
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