Les Littéraires, une espèce en voie d’extinction ?
Depuis quelques temps maintenant, des « menaces » pèsent sur la section littéraire délaissée par les élèves (- 28 % d’effectifs en quinze ans) et souvent accusée de rassembler par dépit tous les élèves n’ayant pu être acceptés en scientifique, filière encensée. Victime de tels préjugés, la section littéraire peine à rassembler. Ainsi, un peu plus de 10 % seulement des élèves osent s’y aventurer chaque année et certains prédisent (souhaitent ?) son extinction... Alors ces préjugés sont-ils justifiés ou n’est-ce encore qu’une représentation de la loi du plus fort ?
La filière littéraire est bien souvent présentée comme la voie de garage des lycées d’enseignement général. Ainsi, on y retrouverait les élèves médiocres et tous ceux qui n’ont pu accéder à la section scientifique, voie royale formant la nouvelle élite de la nation. On ne serait donc pas L par choix mais par défaut. Les littéraires seraient prédestinés au chômage, leur filière n’offrant que très peu de débouchés professionnels « valides ». En effet, à quoi peut bien servir un « amoureux des arts » à une entreprise qui recherche « l’efficacité » et le rendement ?
Les « pseudo-littéraires » ne maîtriseraient non seulement pas plus l’orthographe et la littérature que leurs camarades scientifiques et économistes mais seraient aussi de véritables « glandeurs » avec leurs 25 heures de cours par semaine (sans options) contre 30 h pour les S.
Les L (aux effectifs constitués à 90 % de filles...) seraient le refuge des rêveurs, des poètes, des pseudo-artistes, des excentriques, des fumeurs de joints, voire des anarchistes ! La filière littéraire conduisant à coup sûr à l’ANPE serait donc à éliminer au plus vite.
Mais qu’en est-il vraiment ?
Il est vrai que la désaffection grandissante des options latin et grec dont les L étaient les principaux tributaires tendrait à prouver que les vrais littéraires accros aux langues mortes seraient des spécimens rares et que la plupart serait donc là par hasard. De plus, un élève bon en maths et en français serait plus enclin (et incité) à se diriger en S, section qui ouvre toutes les portes. Mais s’il est (malheureusement) certain que l’orthographe est de plus en plus malmenée par les élèves et que les grands lecteurs se rarifient, il est aussi incontestable que c’est en littéraire que les élèves manient le mieux la langue et les idées. Ainsi, si les maths sont souvent la bête noire des L, le français est (pour la plupart des S) la dernière de leurs préoccupations.
La section littéraire met aussi l’accent sur des disciplines primordiales comme le francais, l’histoire, la philosophie et les langues qui contribuent à faire des L des personnes bien ancrées dans le réel. Enfin, si les L bénéficient de moins d’heures de cours que les autres, c’est pour les inciter à prendre des options telles qu’arts plastiques, histoire de l’art, cinéma-audiovisuel, danse et théâtre qui leurs sont tout spécialement destinés.
Quand à ceux qui continuent à clamer que le bac L (et même le bac ES ) n’ouvre(nt) aucun débouché, image véhiculée par les responsables de l’orientation (je peux en témoigner), il permet pourtant d’accéder en fac de lettres, langues, sciences humaines, philosophie, psychologie, droit... Qui offrent encore des postes. De plus les L, en sus des classes préparatoires (khâgne et hypokhâgne) qui les préparent aux concours d’entrée des écoles de Saint-Cyr, des Chartes ou de Sciences-Po, peuvent aussi accéder désormais aux grandes écoles de commerce telles HEC à condition qu’ils aient pris l’option maths en première.
Une certaine animosité est très présente dans les lycées entre L et S principalement. Sans être amer et tomber dans une victimisation éhontée, les L se sentent les mal-aimés et doivent faire face aux piques des S qui les dénigrent (se sentant sans doute eux-mêmes attaqués) et clament à tout bout de champs qu’en S on peut tout faire alors que les forts en lettre ne sont bons que dans les matières littéraires. A l’inverse, les L considèrent les S comme des matheux sans imagination, des petits esprits, pour rester poli, tout juste bons à faire des équations. Ce cercle vicieux conduit certains professeurs à exprimer leurs préférences pour une section ou l’autre ce qui engendre des réclamations de la part des délaissés. Quoi qu’il en soit, si un S médiocre ne vaut pas plus qu’un L médiocre en théorie, c’est toujours la section S qu’on encense même si ceux qui décrochent un bac scientifique ne deviendront pas tous des Einstein en puissance. De plus, il est beaucoup plus ardu de décrocher un bac L puisque les épreuves telles que la philosophie au coefficient 7 ou la littérature se prêtent à des notations beaucoup plus subjectives qu’en S, dans la mesure où l’on ne peut dire d’une dissertation philosophique qu’elle est juste ou fausse comme en mathématiques. Cette difficulté accrue peut expliquer pourquoi la proportion de mentions « bien » et « très bien » est inférieure aux autres séries.
Enfin, si « on ne peut rien faire avec un bac L », on ne peut rien faire de plus avec un simple bac S, le bac n’étant qu’une passerelle vers des études supérieures.
La plupart des parents cependant continuent à « encourager fortement » leurs enfants à choisir S dans un souci d’assurer à leur progéniture un avenir confortable même si certains se sentaient plus aptes à entrer en L et y accèdent finalement en terminale après un changement d’orientation. Choisir par goût et faire ce que l’on aime est peut-être devenu un privilège, mais c’est toujours mieux que de choisir une section par souci de l’avenir au risque de le regretter par la suite.
Afin d’enrayer cette chute des effectifs, les autorités ministérielles ont entrepris depuis de nombreuses années des mesures destinées à revaloriser la section L et à la rendre plus attractive. Ainsi, des modifications de la grille horaire et des programmes, la création en terminale d’un enseignement de « littérature », un plus grand choix d’options et une volonté de renforcer la place des mathématiques ont été mis en œuvre.Certains voudraient réformer cette section en la transformant en section « d’élite », regroupant ceux qui ont véritablement d’excellents résultats dans les matières littéraires. Mais alors il faudrait appliquer cette mesure à l’ensemble des sections.
Alors s’il y en a qui sont intéressés par la littérature, le cinéma, les langues, qui sont insensibles aux quolibets et persuadés que la maîtrise des équations n’est pas un gage de réussite, je les encourage vivement à s’engager sans complexe vers la section littéraire.
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