Pour en finir avec la fête du travail !
Le 1er mai désormais, nous ne fêterons plus RIEN : c'est un revenu inconditionnel garanti et la fête permanente que nous voulons.
Prolétaires du monde entier, comme les enfants du film de Jean Vigo, montez sur les toits et jetez vos contrats de travail !
Que faites-vous ler mai ?
Entendez-vous souvent cette réponse : « Moi ?, je reste dans mon lit. Je refuse catégoriquement d'aller fêter le travail ! »
En effet, comment a-t-on pu – horreur ! - fêter le travail ? Pourquoi ce jour chômé fut-il tardivement dénommé fête du travail ? Ce sont pourtant les luttes et les victoires du mouvement ouvrier qu'il est nécessaire de fêter, et non pas les travailleurs ou le travail.
Mais, comme de nombreux faits historiques, cette fête est une construction idéologique, sociale, culturelle.
Pourtant à y bien regarder, de qui sert-elle les intérêts ?
Des Bienheureux patrons qui sont tout disposés à donner leur journée, leur jour férié à leurs employés, si... si c'est pour fêter le travail, car alors, ils sont sûrs, ces patrons, de voir revenir le lendemain tous ces fêtards sur leur lieu de travail. Ils sont loin les Saint Lundis quand les travailleurs faisaient ce que bon leur semblait au lieu d'aller au turbin, d'aller au chagrin !
N'est-il pas nécessaire aujourd'hui de remettre en cause cette construction, de sortir de cette instrumentalisation qui est faite du travail ?
Empruntons les pas de Paul Lafargue, de Gébé, de Gaston Lagaffe, d'Alexandre et d' Oblomov bienheureux adeptes de la position horizontale, pour abolir, supprimer le droit au travail.
Mise au travail...
Au long du XVIII°, le libéralisme économique connaît un essor et finalement, s'imposera à coup de lois. Rappelons-nous que, sous les États Généraux de 1789 organisés par la monarchie affaiblie, la bourgeoisie naissante et les nobles, ceux qui possèdent des biens, vont trembler. Un peu. Car, vite, très vite, ils vont s'organiser et se protéger : la propriété sera « sacrée », inviolable (article 17 de la – libérale - Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen). La propriété, base du capitalisme, se met en place. De plus, seuls les possédants pourront voter, et seuls les « imposables » pourront être éligibles ! De même, la Garde Nationale (surtout ses armes), ne sera accessible qu'aux actifs pouvant se payer l'uniforme obligatoire.
Ainsi, les classes dominantes et possédantes auront, et le pouvoir, et les armes.
Et l'égalité tant évoquée ? Bientôt l'assemblée constituante (1789-1791) s'en occupera, en donnant à tous... la liberté d'entreprendre et de travailler : les décrets d’Allarde des 2 et 17 mars 1791 posent le principe de la liberté du travail selon lequel « chaque homme est libre de travailler là où il le désire, et chaque employeur libre d’embaucher qui lui plaît grâce à la conclusion d’un contrat dont le contenu est librement déterminé par les intéressés. » Magnifique leurre. Devenant une marchandise, l'homme pourrait échapper à sa naissance, à ses origines, échapper à sa condition. Mais qui aujourd'hui se retourne de la servitude volontaire, quand les billets tgv à bas prix vous offrent chaque fin de semaine le dépaysement ?
Citoyen-nes, l'égalité vous est donnée : nous vous offrons la po-ssi-bi-li-té de vous enrichir !
Est-il nécessaire d'ajouter que le partage des richesses n'a jamais été à l'ordre du jour ?
1848 est une autre année terrible. Les fondateurs de la II° République entendent favoriser l'épanouissement de l'être humain grâce à ce symbole de valorisation et d'émancipation qu'est le travail ! Le 25 février, le gouvernement provisoire proclame l'engagement « à garantir l’existence de l'ouvrier par le travail. Il s’engage à garantir du travail à tous les citoyens. Il reconnaît que les ouvriers doivent s’associer entre eux pour jouir de leur travail ». Si la république sociale n'est pas passée, les tenants de la république libérale et bourgeoise savaient, eux, de quoi ils avaient besoin pour générer des profits : des travailleurs.
Ce droit du travail naissant fera, tout au long des décennies à venir, l'objet de luttes pour que chacun y trouve son compte, surtout les ouvriers qui subissent le rouleau compresseur capitaliste. Pourtant, il n'est qu'une farce car les ouvriers n'ont jamais travaillé à leur profit : la richesse leur a échappé. La farce continue jusqu'au préambule de notre constitution qui affirme que "chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi".
Après s'être battu contre la corvée, le travail forcé, fallait-il gagner le droit à la besogne à durée indéterminée ?
Le droit à la vie, au "bien-vivre", n'est-il pas supérieur au droit au travail ?
La liberté de travailler, pas plus que le droit de vote ou le libre-choix du consommateur, ne servent à quelque chose, car, comme l'écrivait Viviane Forrester dans son pamphlet, « l'économie privée détenait les armes du pouvoir... [et ]... ne les a jamais perdues. Parfois vaincue ou menacée de l'être, elle a su conserver même alors ses outils, en particulier, la richesse, la propriété. La finance. » L'auteur précisait que cette économie a parfois « perdu le pouvoir, la puissance en aucun cas. »
Que penser alors de ce « pouvoir d'achat », sinon d'en rire vraiment ? Des armes, le caddy et la carte de crédit ?
Et si, au contraire, la grève de la conso représentait un vrai contre-pouvoir, en arrêtant de s'endetter (déserter les banques et leurs crédits), et en arrêtant de consommer. Il est aujourd'hui nécessaire de reprendre le monopole de l'offre, simultanément, en désertant les lieux de consommation et en retrouvant de « l'autonomie créatrice » (I. Illitch). Ce n'est pas dans le piège du salariat que cela peut s'envisager, mais par des choix politiques et un projet de société. Dans son dernier texte, André Gorz précisait que « la redéfinition autonome d'un modèle de vie suppose la rupture avec une civilisation où on ne produit rien de ce qu'on consomme et ne consomme rien de ce qu'on produit. »
...et misère du salariat
Voilà donc notre société mise en marche pour travailler, et bientôt tout cela sera contractualisé : hors du salariat point de salut !
Le salariat a normalisé le travail. Comme l'ont montré les travaux de Dominique Méda notamment, le travail n'a pas toujours eu les attributs et les finalités qui sont les siens aujourd'hui : une contrainte et une création de valeur par exemples. Car, le travail n'est pas un concept figé, tout comme il n'existe pas d'idéal du travail.
Aujourd'hui, triste époque, la production est devenue le principal objet de nos sociétés, le travail le moyen d'aménager le monde, de le mettre en valeur, et le salariat l'unique moyen d'être utile et protégé.
Aujourd'hui, triste époque, on définit dans nos établissements scolaires l'économie comme une création de richesse par l'activité humaine ! L'économie pour satisfaire des besoins, n'y pensez même pas !
Ce sont ces fonctions qu'il faut remettre en cause, celle d'un travail, dénué de sens, à l'unique service du productivisme, et celle d'un salariat comme unique source d'existence.
Ceux, dont on a pourtant plus rien à attendre, entretiennent à raison, c'est leur intérêt, l'idée qu'il y a encore du travail. Ils organisent même la compétition pour y accéder.
Mais, le problème n'est pas, et n'a jamais été l'accès au travail : il a toujours existé. En effet, on ne retient à tort, que le travail créateur de richesses, celles qui établiront le PIB ; ce même PIB, indicateur réducteur, ne retenant que ce qui importe pour la croissance économique. Or, n'y a-t-il pas d'autres activités tout autant importantes, ainsi que des emplois à créer dans la durabilité, la qualité, la solidarité et la proximité comme le démontre l'économiste Jean Gadrey dans ses travaux ?
La sortie, par exemple, de la société capitaliste vers une société de décroissance, s'accompagnera d'un surcroit de travail pour changer les outils de production et les réorienter au service d'une économie qui satisfait des besoins et cela dans les respect des personnes et de la nature.
C'est l'accès au moyen d'existence qui importe : c'est un revenu qu'il faut réclamer et nullement un travail, sinon c'est se tromper littéralement de combat. Sortir du capitalisme, c'est aussi sortir de son conditionnement du débat.
Qu'auront été, au cours du XIX° siècle, les avancées dites sociales sinon les aménagements nécessaires pour maintenir les travailleurs au travail ? Le but n'est pas de libérer l'homme du travail, mais bien de l'enfermer toujours plus dans ce système. L'État est en même le garant. Comment les entrepreneurs ont-ils les mains libres ? Grâce à la législation, à l'armée et à la police. Le code du travail n'est qu'un baume, il ne sert qu'à garantir la vraie domestication sociale : le travail salarié et au-delà, la consommation. Les travailleurs savent qu'ils sont asservis, mais compromis et changement culturel aidant, on leur fait croire que la liberté ne leur est pas inaccessible, et que celle-ci s'exercera dans la consommation.
Le travail salarié n'est pas une source de revenu
Il ne donne pas de richesses, mais des bons d'achats, du crédit à la consommation, du low-cost et des loisirs à Iquéa-Park. La richesse ne provient que de la valeur produite, mais les travailleurs n'en sont pas propriétaires. La signature d'un contrat de travail ne fait qu'entériner cet état de fait.
De plus, on maintient le mythe du propriétaire pour mieux maintenir l'individu au travail : sans biens communs, ne reste plus qu'un chez soi à conquérir, une villa « Mon rêve » ou « Mon repos » au choix. Mais, que de souffrances et de compromis pour y parvenir.
La force du capitalisme tient aussi à ce qu'il s'est institué comme un conte. Les travailleurs salariés comme de grands enfants aiment qu'on leur raconte toujours la même histoire, et le système capitaliste ne se gêne pas pour le faire : A et B se marièrent, travaillèrent beaucoup, s'endéttèrent longtemps, mais un jour ils devinrent propriétaires, vécurent heureux et eurent plein de petits-enfants.
Pourtant, cette société du travail, permettez (avec le comité invisible), « de nous en foutre » totalement.
… Dites, c'est encore loin « L'An 01 » ?
« Ô Paresse, mère des arts et des nobles vertus » (P. Lafargue), voilà cent-vingts années que tu endures, que tu supportes ces cortèges d'hommes et de femmes fêtant le travail, se fêtant eux-mêmes, travailleurs et travailleuses fêtant leur propre asservissement. Ici Jeanne d'Arc, là le travail, le 1er mai mérite-t-il tant d'infamies ?
Non, car désormais le 1er mai nous ne fêterons plus RIEN : c'est un revenu garanti et la fête permanente que nous voulons.
Prolétaires du monde entier, comme les enfants du film de Jean Vigo, montez sur les toits et jetez vos contrats de travail !
Références (Paul Lafargue, André Gorz, Dominique Méda, Comité invisible, Henri Guillemin, Viviane Forrester, Jean Gadrey, Paul Ariès, Serge Latouche, Baptiste Mylondo, Bob Black...)
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