Pour un Etat de grâces

Le président Sarkozy a décidé de supprimer les grâces collectives du 14 juillet, traditionnelles depuis les années 1990. Il estime que ce privilège régalien est archaïque et qu’on n’a pas à en user pour favoriser un "désengorgement" pénitentiaire qui relève de la responsabilité des juges.
Comme on pouvait s’y attendre, cette abstention a été applaudie par la droite et la gauche et les syndicats de magistrats l’ont saluée. En même temps, on craint une forte effervescence dans les prisons qui pourrait être suscitée par ce refus des grâces collectives, l’état des lieux souvent indigne, la tension de l’été. Le Figaro et Le Parisien de ce jour nous fournissent de bonnes enquêtes à ce sujet.
Avant de tenter d’expliquer pourquoi cette démarche présidentielle me pose un problème, je souhaiterais me rassurer en évoquant une nouvelle que j’espère fausse, rapportée par Le Point et qui concerne Arno Klarsfeld. Notre ministre de la Justice aurait, paraît-il, l’intention de le nommer à ce poste important et bienvenu de contrôleur indépendant des prisons. Si cette allégation est exacte, il y aura de quoi s’étonner de ce désir de République irréprochable qui se dégrade si rapidement en un monde petit, si petit. Après son échec aux législatives, on pouvait supputer raisonnablement que, pendant quelque temps, on n’entendrait plus parler d’Arno Klarsfeld et qu’on le laisserait méditer sur les défauts conjugués de la vanité et de l’amateurisme. Si les prisons devenaient un lot de consolation pour lui, ce serait une honte et pour les détenus qui ont le droit d’attendre mieux et pour la démocratie qui n’est pas si démunie de talents et d’autorités qu’elle doive consacrer l’insuccès électoral et l’accomplissement guère enthousiasmant des missions multiples qui lui ont été confiées en un trait de temps, on ne sait trop pourquoi. Je m’interroge. Pour être dans les bonnes grâces du pouvoir, faut-il être battu à une élection, faire du roller, du vélo ou du jogging, dire que Nicolas Sarkozy n’est pas Le Pen ? Je n’ose croire que l’avenir, sur ce plan, est inéluctablement programmé.
Revenons aux grâces collectives qui ne sont pas si éloignées de ce que je viens d’aborder.
Certes, c’était un engagement présidentiel. Mais force est de constater que certaines promesses ont su s’adapter à la résistance de la réalité et aux oppositions des syndicats. Elles ont perdu leur caractère sacré sans que quiconque crie à leur trahison.
Le refus des grâces collectives, certes approuvé unanimement, suscitera doutes et critiques, avec le courage tardif des opportunistes, si jamais l’univers pénitentiaire en venait, dans les prochains mois, à exploser. Les syndicats pénitentiaires - le pouvoir ayant démontré, ailleurs, qu’il attachait du prix à l’opinion des syndicats - souhaitaient le maintien de cette tradition républicaine, pas seulement pour leur confort mais en raison de leur expérience qui valait autant que les discours idéologiques prodigués sur la réforme des universités et le service minimum. Je ne suis pas persuadé, enfin, puisque le président lui-même y a fait allusion, que les magistrats ne se seraient pas passés, comme première marque de la reconnaissance de leur indépendance, de cet abandon des grâces collectives dont ils refusaient l’esprit mais que leur réalisme acceptait.
Le choix ne devait-il se faire vraiment qu’entre la grâce collective dans sa définition habituelle et sa disparition ? Une pratique intelligente des grâces collectives aurait pu être mise en oeuvre qui se serait servi de celles-ci pour annoncer, par des discriminations claires et cohérentes, la politique pénale à venir, notamment la distinction opératoire entre les atteintes aux biens et les agressions contre les personnes ? Il ne se serait pas agi seulement d’exclure de leur bénéfice certaines transgressions au regard de l’humeur du temps mais de favoriser un aménagement des peines que les juges auraient rendu d’autant plus clairvoyant et libéral qu’il aurait été préparé par un pouvoir politique soucieux du long terme.
Quel message cette abstention va-t-elle, aussi, adresser à la communauté des détenus, toutes infractions confondues ? Les peines planchers, mesure phare de ce début de quinquennat sur le plan judiciaire, constituent un signal de sévérité pour les récidivistes majeurs ou mineurs. Elles vont rassurer l’opinion publique qui, pour attendre des réformes plus décisives, ne fera pas fi de cette mesure de fermeté. Les grâces collectives auraient eu le mérite de conjuguer immédiatement, avec cette rigueur nécessaire, une générosité lucide qui, pour être coutumière, n’était pas forcément absurde. En effet, quoi de plus essentiel que de faire percevoir et à ceux qui vont la subir et aux citoyens qu’une politique pénale digne de ce nom se caractérise par un humanisme vigoureux, un coeur armé, une palette d’actions qui savent aller de la compréhension à l’inflexibilité ? Faute d’un tel message, on risque de se retrouver au coeur de ces programmes hémiplégiques qui, choisissant une part du réel ou une manifestation de sensibilité, oublient la globalité et se contentent au fond de peu. Pour ma part, je trouve dommage qu’on se soit privé du symbole fort des grâces collectives pour présenter une démocratie à la fois sans complaisance et sans haine.
Enfin, je ne prétends pas assimiler le bouclier pénitentiaire au bouclier fiscal. Loin de moi l’idée de comparer ce qu’on prévoit pour les riches innocents avec ce qu’on refuse aux pauvres détenus mais tout de même, une société ne s’honorerait-elle pas en gardant le sens des mesures, en ciblant bien les compassions et en acceptant, lors d’un rite républicain, de ne pas donner à la part enfermée de la population l’impression qu’elle compte pour rien quand l’autre privilégiée compte pour beaucoup ? Il y a des choix politiques qui peuvent, dans une société démocratique, apparaître comme des fautes de goût.
Je me sens d’autant plus convaincu dans la rédaction de ce billet que mon métier, mon expérience et ma réflexion ne me conduisent pas naturellement vers l’indulgence singulière ou collective. Mais je n’aime pas ajouter de la rigueur à la rigueur. Je n’aime pas approuver une rectitude qui ne fait du bien qu’à celui qui en use.
J’éprouve de la nostalgie pour l’Etat de grâces.
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