Privatisation des prisons
Il était de bon ton dans les rangs de l’UMP ou du Parti Socialiste, il y a encore peu de temps, de montrer du doigt la Chine lorsque l’on parlait des Droits de l’Homme, notamment en ce qui concerne le travail des détenus chinois dans les prisons. J’emploi l’imparfait pour les fans du parti de la majorité, puisque depuis que l’UMP est copain comme cochon avec le parti communiste chinois, il est conseillé aux adorateurs de notre omni président de se taire sur le sujet. Quant aux ténors des socio-démocrates français, ils sont tellement emberlificotés dans leurs contradictions, qu’ils en oublient de jouer le rôle d’opposants. Dans le numéro 8 du Lot en Action mag, le Lutin qui lutte a poussé un petit cri de colère sur la privatisation des prisons et le travail des détenus. J’étais donc décidé à mener une enquête sur le sujet pour vous écrire un petit article, histoire de vous dresser un tableau de la situation en quelques lignes. Mais en avançant dans mes investigations, je suis passé de la stupeur à la colère, rejoignant l’indignation de notre chroniqueur adoré.
C’est précisément ce qu’a dû se dire notre président monté sur piles et talonnette grand modèle, lors de ses voyages au states pour aller s’excuser des paroles malheureuses de Dominique…
Parce que la politique française en la matière est calquée sur le même moule. Bon, là il me faut faire preuve d’un minimum d’honnêteté intellectuelle et précisant que les choses ont commencé bien avant que le petit monte sur son trône. C’est depuis la mise en place du « programme 13000 » en 1987 que des entreprises privées peuvent cogérer une vingtaine d’établissements pénitentiaires français. Ils ont été construits par Vivendi, la Lyonnaise des Eaux ou Dumez et sont gérés de manière rentable mais souvent inhumaine et déplorable, notamment en matière de santé, par Sodexho, Eurest, Gecep, Gepsa.
Et depuis que le petit est devenu khalife à la place du khalife, son copain Bouygues prend les nouveaux marchés. A titre d’exemple, en février 2008, Rachida Dati déclarait, en présentant le contrat qui délègue à Bouygues à la fois la conception, le financement, la construction, la maintenance et la gestion des services dans les 3 nouvelles prisons qui seront construites à Nantes, Lilles et Réau (Seine et Marne) : « La modernisation de notre système pénitentiaire est en marche. Le contrat que nous allons signer s’inscrit dans cette politique, il permet de concevoir la prison de demain » Mais Rachida a oublié de révéler un petit détail, qui a toute son importance : le contrat prévoit que l’Etat deviendra propriétaire des prisons dans 27 ans et paiera entretemps un loyer de 48 millions d’euros annuels, tout en gardant à sa charge les surveillants…
Mais la plaisanterie ne s’arrête pas là, puisque tout comme au pays qui fait fantasmer Sarkozy, on a mis les taulards au boulot. Il y avait déjà le travail qui concerne l’intendance des prisons, qui était confié aux détenus volontaires. Mais les fameuses entreprises qui gèrent les prisons, passent des contrats avec des entreprises françaises (L’Oréal, Bouygues, EADS, Yves Rocher, BIC, etc.), pour leur proposer une main d’œuvre vraiment bon marché : un détenu est payé souvent à la pièce (ce qui est illégal en France) entre 200 et 300 euros par mois, bien sur sans aucun droit ni aucune protection sociale. L’Observatoire International des Prisons dénonce haut et fort cet esclavage moderne légal : « Non seulement les prisons en France détiennent le triste record européen du nombre de suicide, mais elle a déjà été condamnée par l’Europe pour des conditions inhumaines d’incarcération (surpopulation, hygiène, droits des détenus). Dans les prisons, les détenus qui travaillent sont dans des zones de « non droit ». François Besse, de l’OIP, connaît le problème : « En ce moment, nous aidons un détenu de la maison d’arrêt de Caen à essayer, malgré tout, d’obtenir des indemnités. L’an dernier, en restaurant des palettes en bois, il a enlevé la sécurité de son pistolet à clous. Il s’est crevé un œil. Puis, comme il avait besoin d’argent, il a repris le travail et s’est crevé le second… »
Mais pourquoi les détenus sont-ils volontaires pour travailler dans de telles conditions ? Il faut savoir qu’en prison tout est payant, de la savonnette au paquet de clopes, en passant par la télévision et les extras de bouffes qui permettent d’améliorer l’infâme nourriture qui leur est servie. Et tout cela se paye beaucoup plus cher qu’à l’extérieur… Et selon vous qui encaisse les bénéfices ? Martin et les autres n’en ont pas assez, d’ailleurs Sarko leur donne raison, plus, toujours plus ! Donc quand vous êtes enfermés à 3 ou 4 dans une cellule de 9m² 22 heures par jour, qu’il vous faut payer pour respirer et survivre, le choix s’avère très vite limité.
Une prison, ça rapporte ... énormément
Ligue des Droits de l’Homme de Toulon
Bouygues, Eiffage Construction, Sodexho-Alliance (Siges et Idex-Sogerex), Suez-Lyonnaise des eaux (Gepsa)... sont en prison. Pour y faire de l’argent, pas à cause de tout ce qu’on peut leur reprocher. [1]
Le système carcéral offre un excellent exemple de l’interpénétration "public-privé". Le partage des tâches est simple : le "service public" fixe les lois permettant les emprisonnements (parlement), régule les flux d’entrée et de sortie de prisonniers (police, justice) et le "service privé" fait ses choux-gras de l’exploitation du système. Le principe de base de cet accouplement monstrueux, c’est la "délégation de service public", que les contrats dits PPP (Partenariats public-privé, loi du 2 juillet 2003) ont porté à son maximum. Avec les PPP, administrations et entreprises ne font pratiquement qu’un pour l’exécution du service, et deux bien distincts pour ce qui concerne les bénéfices.
La gestion en PPP est pour les entreprises privées une manne. Elles espèrent engranger, sur le modèle américain, d’immenses profits. Grâce à un accroissement progressif -et d’ailleurs programmé- de la population carcérale, le système atteindra certainement une forte rentabilité. Les puissantes entreprises qui se sont lancées dans les PPP feront donc, avec tous les moyens dont elles disposent (les médias qu’elles contrôlent, leur copinage politique, la corruption...) tout ce qu’elles peuvent pour que la "justice" matraque de plus en plus l’habitant de base et le fasse passer par la case prison quand il leur conviendra. Leurs bénéfices en dépendent. Leur cotation à la bourse aussi.
L’histoire de la privatisation des prisons vient de loin, mais c’est en 1987 qu’elle a été relancée par Albin Chalandon (gouvernement de droite) avec la construction de 15 000 nouvelles cellules et l’attribution à une même entreprise de la conception, la construction et la gestion d’un établissement pénitentiaire. Sur les 25 prisons prévues par son programme, 21 ont été construites avec un total de 13 000 cellules.
Suite à la proposition de Pierre Méhaignerie (gouvernement de droite) Elisabeth Guigou (de gauche) décide en 1994 de reconduire la gestion mixte des 21 prisons-Chalandon et de lancer 6 prisons supplémentaires (4 000 cellules de plus). Les bénéficiaires de l’appel d’offre sont alors le groupe Eiffage Construction et le groupe Bouygues. En 2000, un milliard et demi d’euros sont débloqués pour ces constructions. En janvier 2002, l’administration pénitentiaire alloue au groupe Sodexho-Alliance (Siges et Idex-Sogerex) et au groupe Suez-Lyonnaise des eaux (Gepsa) le service de restauration pour 27 prisons.
En 2001, un programme de 35 nouvelles prisons -excusez du peu- est annoncé par Marylise Lebranchu (gouvernement de gauche). En 2002, Perben (gouvernement de droite) rebondit la-dessus. Un nouveau programme de 13 200 cellules est lancé, dont 400 à 600 cellules contre les enfants. Pour aller plus vite, il facilite la tâche des entreprises : elles sont désormais dispensées de la longue procédure prévue dans le Code des marchés publics et elles peuvent obtenir un crédit-bail avec un droit d’occupation temporaire de terrain public. De plus, Perben leur donne la gestion clef en main pour des durées de vingt à trente ans.
L’État est réduit au rôle de locataire (c’est lui qui verse au privé une redevance mensuelle) et de fournisseur (c’est lui qui envoie "gracieusement" les gens en prison, en fonction du besoin des entreprises qui gèrent les taules).
Les entreprises empochent le loyer et les frais de gestion (avec une marge confortable), le "prix de journée" pour l’entretien des prisonniers (sur lequel elles peuvent faire toutes les "économies" possibles), les sur-bénéfices de la "cantine" (tous ce que les prisonniers peuvent acheter -papier hygiénique, enveloppes...- vendu beaucoup plus cher qu’à l’extérieur) et les sur-bénéfices du travail des prisonniers (tenus au rendement et payés des clopinettes). De ce point de vue, la prison constitue l’équivalent d’une délocalisation de la production... les frais de déplacement en moins.
Les prisonniers, jusque-là soumis au seul pouvoir du directeur de prison, ont avec le PPP une double autorité. La première contrôle toujours l’application administrative de la peine, l’autre régit la logistique, le quotidien qui influe à chaque instant sur la vie en détention. Les choses sont encore plus compliquées pour eux.
Et la "Justice" là-dedans ? Il ne peut y avoir de "Justice" quand il n’est question que de profits.
Le recours aux constructeurs privés critiqué
Une panne électrique générale dans le nouveau centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan, construit par le groupe Bouygues et mis en service le 7 décembre, a contraint les autorités à évacuer les 87 détenus présents. Le centre doit accueillir à terme plusieurs centaines de prisonniers. Selon une porte-parole, l’administration pénitentiaire, qui évoque un incident "inédit" dû à un début d’incendie sur un disjoncteur, n’était pas en mesure mardi de dire quand le centre serait remis en service.
La CGT Pénitentiaire et FO estiment que l’Etat doit reprendre la gestion des prisons plus directement et jugent que la sécurité des personnels et des détenus a été mise en cause. "Nous étions opposés à ce type de privatisation, car ça coûte très cher à l’Etat. Si en plus les équipements ne sont pas en bon état de marche (...), c’est catastrophique", a dit Céline Verzeletti, de la CGT Pénitentiaire. Le secrétaire général adjoint de FO Pénitentiaire, René Sanchez, estime pour sa part, dans un communiqué, qu’"il serait simplement bien de rappeler au privé ses obligations dans le cadre de la gestion déléguée".
La délégation de la construction de prisons au secteur privé est ancienne mais elle a été accentuée avec un plan de construction lancé sous le gouvernement Raffarin, qui comprenait le centre de Mont-de-Marsan. La population carcérale en France frôle des records avec 63.619 détenus pour 51.000 places.
Le Lot en Action mag n°10. 11 février 2010 par Bluboux
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