Raufer, ce « bon client »
Xavier Raufer (de son vrai nom Christian de Bongain) est un inconnu pour beaucoup de personnes. Pourtant, vous avez certainement déjà vu et entendu ce criminologue au moins une fois. Peut-être même certains d’entre vous l’ont-ils lu.
Xavier Raufer est que l’on appelle « un bon client » du système médiatique. Il répond volontiers aux sollicitations des journalistes dès lors qu’il s’agit de parler de la violence urbaine, du phénomène des bandes, du terrorisme, et plus largement de la criminalité et de la politique pénale.
Il suffit qu’un fait divers spectaculaire se produise en France (une agression, un saccage, un homicide, des actes de barbarie, etc.) pour que les micros se tendent automatiquement. Et ça tombe plutôt bien car Xavier Raufer a souvent réponse à tout dans ces domaines fort complexes et il peut ainsi développer ses analyses sécuritaires avec cette docte assurance que beaucoup d’experts ont en partage.
Estampillées « vu à la télé », ses analyses en deviendraient presque parole d’Evangile.
L’homme a d’ailleurs publié un livre en novembre 2009 sur les nouveaux dangers planétaires. Et là encore, ça tombe bien, car le besoin de compréhension des journalistes et le besoin promotionnel de l’auteur se rencontrent. Raufer, déjà très présent dans la sphère médiatique, est désormais omniprésent.
Disons le tout net : il ne s’agit pas de discuter ici les compétences de Monsieur Raufer, mais de dénoncer une absurdité qu’il assène péremptoirement en ce moment et qui consiste à se référer à un rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) de septembre 2009 pour réfuter que la pauvreté et la précarité sociale sont des faits générateurs parmi d’autres de la violence et de l’atteinte aux biens et aux personnes.
La raison avancée ? Elle est d’une simplicité confondante : la pauvreté monétaire et la pauvreté en conditions de vie sont particulièrement élevées dans les départements ruraux où la violence est pourtant infinitésimale, pour ne pas dire inexistante. Et Raufer de citer le cas du Cantal et de la Creuse (on pourrait y adjoindre également la Lozère qui avait été mentionnée dans un rapport de l’INSEE).
Le syllogisme bêta du savant peut donc se résumer de la façon suivante : « Il y a beaucoup de pauvres dans le Cantal et la Creuse. Or, les faits de violence sont anecdotiques dans ces départements. Donc, il n’y a pas de lien entre la pauvreté et la violence. »
Selon Raufer, l’argument de la pauvreté participe de la « culture de l’excuse » qui consiste, d’une part, à trouver des raisons aux délinquants et aux criminels, des causes a priori aux différents phénomènes de violence constatés en milieu urbain et, d’autre part, à justifier un prétendu laxisme en matière de répression. Cette « culture de l’excuse » (implicitement attribuée à la gauche) permet souvent à Xavier Raufer d’esquiver habilement la faillite de la politique du tout sécuritaire et du tout répressif. On croirait entendre Sarkozy qui indiquait à la télévision le 29 novembre 2007 au sujet des émeutes de Villiers-le-Bel :
« Nous retrouverons les tireurs. Ce n’est pas un problème de haine de la police. Ce sont des individus qui sont des voyous, déstructurés. Nous les retrouverons un par un, et pour eux ce sera la cour d’assises [...] Tous les chômeurs ne tirent pas sur les gendarmes et les policiers, il faut arrêter avec ça [...] Quand on veut expliquer l’inexplicable, c’est qu’on s’apprête à excuser l’inexcusable (sic). »
Xavier Raufer ne soutient pas autre chose à la télévision : expliquer la violence dans les ensembles urbains, notamment par la pauvreté et la précarité sociale (car ce ne sont évidemment pas les seules causes), c’est déjà l’excuser ! Et comme on l’a dit, Raufer a cru pouvoir trouver, dans le rapport de l’IGAS sur la pauvreté en milieu rural, la preuve irréfutable de l’absence de lien entre pauvreté et violence.
Seulement voilà, après avoir parcouru ce fameux rapport, on ne voit pas comment Raufer a pu faire une telle déduction, dans la mesure où ce document ne vise qu’à étudier la pauvreté, la précarité, et la solidarité en milieu rural. Il ne s’agissait donc pas d’étudier les liens entre pauvreté et violence en milieu rural. Il ne s’agissait pas non plus d’établir de quelconques comparaisons sur ce sujet avec des départements plus fortement urbanisés.
Dans ce rapport, le terme « délinquance » n’apparaît qu’une seule fois et encore de façon assez anecdotique. Le terme « violence » apparait trois fois (pages 107, 108 et 143 du rapport de l’IGAS) et concerne les violences familiales et conjugales en milieu rural.
En niant le lien entre la pauvreté et la violence, on en arrive donc implicitement à opposer la soi-disant tranquillité des campagnes pauvres (où la violence existe pourtant bel et bien mais elle s’exprime sous d’autres formes) à l’insécurité des grands ensembles urbains où le mélange social est forcément plus important eu égard à la densité de la population. On en arrive implicitement à réduire la violence à un déterminisme tout autre que certains associent aux populations d’origine étrangère. Tel est le cas par exemple du journaliste Eric Zemmour qui a cru intelligent de dire le 6 mars sur Canal + :
« Les Français issus de l’immigration sont plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes… C’est un fait »
Fait pour fait, on remarquera que les plumitifs des années 1930 dénonçaient aussi la forte présence dans les prétoires des Polonais et des Italiens dont beaucoup appartenaient socialement aux couches les plus défavorisées de la population.
Qu’en conclure sinon que les nationalités et les origines ethniques changent, mais que l’argumentation fallacieuse demeure ? Elle demeure parce qu’elle se dissimule derrière la prétendue analyse de la réalité des faits qui, le plus souvent, n’est que l’expression d’un préjugé idéologique xénophobe.
Mais revenons-en à Xavier Raufer (dont on lira avec intérêt le parcours politique). Comment celui-ci peut-il affirmer que les départements ruraux les plus pauvres ne connaissent pas des phénomènes de violence ?
Xavier Raufer a-t-il recoupé le rapport de l’IGAS avec les statistiques policières de ces départements ?
Il ne l’a en tout cas pas expressément indiqué dans ses différentes interventions télévisées. Et à supposer qu’il l’ai fait quel crédit peut-on justement accorder aux statistiques du ministère de l’intérieur surtout dans les départements ruraux dont la situation est assurément incomparable avec celle des départements fortement urbanisés ?
D’ailleurs, pour mesurer la pertinence et le sérieux des statistiques du ministère de l’intérieur, il suffit de rappeler la pseudo augmentation de la délinquance constatée en 2006 au Commissariat de Mende (préfecture de la Lozère, 12.000 habitants, seul commissariat pour l’ensemble de ce département de 77.000 habitants) :
« MENDE (AFP), 22 septembre 2006 – Le vol d’une paire de chaussettes, de bonbons et de magazines dans quatre magasins différents est la cause de la hausse de l’augmentation de 200 % des vols enregistrés au commissariat de Mende sur les six premiers mois de l’année, a-t-on appris de source proche du dossier. Sur la même période de 2005, le commissariat de Mende n’avait enregistré qu’un seul délit de ce type : le vol d’un pot de yaourt dans un hypermarché, a-t-on précisé de même source. Les vols dans quatre magasins commis par un jeune homme ont donc fait exploser les statistiques. Vingt-huit préfets ont été sollicités en juillet par la Direction générale de la police nationale (DGPN) pour expliquer la hausse des violences aux personnes, a révélé le journal Le Monde. La Lozère figure parmi ces départements. Aucune instance officielle dans ce département n’a souhaité faire de commentaire après ces informations. « Il n’y a pas eu d’augmentation notoire des faits de délinquance et d’atteinte aux personnes », ont toutefois indiqué à un correspondant de l’AFP des sources proches du dossier. »
Que dire alors si l’on y ajoute les mésaventures de l’ex-préfète de la Lozère arrêtée pour vol ou l’arrestation de terroristes de l’ETA ? Que le 48, département essentiellement rural, est un centre névralgique de la criminalité sous la férule d’une mafia d’Etat, alors que l’insécurité y est quasiment inexistante tout au long de l’année ? Certes pas. Il faut donc se méfier grandement des statistiques auxquelles on peut faire dire absolument tout et n’importe quoi.
La violence existe pourtant en milieu rural : il y a des délits et des crimes ; il y a de multiples formes d’incivilité. La pauvreté y est importante. Mais cette violence s’exprime forcément sous d’autres formes que dans les lieux où la population est plus dense. Elle est également plus difficilement identifiable, dans la mesure où les infrastructures policières et de gendarmerie y sont plus dispersées. Dans les départements ruraux, une incivilité ou une infraction, par exemple, ne donnera pas forcément lieu à une main courante ou à une plainte quand on sait que le premier officier de police judiciaire peut se trouver à une vingtaine de kilomètres (si l’on ne compte pas les maires bien sûr).
Par conséquent, si la pauvreté n’est évidemment pas la seule cause de la violence, il est aussi un fait qu’une très grande majorité de la population pénale est d’extraction sociale très modeste et pauvre, et ce depuis des temps immémoriaux.
Pour conclure le présent billet, il convient de s’interroger sur la méthodologie utilisée par les journalistes quand ils prétendent offrir aux citoyens une analyse et une mise en perspective des faits d’actualité.
Guy Birenbaum s’est interrogé sur l’utilisation abusive du « off » par les journalistes, c’est-à-dire sur l’exploitation abusive d’informations provenant de sources anonymes, lesquelles sont reprises et suscitent immanquablement polémiques, débats, éditoriaux, hypothèses et autres conjectures.
Pour compléter l’interrogation de Birenbaum, il faudrait également se demander pourquoi les journalistes cèdent à la facilité de donner systématiquement la parole aux mêmes experts.
(Billet publié initialement sur http://www.gabale.fr)
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