Regarder l’autre comme un acteur de son propre changement
« Franck Farrelly, psychothérapeute et professeur à l’université de Wisconsin, est le concepteur de la thérapie provocatrice, une méthode qui utilise la provocation, telle que la position de l’avocat du diable, en conseillant par exemple au patient de poursuivre ses erreurs, de s’enfermer dans ses problèmes, dans un climat chaleureux, plein d’humour et de respect, non sans rappeler certaines stratégies de Milton Ericskon. » Olivier Piazza, Site Selfway, la voie du développement personnel. Farelly, Erickson, Rogers, autant de chevaliers de la digne lignée des précurseurs d’une nouvelle forme thérapeutique et éducative.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH400/P4300091-ec782.jpg)
Franck Farrelly est l’auteur de La Thérapie provocatrice aux éditions Satas.
L’auteur part de "la thérapie centrée sur le client" de Carl Rogers dont il fut l’élève émérite. "J’étais décidé à faire tout ce qui était en mon pouvoir pour comprendre le cadre de référence intérieur de Rachel, pour partir d’où elle se trouvait et rester avec elle pas à pas afin de parvenir à une compréhension empathique de sa personnalité (...). C’était une façon complètement différente de voir les patients et de leur parler"*.
Mais cette méthode ne satisfait pas suffisamment l’auteur qui intervient en milieu psychiatrique et fait le constat suivant concernant un de ses patients : "Il pouvait faire ce qu’il voulait et comme il le voulait parce qu’il était perturbé ; Il devint clair aussi à mon esprit que je me trouvais face à un patient reconnu comme malade mental qui avait prétendument perdu contact avec la réalité. Avec une grande justesse, cependant, il avait décodé le message fondamental de la psychiatrie : les personnes qui souffrent de perturbations émotives ou psychiatriques "n’y peuvent rien", elles ne doivent pas être tenues responsables de leurs actes et demeurent à l’abri des conséquences sociales de leurs comportements"*.
Or, il me paraît que l’on pourrait être en mesure de faire ce même constat auprès des jeunes en difficultés éducatives. Le statut de la victime est en effet une posture très contemporaine, déplorait Elisabeth Badinter, il y a quelques mois,dans une interview sur une radio canadienne. Je vois cette manière d’appréhender l’autre, pour ma part, comme une véritable voie de l’échec.
Farelly, quant à lui, s’inscrit dans une dynamique créatrice et constructive passionnante : "Le potentiel qu’ont les clients d’adopter des comportements appropriés, productifs et socialement valables est beaucoup plus grand que ne le croient la plupart des cliniciens"*
Au fil de son expérimentation, l’auteur éprouve différents outils salvateurs pour amener le patient vers un changement : "Je me rendis compte que la douleur et l’humour pouvaient se côtoyer et que le masque comique tout comme le tragique semblaient contenir les principaux éléments de la thérapie". Il découvre ensuite le principe de congruence et d’authenticité dont il fera le ciment de la thérapie provocatrice : " J’avais lu un article de Carl Rogers qui m’avait donné l’envie d’expérimenter le niveau maximal de congruence et d’authenticité en entrevue afin d’en évaluer les effets (...). Il était entendu qu’au cours de l’entrevue, mon collègue et moi exprimerions au patient toutes nos pensées, nos sentiments et nos réactions. Nous serions authentiques, non seulement avec lui mais l’un avec l’autre (...). Je compris alors qu’en entrevue, la congruence totale, lorsqu’elle est constante, est très utile aux patients. Je ne "rongeais pas mon frein" et j’évitais que mes réactions envers mes clients aillent dans une direction alors que mes sentiments allaient dans une autre"*. L’auteur ajoute ensuite que "les gens peuvent changer de façon radicale et permanente et ces changements peuvent avoir lieu dans un temps relativement court". Il précise également que "si l’on peut aider les patients à prendre conscience de l’opinion ou des sentiments négatifs des autres envers eux et de la façon dont ils peuvent modifier ceux-ci, ils peuvent changer assez rapidement"*.
Au sujet du transfert et du contre-transfert, la pensée de Farrelly est particulièrement innovatrice : "Au début des années 60, une des plus grandes absurdités prévalant dans le domaine clinique avait trait à la nécessité de "surveiller ses sentiments de contre-transfert à l’égard des clients", dit-il. "A une époque, je discutais avec un travailleur social de mes "invectives" et de mes "sentiments de contre-transfert". J’entends encore ses paroles : "j’essaie toujours de garder pour moi mes sentiments irrationnels". Ce à quoi je répliquai : "Eh bien, moi, je les inclus de plus en plus dans mes entrevues. Ils semblent être plus efficaces que mes réactions professionnelles apprises"*. Le livre de l’auteur ne manque pas d’exemples illustrant la théorie.
Un jour, une patiente demande à Farrelly, "Qu’est-ce que vous pensez de moi ?" : "Je lui tins un discours de dix à quinze minutes sur elle-même pour lui dire surtout qu’elle cassait les pieds de tout le monde. Je ne choisis pas mes mots, ni ne feignis chaleur ou empathie. J’étais en colère et ne m’en cachais pas ; à la fin de ma tirade, ma cliente sourit et dit avec assurance : "Je le savais". La leçon pour moi était très claire, une colère sincère peut vraiment aider le patient."*.
Farrelly est encore trop peu connu en France. Son livre, distribué en Belgique, n’est d’ailleurs pas disponible dans l’Hexagone. Il semble ici, comme sur bien d’autres points, que nous restions campés sur de bonnes vieilles méthodes qui, tel le modèle unique de la sécurité sociale, auraient fait leurs preuves. Nous sommes frileux, pendus au prétexte de l’éthique, comme si nous étions les seuls à nous soucier du respect de l’autre.
« Le président Kennedy demanda une fois à son conseiller scientifique pourquoi les hommes de science en arrivaient avec une fréquence navrante à des conclusions remarquablement opposées face à un problème, une question ou un phénomène donné. Il obtint la réponse suivante : "Ils abordent le même phénomène avec des hypothèses différentes au départ. Cet énoncé explique en grande partie pourquoi les thérapeutes qui font face aux mêmes types de comportement humain emploient des approches aussi divergentes. Ils partent de postulats différents au sujet de l’homme, de la société, de la signification du langage et du comportement. (...). La vérité, c’est qu’il n’existe pas (et il n’en existera probablement jamais) de théorie universelle sur le comportement humain. Mais (...) il est impossible de ne pas faire d’hypothèses quand on travail avec l’humain. (...). En thérapie provocatrice, le thérapeute n’appartient à aucune école particulière(...). La thérapie provocatrice n’en est pas moins fondée sur des hypothèses."*. L’idée que le sujet possède les ressources nécessaires au changement fait partie de ces hypothèses. Dans ce contexte, « la tâche du thérapeute est de provoquer son client assez mais pas trop (il doit user de jugement) afin de le pousser à faire face à la situation problématique »*.
Et si le thérapeute était un éducateur ? Et si le client était un jeune en difficulté ? Je fais dans ce contexte, l’hypothèse d’une responsabilité du jeune dans ses actes et dans le déroulement de sa vie. Je fais l’hypothèse qu’il est, tout comme moi, acteur de son propre changement. Je le considère comme mon égal, aussi je me permets la sincérité la plus large à son égard.Voici une forme nouvelle de relation éducative que les acteurs de terrain de la prévention spécialisée devraient oser.
Les jeunes des quartiers rencontrent souvent des difficultés de différentes natures : éducatives, sociales, affectives, psychologiques. La réponse que nous leur apportons est celle de la bonne vieille relation éducative. Une relation engluée dans le respect absolu d’un autre appréhendé selon des relents judéo-chrétiens. Cet autre est victime, il souffre perpétuellement de la violence de la société. Face à Caliméro : écoute infinie, patience absolue et parfois insuffisance de cadre et de limites, sont les mots d’ordre. Mais la relation peut encore aller au-delà, le travailleur social peut être animé d’une certaine culpabilité face à la situation du jeune. Etre blanc et français depuis plusieurs générations semble en effet, parfois amener certains éducateurs à se vivre comme des dignes descendants de colons qui, à leur niveau estiment, plus ou moins consciemment, porter une certaine responsabilité des violations des droits de l’homme du passé à l’égard des personnes de couleur. Ainsi, le jeune est-il perçu comme une victime (notion discutable), descendante d’une autre victime (ce qui n’est plus discutable en termes de droits de l’homme). Dans ce contexte, une forme de relation masochiste peut s’inscrire entre le travailleur social et l’adolescent ou le jeune adulte. L’échange inscrit le gamin dans une forme de toute puissance, tandis que le professionnel se débat dans un dédale de sentiments qui l’amènent en dehors de la réalité de la relation et l’empêchent surtout d’être un repère fiable et strucurant pour le jeune.
Or, ne peut-on pas envisager la relation éducative sous cette forme de questionnement : et si le respect de l’autre n’étaitpas plutôt de lui parler comme à un acteur de sa propre vie ? Nous avons tous été, à des degrés divers, certes, mais tout de même, victimes de l’autre, de l’adulte, du monde, de la société. Certains ont d’ailleurs traversé des périodes extrêmement douloureuses dans leur vie, sans pour autant sombrer dans la folie ou dans la délinquance. Cela signifie que l’homme, au sens universel du terme, a de réelles ressources. Le devoir des travailleurs sociaux, n’est évidemment pas de juger qui aurait le droit de sombrer et qui ne l’aurait pas mais bien de regarder l’autre comme possédant les ressources nécessaires à son développement, comme étant acteur de son propre changement. Le patient, l’usager ou le client passe alors du statut de victime à protéger à celui d’acteur de sa vie à accompagner. Cela change tout ! C’est ce que Franck Farrelly tente de nous dire. Et c’est bien ce qui semble le plus adapté et le plus juste en terme d’accompagnement de l’autre dans la conduite du changement, qu’elle se nomme relation éducative, coaching, concelling ou autre forme d’accompagnement humaniste.
* La thérapie provocatrice, Franck Farelly, éditions Satas, Belgique.
26 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON