Tirage au sort
Les "jurys de citoyens" que Ségolène Royal vient de jeter dans la mare politique et auxquels souscriraient, d’après un sondage, cinquante neuf pour cent des Français, remet à l’honneur le tirage au sort comme méthode de gestion du système politique.
Il me reste suffisamment de souvenirs de mes études classiques pour ne pas avoir oublié que dans la Grèce antique, cette méthode était à l’honneur, mais pas suffisamment pour en avoir encore les détails en mémoire.
J’ai donc demandé à l’un de mes neveux, Jean-Baptiste, de me la rafraîchir. Voilà ce j’ai retenu des explications qu’il m’a données sans recherche particulière...
Effectivement l’élection par tirage au sort jouait un rôle très important dans le système de désignation des magistrats des démocraties grecques, et surtout à Athènes (ce serait Solon qui en aurait introduit l’usage). Au Ve siècle av. J.-C., qui est considéré comme le moment d’apogée de la démocratie athénienne, le tirage au sort avait une importance capitale au sein des institutions : les membres du Conseil, par exemple, étaient désignés par l’assemblée du peuple, par le moyen du tirage au sort (là, c’est un peu compliqué : parfois il y avait un double tirage au sort ; parfois le tirage au sort était précédé d’un vote de sélection, ou bien suivi par ce vote, etc.) Mais en bref, le pouvoir exécutif était aux mains de magistrats désignés par le sort.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que paradoxalement, ce mode de désignation constituait aux yeux des Anciens l’essence même de la démocratie, parce qu’il renforçait le pouvoir de l’assemblée. Par opposition au mode de désignation par vote, qui assurait aux représentants des familles puissantes et influentes une élection facile : par leur autorité, ces personnalités obtenaient beaucoup plus de voix que les autres. Le tirage au sort était, d’ailleurs, associé à l’interdiction d’être réélu, ce qui permettait une considérable rotation des charges publiques : et le pouvoir encore une fois restait aux mains du peuple, et non en la possession de ceux qui occupaient une charge. Ceci étant dit, il y avait une restriction non négligeable, même au milieu du Ve siècle : le recours au vote fut maintenu pour élire les stratèges, et certains trésoriers dont la charge exigeait des compétences techniques...
Ségolène Royal, elle, propose plutôt de faire de ces jurys une instance de contrôle, alors que, dans la démocratie athénienne, il s’agissait de désigner le pouvoir exécutif lui-même. Le tirage au sorte est ainsi une méthode aussi vieille que la démocratie et que, semble-t-il, seuls, les jurys de Cour d’assises ont perpétuée de nos jours.
Faut-il la remettre à l’honneur et dans quelles limites ? La question mérite certainement d’être débattue, quand on constate la manière dont l’élection s’éloigne souvent de la vraie démocratie en raison du rôle de plus en plus excessif de l’argent pour conquérir les votes, d’une surmédiatisation qui superficialise les débats et occulte fréquemment les vrais sujets, et du morcellement des partis politiques, associé à la multiplication ridicule des candidatures, favorisée par le laxisme du financement public des élections, qui découragent beaucoup des citoyens d’y participer et contribuent à des taux d’abstention massifs.
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