• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Actualités > Société > Tocqueville et le paupérisme : une vision toujours très actuelle

Tocqueville et le paupérisme : une vision toujours très actuelle

En ces jours de duels politiques, d’affrontements idéologiques, politiques, sociaux et économiques sur l’avenir de notre pays, j’ai pris le parti de poster un court billet sur l’analyse du paupérisme faite par Tocqueville en 1835 et qui aujourd’hui plus que jamais semble conserver une incroyable actualité, car il me semble qu’elle ne doit pas faire l’économie d’un traitement politique réinvesti en ce début de XXIe siècle.

En 1833, après un voyage en Angleterre, Alexis de Tocqueville (1805-1859) se lance dans une réflexion sur les causes du paupérisme qui touche les pays en phase d’industrialisation. De cette réflexion sortira un essai, intitulé Le Mémoire sur le paupérisme publié en 1835.

Avant tout, il fait une distinction entre misérabilisme et paupérisme. Quand le premier touche les pays pauvres, non encore industrieux (Europe du Sud par exemple), le second est la spécificité des pays industriels, Angleterre et Nord de la France notamment à l’époque où il écrit. Le terme de paupérisme apparaît d’ailleurs en Angleterre en 1822.

Tocqueville part du constat suivant, posé comme paradoxal, auquel il va tenter d’apporter une réponse. Comment expliquer ce phénomène en apparence contradictoire qui veut que ce soit dans les pays les plus riches que l’on observe la plus grande pauvreté ?

A partir du XIXe en Angleterre et dans une moindre mesure en France, on assiste à un mouvement sans précédent d’exode rural et paysan. La situation misérable du monde agricole et rural entraîne ces derniers à quitter les provinces pour gagner les zones urbaines et trouver un travail en usine. De fait, dans les grandes villes naissantes, le brassage est dense, les migrations internes et externes importantes et la ville s’édifie cahin-caha dans une sorte de brouhaha généralisé, où les solidarités anciennes, familiales, communautaires et religieuses se délitent au profit de liens plus superficiels et informels. Les individus urbains se retrouvent plus isolés. En outre, l’arrivée massive de main-d’œuvre des villages et campagnes constitue un vivier exceptionnel de forces productives pour l’employeur. Celui-ci dispose d’une « armée de réserve » conséquente, pour reprendre une terminologie marxiste, sur laquelle il peut faire jouer la concurrence et réduire de manière drastique le salaire. Si bien que l’ouvrier du XIXe se retrouve dans une situation de pauvreté et d’indigence souvent plus grande que celle qu’il pouvait connaître dans les campagnes. Son salaire est un « salaire de subsistance », mais s’il vient à lui manquer le travail, il lui manquera aussi de quoi survivre. Le paysan, mal loti avait au moins la chance de subvenir à ses besoins.

Voilà pour le constat. Mais Tocqueville va développer une analyse prospective d’une grande pertinence, à partir de la lecture de la situation historique, sociale et économique de l’époque, que l’on pourrait résumer à travers son propos suivant : « Plus une société est riche, industrieuse, prospère, plus les jouissances du plus grand nombre deviennent variées et permanentes. »

Ainsi, plus un pays s’enrichit, plus de nouveaux besoins apparaissent pour contenter l’enrichissement de la société. Par exemple, des habits propres, des biens superficiels, deviennent une nécessité. Si bien que celui qui n’en dispose pas, faute de moyen, est considéré comme pauvre et nécessiteux. Il réclame son dû comme il réclamait autrefois de quoi se nourrir. L’habit devient produit de nécessité, au même titre que la nourriture. En revanche, Tocqueville constate qu’en Espagne, au Portugal, nulle nécessité de porter l’habit propre. La population vit misérablement, mais elle ne vit pas pauvrement. Le vêtement ne constitue pas un besoin impérieux. « Dans un pays où la majorité est mal vêtue, mal logée, mal nourrie, qui penserait à donner au pauvre un vêtement propre, une nourriture saine, une commode demeure ? » En revanche, dans une société industrieuse, qui s’enrichit (on parlerait de croissance économique et de développement aujourd’hui), des jouissances nouvelles apparaissent qui deviennent bientôt des besoins. « L’homme naît avec des besoins et il se fait des besoins » nous dit Tocqueville. De ses besoins nouveaux, il se fait un devoir de les combler, sans quoi il sera considéré et se considérera lui-même comme pauvre. Ainsi, plus une société s’enrichit, plus la pauvreté doit également aller en s’accroissant, sauf à y trouver un remède, un moyen efficace d’enrichir le plus grand nombre sans appauvrir le reste de la population. Ce constat est partagé par l’auteur. « Si toutes ces réflexions sont justes, on concevra sans peine que plus les nations sont riches, plus le nombre de ceux qui ont recours à la charité publique doit se multiplier, puisque deux causes très puissantes tendent à ce résultat : chez ces nations, la classe la plus naturellement exposée aux besoins augmente sans cesse et, d’un autre côté, les besoins s’augmentent et se diversifient eux-mêmes à l’infini. » L’auteur fait preuve ici d’une incroyable perspicacité théorique et empirique qui se vérifie toujours près de deux siècles après (même si les Trente Glorieuses ont laissé croire à l’égalitarisme social, à tel point que certains sociologues ont pu parler à cette époque de l’ « embourgeoisement de la classe ouvrière »).

Ainsi, plus un peuple, une société, un pays s’industrialisent et s’enrichissent, plus croît la part de population pauvre. Plus ces pauvres accèdent à des besoins, plus se créent de nouveaux besoins inaccessibles à eux-mêmes. Si bien que la richesse d’un pays peut se mesurer à l’ensemble des biens et services jugés comme « nécessaires » pour les individus qui y vivent. Plus un pays s’enrichit, plus ses « pauvres » s’appauvrissent puisque parallèlement à leur incapacité à subvenir à leurs besoins, s’ajoute de nouveaux besoins toujours indisponibles à leur situation.

Mais alors, comment faire pour éviter ce creusement économique et social entre riches et pauvres ? Comment faire pour éviter le mouvement de révolte sociale qui risque de se diffuser dans ces classes laborieuses, exploitées et indigentes qui constituent la manne principale de la société industrielle naissante ? C’est déjà le souhait que formulera Tocqueville bien conscient du danger social potentiel que représentent ces formes nouvelles d’inégalités, en plus de l’inacceptabilité morale de la chose, en ces termes :

« A mesure que le mouvement actuel de civilisation se continuera, on verra croître les jouissances du plus grand nombre ; la société deviendra plus perfectionnée, plus savante ; l’existence sera plus aisée, plus douce, plus ornée, plus longue ; mais en même temps sachons le prévoir, le nombre de ceux qui auront besoin de recevoir l’appui de leur semblable pour recueillir une faible part de tous ces biens, le nombre de ceux-là s’accroîtra sans cesse. On pourra ralentir ce double mouvement ; les circonstances particulières dans lesquels les différents peuples sont placés précipiteront ou suspendront son cours ; mais il n’est donné à personne de l’arrêter. Hâtons-nous donc de chercher les moyens d’atténuer les maux inévitables qu’il est déjà facile de prévoir. »

Une vision fataliste en guise de conclusion, loin d’être rassurante quant à l’avenir des sociétés industrielles. Pour autant, Tocqueville souligne bien la nécessité de ne pas tomber dans une vision manichéenne. « Fixons sur l’avenir des sociétés modernes un regard calme et tranquille. » Mais succèdera à cet appel à demi-masqué à l’intervention de l’Etat dans la régulation de l’économie moderne de la part de Tocqueville, la théorie libérale qui deviendra la théorie économique dominante, formalisée autour la thèse de la « main invisible » du marché d’Adam Smith, et qui restera maîtresse jusqu’à la fameuse crise de 1929. Pourtant, cette approche tocquevilienne de la paupérisation semble se réactualiser depuis une vingtaine d’années, avec l’apparition de la précarisation des parcours professionnels, de la désaffiliation sociale (R. Castel), des « working poor », du chômage de masse, etc. qui devraient inviter nos deux futurs prétendants à se décider sur les mesures politiques sociales et économiques à prendre pour enrayer, ou tout au moins infléchir, le renouveau des situations de paupérisation de nos sociétés hypermodernes.


Moyenne des avis sur cet article :  5/5   (25 votes)




Réagissez à l'article

7 réactions à cet article    


  • Inarius 23 avril 2007 11:27

    Bonne analyse


    • Jason Nicolas 23 avril 2007 14:20

      Article qui nous rappelle très utilement que depuis 200 ans la fracture sociale est toujours présente dans nos pays où la richesse s’est immensément accrue.

      Certains diront que la mortalité infantile a baissé, la santé s’est énormément améliorée, la durée de vie s’est accrue, le travail est moins pénible, l’ascenseur social a bougé un peu, etc. Ce sont là les arguments classiques de ceux qui se reposent sur leurs lauriers et qui lâchent du lest pour obtenir un minimum de paix sociale (mais pas toujours, comme on le voit). Il faut poser la notion de progrès en termes de ratio : Moyens disponibles sur problèmes résolus, une sorte de rendement avec un index d’équité.

      La question qui se pose, à mon avis est : qu’est-ce qu’une société juste ? Comment peut-on opérer une redistribution de cette prospérité générale qui bénéficie beaucoup à quelques-uns et qui plonge un nombre croissant de personnes dans le besoin et le désespoir ? Est-il raisonnable d’espérer une paix sociale dans une société soumise à l’ostentation, à l’arrogance et à la déification d’un marché pernicieux et chatoyant ?

      Pour beaucoup l’excuse se situe hors des frontières, le monde, le capital nomade, les accords internationaux, les avantages comparatifs de Ricardo (un contemporain de Tocqueville). Bref, le mal viendrait d’ailleurs. L’alibi est parfait, et tout ça peut durer longtemps...


      • deusexmachina 23 avril 2007 15:26

        Vous avez tout à fait raison. la question qui se pose est celle de savoir définir les contours d’une société « juste ». Que met-on derrière cette notion, derrière cet idéal à atteindre ? Pour certains, la justice consiste à traiter « inégalement les inégaux et également les égaux » (selon la définition même de la véritable égalité selon Aristote). Ainsi entendre dire d’un candidat qu’il est contre l’égalitarisme, j’aimerais qu’il précise ce qu’il entend par là. A priori je ne suis pas non plus convaincu par l’égalitarisme mais davatange par l’équité (donner plus à ceux qui ont moins par exemple). mais je ne suis pas convaincu que ces nuances (si essentielles) soient entretenues par ledit candidat. En outre et pour finir, il est vrai que de tout temps, on a eu tendance à chercher les maux qui touchent notre personne, notre société ou nos vies, du côté du dehors. Il n’est pas d’ennemi plus facile qu’un ennemi étranger. Il est bien connu que le danger vient toujours du dehors menaçant et agressif. l’Autre est toujours le responsable de nos malheures et difficultés. Après tout il est plus simple de raisonner ainsi, puisque on se dédouane de toutes responsabilités (soit ce sont les gènes !, soit le capital financier mondialisé, soit les pays à bas salaires (et avec eux leurs habitants, les immigrés, etc.)


      • ZEN zen 23 avril 2007 19:31

        Article intéressant, à rapprocher de ce bilan , que T. aurait pu faire aujourd’hui... :

        2 mars 2007 ÉTATS-UNIS • De plus en plus d’Américains sombrent dans la misère Entre 2000 et 2005, le nombre de personnes vivant largement en dessous du seuil de pauvreté a augmenté de 26 %. Des SDF à San Francisco DR Le pourcentage d’Américains vivant en dessous du seuil de pauvreté a atteint son maximum en trente-deux ans. Des millions d’Américains actifs sont de plus en plus acculés à la misère, tandis que le gouffre entre les « nantis » et les « démunis » ne cesse de se creuser.

        Le groupe de presse McClatchy Newspapers a analysé les derniers chiffres disponibles, ceux du recensement de 2005, et est arrivé à la conclusion que près de 16 millions d’Américains vivent aujourd’hui largement en dessous du seuil de pauvreté. Le nombre d’Américains gravement défavorisés a augmenté de 26 % entre 2000 et 2005, et cette hausse ne se limite pas aux comtés très urbanisés, elle touche également les banlieues et les zones rurales.

        Quarante-six pour cent des 37 millions de pauvres que comptent les Etats-Unis se sont ainsi retrouvés poussés en dessous du seuil de pauvreté, soit le taux le plus élevé depuis 1975. Ce pourcentage a progressé lentement mais de façon constante au fil des trente dernières années. Toutefois, depuis 2000, le nombre de gens vivant dans la misère a crû « plus qu’aucun autre segment de la population », selon une étude récente publiée dans The American Journal of Preventive Medicine. « C’est exactement à l’opposé de ce que nous avions prévu quand nous avons commencé », déclare le docteur Steven Woolf, coauteur de l’étude. « Ce n’est pas la pauvreté modérée qui a progressé au sein de la population, mais la misère qui affiche l’évolution la plus catastrophique. »

        Un tiers des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté ont moins de 17 ans, et près de deux sur trois sont des femmes. Les mères célibataires représentent une partie importante de cette population. Près des deux tiers des personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté sont des Blancs (10,3 millions), mais les Noirs (4,3 millions) et les Hispaniques (3,7 millions) constituent des tranches disproportionnées.

        C’est à Washington, la capitale, que l’on trouve la plus grande concentration de gens vivant en dessous du seuil de pauvreté. Ils représentent en effet 10,8 % de tous les résidents. Les Etats-Unis affichent également l’un des plus forts taux de pauvreté infantile, d’après la Luxembourg Income Study, un projet qui, depuis vingt-trois ans, compare les chiffres de la misère dans 31 pays développés. « C’est une honte », s’insurge Timothy Smeeding, ancien responsable de cette étude et actuel directeur du Centre de recherche politique de l’université de Syracuse. « Chaque année depuis que nous avons entrepris cette étude, nous avons été la lanterne rouge. »

        Enfin, à l’exception du Mexique et de la Russie, ce sont les Etats-Unis qui consacrent le plus faible pourcentage de leur produit intérieur brut à des programmes fédéraux de lutte contre la pauvreté. Du reste, toujours selon cette étude, les programmes américains comptent parmi les moins efficaces. Une fois encore, seuls la Russie et le Mexique font pire. Tony Pugh et Barbara Barrett The Miami Herald


        • tristanp tristanp 24 avril 2007 03:01

          Ton article est très intéressant, surtout que je me trouve un fan de Tocqueville. Maintenant parlons franchement au regard des chiffres qu’on dispose. Les pays libéraux, ou ayant mis une bonne dose de libéralisme dans leur économie, voient le nombre de pauvres descendre sensiblement depuis 10 ans. Tu parles des Working Poor, la france a 11,7% de personnes qui gagnent le Smic contre 1,4% en Angleterre, 2,1% aux pays-bas, 3,1% en Irlande (mesure d’Eurostat). Pourtant la France, où la protection des salariés est la plus importante n’est pas spécialement un pays libéral.

          En 1970, le taux de pauvreté en France était de 12%, en 2004, il est de 6,3%. Pourquoi la persistance de penser que la pauvreté a augmenté est si forte, peut être les médias, également le chômage ou les salaires qui n’ont pas augmenté depuis 6 ans !

          Autre constat : Les inégalités et les disparités entre les plus riches et les plus pauvres se sont réduites. Pire, d’après toujours Eurostats, les inégalités sont plus fortes en France (3,4 pour les plus pauvres) que les pays Scandinaves, qu’en Italie(2,5) et même qu’en Angleterre (3,2). Tous des pays économiquement forts, du moins plus forts que les pays du sud. Maintenant, comme tu disais dans ton article, les misères du sud est moins visibles, moins cruelles peut être. Je signalerais que dans nos pays occidentaux, la misère, la pauvreté sont tout de même prises en compte. Santé gratuite, RMI, Allocation famillial... Ce qui nivelle le sentiments de paupérisation entre les deux hémisphères du Globe.

          Entre tous pauvres dans les pays du sud et 10% de pauvres dans les pays occidentaux, donc grosso modo 90% des habitants qui gagnent suffisamment leur vie pour construire une famille, avec un niveau de vie minimum, je crois que le choix est clairement facile à faire, non ?


          • deusexmachina 24 avril 2007 10:47

            Certes, ma position n’est pas de dire que la pauvreté du Sud est plus acceptable que celle du Nord, loin de là. Je voulais simplement souligner que d’après Tocqueville, mais cela vaut toujours aujourd’hui (lire l’arictle de S. Paugma sur les différentes formes de pauvreté), la pauvreté diffère selon les pays et les sociétés. Etre pauvre en Europe du Nord n’est pas la même chose qu’être pauvre au Sud. La pauvreté se définit à mon sens avant tout comme une forme de relation sociale entre un « assisté » et un « assistant », plus qu’une défintion purement statistique et économique. Or, dans nos pays, l’assistance aux pauvres, aussi importante et nécessaire soit-elle, n’en demeure pas moins très stigmatisante pour celui sur lequel elle se porte. Les solidarités sont faibles (d’autant plus dans les pays d’Europe du Nord par rapport à l’Europe du Sud), et les pauvres sont souvent relégués, déconsidérés, dévalorisés. En revanche, dans les pays du Sud, la pauvreté concentrant l’eesentiel de la population, on peut parler d’une « pauvreté intégrée » (Paugam), où les solidarités familiales, communautaires jouent leur rôle de soutien, de lien entre l’individu et la société. Si bien que ces pauvres ne sont pas rejetés, stigmatisés, mis à l’écart. Ils sont pleinement intégrés à la société. Pour autant, je ne dis pas que cette forme de pauvreté est plus légitime, mais elle a le mérite d’être moins excluante. En outre, la différence qui demeure en France par rappport à d’autres pays plus libéraux, c’est qu’un « dernier filet » de sécurité/protection sociale existe pour les plus démunis, par rapport aux EU par exemple (cf. commentaire précédent). Mais depuis quelques années, force est de constater que si le chômage en France est beaucoup plus élevé que dans la plupart des économies libérales, il serait néanmoins pertinent de le mettre en relation avec le nombre de « travailleurs pauvres » dont le chiffre ne cesse d’augmenter depuis une dizaine d’années. Certes, la France a un taux de chômage plus élevé que la moyenne européenne, (certain parle de chômage endémique), mais le nombre de « working poor » aux EU et au Royaume-Uni est plus élevé qu’en France. A travailler quelques heures dans la semaine (plus d’une seulement) et vous n’êtes pas considérés comme chômeur au sens du Bureau International du Travail (BIT) qui est l’indicateur de comparaison international. Or, les EU pour ne citer qu’eux, utilisent abusivement ces formes d’emplois « ultra-partiels ».


          • Patrick FERNER 24 avril 2007 11:18

            Les débuts de l’industrialisation ont effectivement créé un prolétariat qui paraissait croître indéfiniment avec le développement du capital. Tocqueville s’en fit le témoin mais Marx et Engels également en publiant en 1847 « Le manifeste du parti communiste ». Dickens, dans ses romans, dénonça les « sweat-shops » (littéralement, « les ateliers à sueur »). Donc pour tous les observateurs de cette époque, l’industrialisation allait droit dans le mur en générant une masse croissante de pauvres qui ne manqueraient pas de se révolter, ce qui mit fin en France au règne de Louis-Philippe, suite à une crise économique qui avait vu la fermeture de nombreux ateliers.

            Napoléon III, auteur d’un ouvrage « L’extinction du paupérisme » a tiré la leçon de la crise économique des années 1846-48, qui était due à la faiblesse du système bancaire, asphyxiant les entreprises qui ne pouvaient plus investir. Il avait compris « que la paupérisation n’est pas le produit du capitalisme mais, plus certainement du manque de capitalisme (1) » et de fait, « Napoléon III sut démontrer qu’il était possible de concilier autorité et modernité, hiérarchie et partage des fruits de la croissance, enrichissement de la nation et amélioration du sort de la classe » industrieuse (2)". Et quand on regarde la période 1870-1914, que ce soit en Europe ou aux États-Unis, on assiste à une croissance économique considérable qui, si elle n’a pas enrichi la classe ouvrière, l’a au moins éloignée de la misère. Toutefois, la pression sociale se fit croissante, voire pressante au point de menacer l’équilibre de la société française à la veille de la Grande Guerre. Il faudra attendre les accords de Matignon en 1936 pour commencer à parler de redistribution des richesses, cette dernière, c’est sûr, ne se faisant pas spontanément et cela se vérifie dans tous les pays industrialisés.

            Donc Tocqueville, souvent visionnaire, s’est trompé quant à l’évolution immédiate, à son époque, de l’industrialisation ; en revanche, il est totalement dans le vrai quand il émet l’idée que les sociétés industrielles créent des besoins et je me permettrai d’aller plus loin en disant que dans ces sociétés, c’est l’offre qui crée la demande. C’est ce qu’avait compris Henry Ford au début du XXème siècle lorsqu’il lorsqu’il créa sa voiture, le fameux modèle « T » : il la fit produire à un coût qui soit le plus bas possible de telle manière que ses propres ouvriers puissent l’acheter ; il créa le besoin de posséder une automobile, anticipant sans le savoir sur la société de consommation qui se développa après 1945.

            La période 1945-1975 dite des « trente glorieuses » a vu le développement des classes moyennes avec peut-être des taux de pauvreté les plus bas que l’on ait connus, jusqu’aux chocs pétroliers qui mirent fin à ce que beaucoup considèrent comme l’âge d’or de l’économie : la croissance était forte, les marges bénéficiaires confortables, les barrières douanières tombaient, le gâteau à partager était suffisamment grand pour conquérir des avantages sociaux bénéficiant au plus grand nombre. Il était d’ailleurs impératif pour les industriels que le niveau de vie soit élevé pour vendre leurs produits à une part de plus en plus grande de la population. Alors, que s’est-il passé ? Les chocs pétroliers n’expliquent pas tout. En fait, on peut constater que les entreprises, qu’elles soient industrielles ou commerciales, travaillent depuis de nombreuses années avec des marges bénéficiaires très faibles, d’où cette chasse systématique menée contre les prix de revient : pression sur les salaires, développement de l’emploi précaire, délocalisations. Mais en appauvrissant de cette manière leurs salariés, les entreprises se privent de consommateurs qui n’ont plus le moyens d’acheter leurs produits (ex. : baisse du marché automobile en France en 2006), se tirant ainsi une balle dans le pied.

            (1) Jacques Marseille, Du bon usage de la guerre civile en France, 2006 - Editions Perrin ( collection Tempus) Chap. 5, p.99

            (2) Ibid

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON







Palmarès