Travailleurs sans papiers : point de vue d’un entrepreneur
Les premières régularisations de sans-papiers ont eu lieu mercredi 30 avril dans les Hauts-de-Seine. Mais on entend déjà dire que l’administration freinerait les demandes de régularisation. Pourquoi ne fait-on pas avancer ce débat ?
Les chefs d’entreprises n’étaient pas au courant que leurs employés n’avaient pas de papiers.
J’ai embauché plusieurs personnes ces dernières années. Vraiment, je ne comprends pas pourquoi les chefs d’entreprises plaident depuis le départ ne pas savoir.
Ce n’est pas notre travail que de vérifier la véracité des propos, nous disent-ils. Mais sont-ils si dupes ? Il me semble qu’un entrepreneur devrait bien se douter si quelqu’un a des papiers ou non. Evidemment, on ne voit pas écrit sur le front des gens "je suis sans papier ou mes papiers sont faux".
Mais tout de même : avec toutes les précautions qu’est censé prendre un entrepreneur avant d’embaucher une personne (CV, expérience, employeurs précédents, entretien d’embauche), vraiment, je doute qu’ils ne savaient pas. Recouper des informations données par le candidat avant l’embauche, il n’y a pas besoin de l’Etat pour cela.
Personne ne saura au final si les entrepreneurs savaient ou non. J’ai mon idée. Je considère cette exploitation des gens comme humainement détestable, de même que cette propension à se définir subitement comme de candides et honnêtes chefs d’entreprises. Le cynisme n’est pas si loin en rejetant la faute au passage sur l’administration.
Le président de la République et le gouvernement ne souhaitent pas de "régularisation massive"
Qu’est-ce qu’une régularisation massive ? Techniquement, il s’agit de régulariser plusieurs dizaines de milliers de personnes sans s’attarder longuement sur les dossiers.
On peut comprendre que pour des raisons politiques le gouvernement actuel ne le souhaite pas. Mais je ne vais même pas commenter cela, parce que ce n’est pas le sujet : personne n’a demandé une régularisation massive des travailleurs sans papier. Ce que les sans-papiers demandent, c’est qu’on étudie leur dossier et qu’on fasse appliquer la loi.
Que se passe-t-il avec l’application de cette loi ? On apprend ces jours-ci par l’association Droits devant que, suite à la grève et sa médiatisation, l’administration continuerait à demander des documents qui ne sont pas requis pour accepter un dossier de régularisation.
La loi s’applique-t-elle différemment d’une personne à l’autre ?
Travailler sans papier, ce ne serait pas faire partie de la société
Pendant ce temps, ces travailleurs sans papier paient des impôts, et les entrepreneurs ont payé des cotisations sociales. Ne font-ils pas partie du Pacte républicain ?
Le président de la République nous disait qu’aujourd’hui, on ne devient pas Français parce qu’on a un contrat de travail. Une fois de plus, je comprends que ce soit un choix de société : de nombreux débats ont eu lieu à ce sujet depuis quinze ans. Si la loi devait changer, ce n’est pas le président qui pourrait le faire à lui tout seul : un débat est nécessaire, suivi d’un vote parlementaire.
Cela dit, cette réflexion relève elle aussi du cynisme : pourquoi donc ces personnes qui paient des impôts et des cotisations sociales qui s’avèrent elles aussi l’expression du Pacte républicain, qui nous lie tous, ne pourraient être des citoyens français comme les autres ?
L’administration rétorque qu’aujourd’hui être Français, c’est notamment parler la langue et partager certaines valeurs. Souvenons-nous de ces travailleurs immigrés qui ont aidé au développement de la France après la Seconde Guerre mondiale. Le besoin de main-d’œuvre était la raison de ces appels aux travailleurs immigrés devenus Français depuis. Par quel moyen se sont-ils intégrés à la société française ? Par le travail.
Pourquoi ? Parce que travailler, c’est écouter et parler la langue, c’est apprendre les codes d’une société. Je ne suis pas sûr qu’il existe de meilleurs moyens d’intégration que le travail.
Cependant, il ne faudrait pas régulariser massivement et subitement pour ne pas provoquer un appel d’air. L’argument est légitime. Toutefois, est-ce que régulariser des personnes qui travaillent depuis plusieurs années via un processus continu et structuré dans le temps contribuerait à créer un appel d’air ? Je ne le crois pas.
Des pans entiers de l’économie manquent de main-d’œuvre... dans lesquels ces travailleurs sans papiers travaillent
Passons maintenant à l’économie.
Les secteurs d’activité concernés manquent de main-d’œuvre. C’est un fait avéré depuis de nombreuses années, et personne n’a réussi à changer la donne. Personne ne sait comment changer la donne sauf à travailler avec des personnes issues de l’immigration. Or, certaines de ces personnes vivent des situations dramatiques dans leurs pays, pour diverses raisons.
Alors soyons pragmatiques et permettons à des gens venus d’autres horizons de devenir Français s’ils le souhaitent. A ce titre, les syndicats d’entrepreneurs devraient négocier avec l’Etat afin de prévoir des procédures de régularisation.
C’est une chance pour les entreprises, c’est une chance pour l’économie, c’est une chance pour la culture, et c’est une opportunité pour des gens opprimés de venir dans un Etat de Droit, qui les protège.
Le Pacte Républicain souffre de ce cynisme et de cette mise au ban de dizaines de milliers de personnes. Ce débat n’est pas une question de clivage gauche-droite. En laissant en marge plusieurs dizaines de milliers de personnes, c’est un peu de sa citoyenneté que l’on perd.
On devrait en parler.
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