Un changement d’ère
Maintenant que la vie de notre garde des Sceaux nous est bien connue, nous avons hâte de découvrir sa politique. Car celle-ci, à l’évidence, ne saurait se résumer aux peines planchers et à la suppression de l’excuse de minorité mises en évidence durant la campagne présidentielle. Actuellement, ces projets sont à l’étude et nul ne peut dire quelle sera exactement leur substance.
Avant de tenter d’analyser ce qui se prépare et d’imaginer l’avenir judiciaire, un mot sur une voix qui s’est malheureusement tue et sur une autre qui continue de donner des leçons de démocratie et de formuler gravement des banalités.
La première, celle de Jean-Claude Brialy, va manquer à tous ceux qui aimaient son talent et sa grâce. Je me souviens de ce formidable film : Les Cousins, de Chabrol. C’était la jeunesse de Brialy et un peu plus la mienne. Je me souviens de l’émission de Philippe Bouvard : Les Grosses Têtes, il y a deux ou trois ans, où Brialy, au milieu d’un aréopage qui n’avait pas sa classe, m’avait offert sa délicatesse et sa curiosité. C’était l’époque où il s’apprêtait à jouer le rôle d’un président de cour d’assises !
Le seconde est celle d’Eva Joly. Apparemment cette dernière ne parvient pas à quitter un pays et une justice sur lesquels, en s’exceptant de la critique, elle avait dit beaucoup de mal. Elle revient cette fois pour énoncer, et nous rappeler, cette évidence que Jacques Chirac allait devenir un justiciable ordinaire et qu’il conviendrait de le traiter comme tel. Un tel poncif et un tel acharnement, quel couple étrange !
Rachida Dati a reçu récemment les deux syndicats de magistrats et la surprise, c’est qu’il n’y en a eu aucune. Le président de la République a changé mais le syndicalisme reste. Le Syndicat de la magistrature (SM) a mis en cause les tendances répressives tandis que l’Union syndicale des magistrats (USM) a déploré le manque de moyens. Vous le constatez, nous sommes en terrain sûr, en dialectique éprouvée !
Difficile, tout de même, d’avancer dans ces conditions, avec un changement d’ère qui n’a pas atteint tout le monde.
Qui pourrait contester qu’une augmentation du budget, en tout état de cause, ne serait pas bienvenue et que de nombreuses juridictions fonctionnent avec d’extrêmes difficultés ? Mais, au risque de me répéter, je continue à penser que là ne réside pas l’essentiel et que la qualité de la justice dépendra surtout de la manière dont on parviendra à restaurer ou non un rapport de confiance et d’estime entre la société et les magistrats, notamment pour le domaine pénal, sans méconnaître le caractère largement défaillant des autres secteurs judiciaires. J’attends avec impatience la première révolte, la première manifestation en faveur d’une justice rapide. Il faudra bien qu’un jour, le citoyen s’en mêle.
Si les commentaires syndicaux ne m’ont pas étonné, reste l’impression déstabilisante que, pour tenir des promesses de campagne, on va s’attacher à promouvoir des transformations qui, pour souhaitables qu’elles soient, ne méritent pas d’occuper tout l’espace de la réforme judiciaire. Des pièces du dispositif vont être retouchées avant que le dispositif lui-même, dans sa structure, ait été rénové.
L’instauration de peines planchers, dans des conditions qui seront bientôt déterminées, n’a rien à mon sens qui doive susciter l’ire de la magistrature, sauf à supposer qu’à nouveau, sous l’apparence technique, se dissimulerait une fronde politique. On a suffisamment évoqué l’ombre grave apportée à un bilan globalement positif par l’augmentation des atteintes aux personnes pour ne pas approuver la nécessité d’une politique pénale sur ce plan plus efficiente. Contrairement à ce qu’on prétend, elle ne se trouverait nullement en rupture avec la plupart des exemples européens. Elle réduirait plus l’arbitraire du juge qu’elle n’entraverait sa liberté et, grâce aux sanctions obligatoires qu’elle imposerait, favoriserait une moindre inégalité devant la loi sur l’ensemble du territoire.
Il va de soi que la commodité ou l’amour-propre du magistrat, qui se plaindrait d’une réduction de sa faculté d’arbitrer, devrait naturellement avoir peu d’incidence sur le processus envisagé qui viendrait au soutien d’une tranquillité publique ainsi mieux assurée. Il est évident, par ailleurs, qu’une soupape de sûreté sera créée forcément, qui permettra au tribunal de tenir compte de circonstances exceptionnelles justifiant un rejet de la peine plancher. Resterait à espérer que, comme souvent, cette brèche ouverte ne fasse pas peu à peu de l’exception la règle et que le coeur de la réforme ne soit pas ainsi vidé de son sens.
Je ne crois pas qu’il soit utile ici d’entrer dans le débat trop technique sur réitération et récidive, tel qu’il a été, par exemple, bien posé par le Figaro ou le Monde. Il me semble qu’à partir du moment où les peines planchers trouvent leur justification dans la volonté étatique de faire diminuer les agressions contre les personnes, il serait paradoxal de prendre en compte dans l’élaboration du texte la réitération qui sortirait celui-ci de son champ spécifique. Qui pourrait, par ailleurs, oser dénier qu’une lutte judiciairement ainsi menée contre les violences soit légitime et souhaitable ?
Il faut correctement appréhender l’intuition juste qui inspire l’idée de la peine plancher et qui est souvent dénaturée par le recours à l’exemple américain, lui-même caricaturé. Certes, il est facile de se gausser quand un voleur d’oranges, à sa troisième condamnation, peut se voir infliger la réclusion à perpétuité. Une telle aberration serait inconcevable dans les mesures prévues. Il n’en demeure pas moins que l’importance accordée non plus seulement au délit lui-même considéré isolément mais à l’entêtement et à la persévérance dans la transgression me semble tout à fait pertinente. Il n’est pas absurde d’estimer que même avec une succession d’infractions dérisoires, un comportement puisse inquiéter sur le plan pénal et qu’une sanction, en définitive, soit légitime à tenir davantage compte du tout que des parties, de l’histoire que de chacun des épisodes. Pour ma part, et sur ce plan, je ne verrais que des avantages à revenir sur notre sacro-saint principe de l’individualisation des peines, seulement validé constitutionnellement en 2005, pour mettre en oeuvre une approche plus réaliste. L’objectivation des infractions plutôt que l’individualisation des peines. Moins s’attacher au for intérieur et plus à la manifestation extérieure. Moins à la subjectivité du criminel et plus à la nature de son crime.
L’ensemble de ces considérations doit beaucoup à une excellente étude du professeur Hugues Moutouh sur : Des peines planchers pour prendre le droit pénal au sérieux ( Recueil Dalloz, 2006, n°43 ).
L’exclusion de l’excuse de minorité pour les mineurs gravement récidivistes de 16 à 18 ans peut être de nature à susciter une émotion chez la plupart des juges pour enfants qui sont restés figés dans une contemplation béate de ce que l’ordonnance de 1945 avait de compassionnel et d’éducatif. Je ne méconnais pas leur trouble mais le monde des mineurs a changé, et pas sur un mode mineur, et le coeur considéré comme une stratégie exclusive a révélé ses limites, voire son échec. En dix ans de Cour d’assises, même pour des crimes parfois odieux, je n’ai jamais vu écarter l’excuse de minorité. Sans doute n’ai-je pas été assez convaincant mais en dehors d’une exception récente à Nice, je ne crois pas que la présence des juges pour enfants aux assises facilite une répression à l’encontre de mineurs, pour l’état-civil mais que leurs actes et leur histoire ont rendu tragiquement majeurs.
Si ce nouveau projet était mis en oeuvre, cela signifierait-il l’exclusion, l’excuse de minorité écartée, des juges spécialisés ou bien demeureraient-ils pour participer au jugement de mineurs traités judiciairement en majeurs ? Une réponse nous sera certainement apportée sur ce point qui n’est pas mince, car conserver l’architecture ancienne rassurerait sans doute ceux qu’effrayerait la nouvelle donne.
Dans ces deux cas - peines planchers et excuse de minorité -, rien ne sera simple et ce serait faire preuve d’un optimisme exagéré que de penser que judiciairement les nouveautés seront facilement acceptées et assumées si politiquement, avec la forte majorité escomptée, elles peuvent être aisément avalisées.
Pour peu qu’on parvienne à jeter un regard d’ensemble sur le service public de la justice et sur ce dont il aurait besoin fondamentalement, on pourrait presque soutenir que les deux réformes voulues dans l’urgence relèvent de la conjoncture tandis que structurellement au moins trois métamorphoses d’une toute autre portée devraient solliciter le pouvoir de la Place Vendôme. Je pense à la nécessité absolue de remettre en chantier une définition élargie de la responsabilité des magistrats, étant entendu que le Conseil constitutionnel a validé que celle-ci pourrait se fonder sur un dévoiement de l’activité juridictionnelle. Je songe aussi à une modification substantielle de la composition du Conseil supérieur de la magistrature qui devra, pour mieux fonctionner et inspirer davantage confiance, se résoudre à rendre en son sein les magistrats minoritaires. Enfin, pour que la procédure pénale soit vraiment appréhendée avec une contradiction pluraliste et que la justice devienne plus lisible pour le citoyen, j’aspire à ce que notre corps soit le plus rapidement possible divisé en deux entités, unités distinctes et enfin indépendantes l’une de l’autre. Ce sera la seule manière d’assurer et la liberté du juge et celle du ministère public. Ils franchiront peut-être toujours la même porte mais n’appartiendront plus au même monde.
J’espère, en revanche, que demeurera à l’état de virtualité le Procureur général de la nation dont décidément l’utilité prétendue me laisse perplexe. Je n’ai pas assez mauvais esprit pour imaginer qu’une fonction puisse être programmée et instituée seulement pour complaire à tel ou tel qui prétendrait l’occuper. On ne serait plus dans une République " irréprochable" !
Je suis persuadé qu’on va changer d’ère et que la justice va devoir quitter ses quartiers sans doute incommodes mais auxquels elle s’était habituée. Elle bougera, elle changera. Il le faut pour elle. Il le faudra surtout pour le citoyen qui n’a pas oublié Outreau mais est prêt, aujourd’hui peut-être, à guetter un petit coin d’aurore.
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