Un enfant mort à l’hôpital, une infirmière mise en examen, et bientôt... un ministre en garde à vue ?
Ilyès, petit garçon de 3 ans, mort à l’hôpital, pour une angine ! A deux jours de Noël ! Au-delà de la légitime émotion, et du sentiment de compassion ressenti pour les parents et les proches de ce petit garçon, un certain nombre de questions se posent. Et tout d’abord concernant la garde à vue de l’infirmière, qui aurait reconnu, n’oublions pas le conditionnel, s’être dramatiquement trompée en administrant, de façon accidentelle, à l’enfant, a priori soigné pour une angine, un médicament inapproprié aux conséquences mortelles dans le cas de l’espèce. Des voix, notamment celles de syndicats des personnels hospitaliers, mais pas seulement, s’élèvent pour souligner le manque de moyens accordés au personnel des hôpitaux, le stress qui s’ensuit, et son inévitable cortège d’erreurs et de défaillances humaines. En conséquence, la garde à vue de l’infirmière indigne.
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Alors, la garde à vue de cette infirmière était-elle légale, et si oui, était-elle obligatoire ? On ne peut que répondre oui à la première question. Car une personne peut être placée en garde à vue pour les nécessités de l’enquête, lorsqu’il y a une ou plusieurs raisons plausibles de la soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction. La faute ayant entraîné la mort peut parfaitement recevoir la qualification « d’homicide involontaire », infraction pénale grave, même si elle est involontaire, et susceptible d’entraîner des sanctions pénales, telles que l’incarcération, l’interdiction d’exercer une profession, l’amende etc. Cette garde à vue n’est pas de toute évidence l’initiative isolée de quelque policier égaré, livré à lui-même, mais bien l’initiative du plus haut magistrat du parquet qu’est le procureur de la république, puisqu’aucune mesure de garde à vue ne peut se dérouler sans son contrôle ; ce magistrat étant lui-même directement sous les ordres de la chancellerie, et l’affaire ayant été largement médiatisée dès la mort de l’enfant, c’est probablement au plus haut niveau de l’Etat que la mesure de garde à vue a été gérée.
Cette mesure de garde à vue était donc légale, (sauf à découvrir éventuellement par la suite des irrégularités de procédure sur son déroulement), était-elle pour autant obligatoire ?
Certes la personne gardée à vue bénéficie-t-elle de quelques droits ; notamment celui de prévenir sa famille, d’avoir un avocat dès la première heure de garde à vue, de voir un médecin, de s’alimenter, de se reposer, et d’avoir l’assurance qu’elle est limitée dans le temps. Mais, rappelons le, l’avocat du prévenu n’a pas accès à son dossier, et ne peut assister aux interrogatoires. L’entretien avec lui ne peut durer plus d’une demi-heure. En ce qui concerne les repas, ils se réduisent dans la plupart des cas à un misérable sandwich et encore ! La nuit, le gardé à vue dort sur un banc de fortune dans les locaux du commissariat, et bien heureux si on lui donne une couverture ! De plus, il a, au préalable, dès le début de la garde à vue, dû remettre son portable, sa montre, ses bijoux, en échange de menottes ; il a été « invité » à retirer les lacets de ses chaussures, son soutien-gorge, ses lunettes, et subi une inspection corporelle qui consiste à être tout nu pendant que les policiers vérifient ses vêtements, et pour les plus zélés d’entre eux son anus. Il est vrai qu’il y a des variantes mais globalement, ces pratiques existent, et sont vécues comme humiliantes et dégradantes. On imagine sans aucune difficulté l’état de celui ou celle qui doit subir des interrogatoires : essayez simplement de marcher sans lacets à vos chaussures, les poignets menottés, sans vos lunettes, nu dans un commissariat, sans manger ou si peu, sans dormir, et de répondre de façon sensée à des questions !
Vous comprenez bien alors que le but de la garde à vue, non avoué, mais néanmoins réel, se résume souvent à obtenir des aveux en bonne et due forme, qu’on obtient d’ailleurs sans grandes difficultés de la part de novices, mais sûrement pas de délinquants chevronnés. Dans le cas de l’espèce, il est donc difficile d’adhérer à cette mesure de garde à vue, forcément traumatisante, et parfaitement inutile, semble-t-il, puisque l’infirmière ayant avoué dès le début son erreur, un interrogatoire paraissait tout à fait suffisant. Quand bien même d’ailleurs n’aurait-elle pas avoué, notre justice ne peut être basée exclusivement sur l’aveu, car une personne peut s’accuser à tort. L’expérience enseigne qu’il n’est pas acquis encore aux débats que l’erreur de l’infirmière ait été la cause directe et exclusive de la mort de ce petit garçon. Des mesures d’investigation et des vérifications, telles que des expertises, des auditions du personnel présent sur les lieux au moment, avant et après le décès, des constatations matérielles concernant ce médicament, son cheminement dans l’hôpital, les conditions de son utilisation , l’autopsie de l’enfant doivent être réalisées pour déterminer la chaîne des responsabilités ; toutes mesures qui nécessitent du temps et de la réflexion, et qui ne peuvent manifestement pas être diligentées dans le temps d’une garde à vue (24 heures renouvelables une fois).
Dès lors, j’avoue pour ma part ne pas voir l’intérêt de cette garde à vue. Elle indigne d’ailleurs les personnels de santé, et avec eux les citoyens, car elle semble rajouter de la souffrance à de la souffrance, sans pour autant permettre, insistons sur ce point, dans ce délai de 48 heures, une enquête sérieuse et complète. La réponse de la ministre a donné l’impression de vouloir apaiser la famille de l’enfant, souci légitime, mais sans prendre en considération, en tout cas pas de façon suffisante, les difficultés du personnel soignant dans les hôpitaux. De plus, il y a, ces derniers temps, une explosion de gardes à vues, soit pour des motifs futiles, soit pour des motifs graves mais concernant des personnes de parfaite bonne foi et intègres, et sans pour autant que des mesures d’investigation ne se déroulent les justifiant. Comme s’il fallait à tout prix faire du chiffre pour justifier de la réalité de son travail, et sacrifier à la toute puissance des statistiques. Ces gardes à vue, même si elles sont encadrées, sont une véritable atteinte aux libertés individuelles puisqu’elles permettent d’enfermer des citoyens présumés innocents, pour un temps déterminé. Et, manifestement, autant les citoyens adhérent à ces mesures quand elles concernent des voyous, autant il n’en est plus de même quand il s’agit de personnes auxquelles ils peuvent s’identifier, car, comme dans le cas présent, chacun ressent que, dans un moment de fatigue ou de stress, il peut commettre une faute professionnelle grave et irréparable. Il est donc possible de répondre que si la garde à vue de cette infirmière était légale, n’étant pas pour autant obligatoire, elle n’était en réalité pas opportune. Elle n’est d’ailleurs quasiment jamais mise en œuvre dans ce type d’affaires médicales.
Et sa mise en examen, me direz-vous, puisque nous apprenons qu’elle est mise en examen pour homicide involontaire ? Etait-elle obligatoire ?
La mise en examen veut dire qu’il existe des charges lourdes et concordantes contre une personne d’avoir commis une infraction pénale, dans le cas de l’espèce, celle d’homicide involontaire, passible de renvoi devant le tribunal correctionnel. Mais la présomption d’innocence continue de recevoir application. Ce qui veut dire que tant qu’une décision n’est pas intervenue pour la condamner définitivement, la personne mise en examen est présumée innocente. Insistons donc : cette infirmière est indéniablement suspectée, et en conséquence doit très sérieusement préparer sa défense avec son avocat, car ma pratique judiciaire m’a enseigné qu’il ne suffit pas de dire qu’on est innocent, ou dans le cas de l’espèce excusable, encore faut-il le prouver ! Mais encore une fois, elle n’est pas à ce stade coupable, en dépit de ses aveux, (s’ils sont bien réels, puisqu’à ma connaissance, son avocat n’a pas communiqué avec la presse, et que les informations semblent venir pour l’essentiel de la ministre).
La mise en examen de cette infirmière me parait donc à peu près inévitable, et quelque part, souhaitable, car elle va lui permettre d’organiser sa défense : elle va avoir droit à un avocat, et au libre accès à son dossier. Elle va pouvoir faire, au cours de la procédure d’instruction, par l’intermédiaire de son avocat des demandes écrites et motivées au juge d’instruction, tendant à ce qu’il soit procédé à son interrogatoire, si elle a d’autres déclarations à faire, à l’audition d’un témoin, à une confrontation ou un transport sur les lieux, à ce qu’il soit ordonné la production par l’une des parties d’une pièce utile à l’information, ou à ce qu’il soit ordonné tout acte nécessaire à la manifestation de la vérité, en bref à participer activement à sa défense. Si le juge d’instruction n’entend pas faire droit à ses demandes, il devra rendre une ordonnance motivée, au plus tard dans le délai d’un mois à compter de la réception de celles-ci. Elle pourra alors faire appel de la décision de refus du juge d’instruction. L’affaire sera alors évoquée par la chambre de l’instruction, composée de trois magistrats, dont il est dit qu’ils sont plus expérimentés et plus anciens dans la profession que le juge. En résumé, elle aura des droits pour faire valoir son point de vue.
Par ailleurs, il n’y a aucun doute que le juge d’instruction possède des pouvoirs d’investigation extraordinairement puissants, et qu’il doit instruire « à charge et à décharge ». Et notamment, il pourra mettre en examen l’hôpital, personne morale, sous certaines conditions, s’il s’avère, comme certains syndicats le suggèrent largement qu’il y a eu des dysfonctionnements, suite à un manque de moyens et à un manque d’organisation. Je l’ai expérimenté dans mon métier d’avocat, à la suite du décès d’un nourrisson dans un hôpital : j’ai demandé au nom des parents, constitués partie civile par mon intermédiaire, la mise en examen de l’hôpital ; je l’ai obtenue, ainsi que, par la suite, la condamnation de ce même hôpital. La mise en examen n’est donc pas forcément une mauvaise chose dans les circonstances présentes, tant pour la prévenue que pour les parents d’Ilyès constitués par la suite probablement partie civile. Ils auront plus barre sur la procédure pénale que sur les procédures administratives que madame la ministre nous dit avoir par ailleurs ordonnées.
Il reste que l’infirmière aurait pu bénéficier du statut de « témoin privilégié », mais il est beaucoup moins protecteur pour le prévenu dans la mesure où il ne permet pas d’intervenir aussi activement dans la procédure ; il est toutefois vécu comme beaucoup moins traumatisant, mais il n’empêche pas en fin d’instruction la mise en examen, et le renvoi devant la juridiction de jugement. Alors entre deux maux !
Pour finir, pourquoi ce titre, dans sa troisième partie, « une ministre en garde à vue » ? Parce qu’il reste au final un sentiment de malaise dû à la pénalisation de ce type d’affaires, c’est-à-dire de ces fautes de l’être humain, tout à fait involontaires, parfaitement non intentionnelles, accidentelles, et qui, par leur caractère de gravité indéniable, le mettent sur le même plan que le voyou. Parce que, que diraient nos ministres, ou députés, si à chaque fois qu’ils commettaient des fautes dans le cadre de leur exercice professionnel, dont certaines peuvent se révéler tragiques, ils se trouvaient placés en garde à vue, mis en examen, et ainsi désignés publiquement à la vindicte populaire ? Après tout, si on peut obtenir la mise en examen d’un hôpital et sa condamnation, pourquoi pas celles de son autorité de tutelle, qui se trouve être… le ministre !
Il me semble donc que la procédure pénale se trouve être une procédure efficace en matière de recherche de preuves, mais inutilement vexatoire et humiliante en cas d’infraction involontaire, à tel point qu’on peut poser la question suivante : convient-il de qualifier des fautes non intentionnelles, purement accidentelles, en infractions pénales ? Ne faudrait-il pas dépénaliser ce type d’infraction ?
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