Conscience et physique quantique
La conscience reste une énigme pour les scientifiques et les philosophes. Ceux qui prétendent expliquer la conscience passent à côté des réalités. La conscience participe à la définition de notre existence. C’est par cette formule que Stuart Hameroff et Roger Penrose introduisent leur présentation réactualisée de leur étude bien fournie sur l’implication des lois quantiques dans le fonctionnement cérébral et la genèse de la conscience. Laquelle permet un rapport au monde mais aussi à soi. La conscience est présente lorsque nos sens sont connectés au monde mais aussi indépendamment de toute connexion ainsi que dans le rêve où une certaine forme de conscience nous est donnée. Si aucune théorie définitive voire exacte de la conscience est disponible actuellement, il n’en reste pas moins que les scientifiques et les philosophes sont capables d’élaborer des hypothèses sur l’origine de la conscience en privilégiant une parmi les « grandes options » adoptées par les uns ou les autres (S. Hameroff, R. Penrose, consiousness in the universe. A review of the « Orch OR therory, Physics of life reviews, 2013) .
Selon Hameroff et Penrose, les options sur la conscience prennent place parmi trois possibilités ayant une forme générale et jouant pour ainsi dire un rôle générique que je dirais à la fois épistémologique, herméneutique, heuristique, le tout basé sur des choix ontologiques. (A) science et matérialisme, avec une conscience qui n’a rien de singulier ; (B) Dualisme et spiritualité, avec la conscience extérieure à la science ; (C) science, avec conscience comme un « ingrédient » essentiel « contenu » ou « déductible » dans les lois physiques qui ne sont pas encore complètement élucidées. Ces options sont en quelque sorte des classiques en sciences cognitives et en philosophie de la conscience. Elles ne sont pas si éloignées des possibilités envisagées par Nagel dans sa récente étude (Mind and cosmos). Suivons maintenant le sobre développement proposé dans l’introduction par les auteurs de l’article sur la théorie OR.
(A) La conscience n’est pas une qualité indépendante mais elle émerge à partir de mécanismes physiques conventionnels en suivant les principes de la nécessité adaptative telle qu’elle se manifeste dans le cerveau et le système nerveux. C’est la voie empruntée par la neurophilosophie et nombre de cognitivistes qui s’entendent sur l’émergence de la conscience consécutive à un seuil franchi dans la complexité neuronales. Seules divergence, le moment où on considère que la conscience a émergé, uniquement chez l’homme ou bien avant chez certains animaux supérieurs. Si la conscience confère à ceux qui la détiennent un avantage adaptatif, elle n’a rien d’un élément universel ou d’une structure dont l’architecture repose sur des principes étrangers à la matière et à la sélection naturelle. Daniel Dennet est l’un des représentants les plus connus figurant dans ce courant. Il est l’auteur d’un livre censé expliquer la conscience mais dans une réplique argumentée, John Searle suggère que Dennet nie carrément la conscience. La conception matérialiste de l’esprit est sous la coupe de féroces critiques car elle ne peut combler ses limites explicatives.
(B) La conscience serait une qualité séparée, distincte des actions physiques et de surcroît en dehors des règles et lois établies dans le cadre de la physique « conventionnelle ». Cette option est principalement adoptée par les philosophes, surtout ceux des siècles passés avec une figure incontournable en la personne de Descartes connu pour sa philosophie dualiste, distinguant les deux substances, étendue et pensante. De plus, la substance pensante n’est pas une qualité propre à l’homme mais une sorte d’entité universelle et préexistante. La conscience peut influencer les processus physiologiques et le corps humain sans être décrite comme une production issue de la « matière vivante » ni des composants physiques. Les thèses dualistes prennent plusieurs formes étrangères les unes aux autres, théologique, spiritualiste, panpsychiste, mais avec un point commun, celui de se situer hors de la science (de la nature).
(C) La conscience est produite par une combinaison de processus physiques « discrétisés ». Ces processus ont toujours existé, sous une forme non cognitive, avec des processus générant une sorte de proto-conscience. Ces processus obéissent à des lois physiques pas encore comprises ou même pas encore dévoilées. Le vivant aurait évolué avec au final un mécanisme global permettant de coupler les processus neuronaux afin qu’ils puissent mobiliser ces lois pour permettre l’émergence de la conscience et des facultés cognitives. Ces lois sont celles de la mécanique quantique et même de la gravitation. La démarche initiée par Penrose est loin d’être évidente ni parfaitement claire mais elle a le mérite d’être audacieuse et de rompre avec les conventions si ordinaires des neurosciences. L’idée essentielle étant que les microtubules présents dans les fibres nerveuses et les terminaisons puissent être le siège de processus quantiques. Et de plus des processus coordonnés, d’où le concept de réduction objective orchestrée. La réduction faisant référence au processus d’effondrement de la fonction d’onde en mécanique quantique. Autant dire que cette conception est séduisante mais qu’elle recèle beaucoup de difficultés, surtout si l’on accepte la conclusion finale des auteurs sur la conscience comme un motif intrinsèque à l’univers.
Deux pistes intéressantes éclairent le chemin tracé par Penrose. L’hypothèse d’une non calculabilité des processus neuronaux, autrement dit l’impossibilité de ramener les processus cognitifs à des calculs informatiques. Et le fait que des êtres vivants unicellulaires comme la paramécie puissent développer des processus cognitifs alors qu’ils ne disposent pas de système nerveux. C’est d’ailleurs ce que j’avais souligné en forgeant l’hypothèse de la substance cognitive, (B. Dugué, Le sacre du vivant, à paraître). Il est donc plausible que la conscience ne soit pas le résultat d’un hasard ni le produit d’une sélection naturelle. Et par voie de conséquence, que la conscience et même l’esprit sortent du cadre de l’explication scientifique. Ce qui nous constituerait une nouvelle opposition, post moderne, faisant suite aux oppositions pré-modernes entre sensible et intelligible, pensée et étendue, esprit et matière, esprit et nature. Un énoncé : l’esprit n’est plus opposé à la nature et même repose pour une part sur les processus moléculaires et cellulaires mais les sciences naturelles conventionnelles ne peuvent pas expliquer comment émerge et fonctionne l’esprit-conscience (ni la vie d’ailleurs). D’où la théorie de la réduction objective orchestrée (Orch OR) proposée par Penrose à la frontière de la mécanique quantique et de la biologie moléculaire (microtubules). Une théorie audacieuse qui a traversé 20 ans de controverses et qui a connu quelques « vérifications » expérimentales.
(D) Et maintenant, un point de vue personnel. Si la conscience est un motif essentiel, alors son émergence ne dépend pas pour l’essentiel des principes matériels et darwiniens mais repose sur une téléologie à élaborer. Penrose est sur une voie dont l’intérêt me paraît heuristique. Le problème majeur étant de raccorder la physique « non conventionnelle » au labyrinthe des infrastructures moléculaires et cellulaires. Je suis convaincu que la compréhension de la conscience à partir des données moléculaires et de la physique quantique (plus la cosmologie) dépasse les possibilités de représentation et de formalisation. Ce qui n’empêche pas d’élaborer des solutions approchées en combinant la science et la philosophie. La signification de la mécanique quantique et de la cosmologie n’est pas encore accessible. Lorsqu’elle le sera, la question de la conscience se présentera d’une manière radicale. Je crois bien que Penrose n’a pas assez creusé la signification de la physique contemporaine. Ou alors qu’il a énormément creusé sans trouver le graal qui mène à la conscience. Mais on ne peut qu’admirer cette tentative de relier le monde biologique et le monde quantique.
Pour conclure en traçant un programme de recherche, je dirais que ni (A) ni (B) ne permettent de comprendre la conscience et que (C) propose une piste originale permettant de faire quelques pas mais le chemin est long, ou alors la voie n’est pas la bonne bien qu’elle propose des pistes non conventionnelles à examiner. Il reste comme possibilité une interprétation inédite des théories physiques contemporaines pour élucider la conscience car je suis convaincu que la voie matérialiste conventionnelle n’aboutira jamais. Aux cogniticiens matérialistes, j’aurais envie de dire : game is over.
Lien vers l’article de Penrose
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