Critique du monde libre
Suite de la série d'articles sur les logiciels libres, après trois mots sur la philosophie qui sous-tend ceux-ci et un bref rappel historique, place à la contradiction, avec un résumé des principales critiques contre le modèle libre, et les réponses qu'on peut y apporter. Si le lecteur a des objections non recensées dans ce chapitre, il est tout à fait bienvenu de commenter celui-ci.
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Quand on aborde le sujet des logiciels libres, on a le plus souvent affaire à deux types de réactions. D'un côté, ceux qu'on pourrait appeller les fanboys, prêts à défendre le modèle corps et âme, quitte à abandonner toute argumentation logique ; de l'autre, les sceptiques, qui objecteront la plupart du temps en posant certaines questions qui font mal. Nous listerons quelques-unes de ces questions, et d'autres interrogations qui se sont fait jour suite à la réflexion menée autour de la philosophie des logiciels libres, auxquelles l'auteur n'a pas forcément de réponse.
La première des objections courantes est la suivante : comment un produit « gratuit » peut-il constituer un modèle économique viable ?
Différents modèles économiques coexistent dans le monde du logiciel libre, rappelons tout d'abord que « free » signifie est entendu dans le sens de « libre », et non pas dans le sens de « gratuit ». Certaines sociétés proposent la dernière version de leur logiciel en payant, et les versions antérieures en gratuit. Certaines entités, comme la fondation Apache (Apache est un logiciel de serveur, qui équipe 65 % des machines en 2011, et qui possède sa licence libre spécifique, la licence Apache) basent leur fonctionnement sur le conseil, la formation et l'assistance. L'encyclopédie libre Wikipedia – qui n'est pas un logiciel, mais reste un produit intellectuel, fonctionne sur la base du mécénat. Il existe énormément de manières de gagner sa vie avec les logiciels libres, une réponse plus complète et plus rigolote en anglais est disponible ici : 11 open source business models.
Puis viennent une série d'interrogations auxquelles les réponses sont moins évidentes (même si pour les Bill Gates en herbe, on a déjà résolu la plus importante). La première concerne la capacité d'innovation. En mettant en libre disposition un ensemble de briques élémentaires, ne risque-t -on pas de perdre la capacité à innover ? Quand la Chine communiste ne respectait pas la brevetabilité des biens industriels, les industriels se contentaient de copier les innovations. En ne rémunérant pas le créateur, n'y a-t-il pas un risque de n'intéresser aucun inventeur ?
On pourrait commencer par objecter que la création ne naît pas forcément d'un intérêt financier direct, l'argument risquerait de paraître léger face à la complexité de l'appareil industriel. Prenons le problème autrement. Quand une société humaine veut innover, elle finance ce qu'on appelle la recherche fondamentale. C'est à dire qu'elle paie des gens pour avoir des idées bizarres et essayer de les mettre en œuvre. Pendant ce temps, ces chercheurs ne sont pas productifs. C'est pour cela que l'on finance aussi la recherche appliquée, pour essayer de valoriser les idées bizarres sus-citées. En gros, si on veut de l'innovation, il faut s'en donner les moyens, de ce côté-là, rien ne change donc.
Un autre point soulevé est celui du risque de dévaluation de la valeur-travail, par l'utilisation massive de contributeurs bénévoles. Ici je laisse la parole à Perlseb, qui faisait remarquer dans les commentaires de mon premier article : « la valeur travail ne baisse pas lorsque les bénévoles font du zèle. C’est la valeur travail rémunéré, c’est-à-dire travail soumis, ce qui n’est pas la même chose. […] Le travail (rémunéré) d’un informaticiemmencé par créer les outils dont ils avaient besoin, des outils le plus souvent sans interface graphique, c’est à dire, sans bouton où cliquer, juste un écran noir et un point d’insertion clignotant : la ligne de commande, le terminal, peu importe comment on l’appelle. Ensuite, et pour répondre à un besoin d’ouverture, ils ont commencé à écrire des interfaces graphiques. Alors bien sûr, au début, elles ressemblaient à Windows, à Office, à Photoshop. Mais aujourd’hui les recherches en termes d’ergonomie du bureau par exemple, sont légion dans le libre. Et Gnome 3, est nettement en avance en termes d’ergonomie sur, par exemple, Windows 7, alors qu’ils sont sortis en même temps. Si on n’aime pas Gnome 3 - on a le droit - on peut tester Unity, Cinnamon pour rester dans les systèmes novateurs, Maté ou XFCE si on est plus conservateur. Et si vous privilégiez la vitesse de votre PC à son aspect visuel, vous utiliser Fluxbox ou Openbox, ou pas de gestionnaire de bureau du tout. L'utilisateur a le choix.
Enfin, on peut parler des problèmes de compatibilité des jeux video. La plupart de ceux-ci sont en effet conçus pour fonctionner avec Windows. La seule solution jusqu'à présent était d'utiliser un implémenteur, comme Wine, sans que le fonctionnement de tous les jeux soit garantis. Heureusement, et ceci risque de faire sauter définitivement le pas à de nombreux utilisateurs, Steam, une boutique de vente de jeux en ligne, se propose, via l'équipe des développeurs de Valve Software (qui a réalisé Half-Life notamment), de créer un client 100 % compatible Linux. L'équipe qui travaille sur ce projet donne des nouvelles sur son blog, une version de test va être lancée d'ici quelques semaines. Les choses, pour les gamers, vont ici dans le bon sens.n ne sera donc pas de développer des logiciels mais de les assembler selon les besoins précis d’une entreprise. Et effectivement, ce travail d’assemblage sera nettement moins valorisant (moins créatif). » Le développeur a ses propres briques, plus celles des autres programmeurs, bénévoles ou non. Il a donc juste plus de matière première.
Le point le plus gênant reste, dans ce chapitre consacré à la critique du modèle libre, l'exigence de renouvellement. Le logiciel libre fonctionne, par rapport à l'industrie classique, en cycle court. Ubuntu sort une nouvelle version tous les six mois, en contrebalançant cette cadence par un cycle de support long de deux ans (versions LTS, Long Term Support). La survie des entreprises du libre passe par cette recherche permanente de l'innovation, et on peut se demander si cette exigence du modèle est fiable à long terme, si elle est « tenable ». Mais six mois, c'est aussi le temps qu'il faut pour faire mûrir du blé en semis de printemps... les temporalités sont encore gérables.
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