Imprimer des objets chez soi : après les TIC, voici les MUP !
Une nouvelle révolution industrielle est en train de
naître sous nos yeux avec l’irruption de ce que l’on pourrait appeler les MUP
(micro usines personnalisées). Déjà, dans le domaine du numérique, la
publication assistée par ordinateur, ou PAO, a bouleversé l’industrie graphique.
Les particuliers ont ensuite utilisé d’autres applications numériques pour
imprimer chez eux des photos en couleur, graver des CD ou des DVD, emporter
leur musique sur leur l’iPod. Mais ces applications sont encore limitées au
domaine du numérique. La révolution Internet, comme le disait très justement
Nicolas Negroponte, ancien directeur du Media Lab du MIT, a contribué, grâce à
la numérisation, à « transformer des atomes en bits ». Aujourd’hui il
devient possible de retransformer des bits en atomes ! C’est-à-dire en
objets physiques, chez soi, dans son atelier de bricolage ou dans une PME.
Cette révolution est rendue possible grâce ce que l’on appelle les imprimantes
3D, ou encore les machines de prototypage rapide (rapid prototyping machines).
Encore très coûteuses il y a un an, ces imprimantes 3D peuvent être connectées à
un PC et utilisées chez soi à des prix désormais abordables. La moins onéreuse
d’entre elles, l’imprimante InVision
LD, proposée par la société 3D Systems, coûte (quand même !)
14 000 $.
Pour imprimer un objet à domicile, il suffit d’utiliser un logiciel
de CAO (conception assistée par ordinateur ou, en anglais, CAD, Computer
Assisted Design), de concevoir ou de télécharger un prototype que l’on fera
tourner en 3D sur l’écran de son ordinateur. On pourra ainsi le modifier à sa
guise, ajouter des couleurs, des graphiques ou des textes, puis cliquer sur la
touche « Print » afin de mettre
en route son imprimante 3D (voir également cette vidéo). Le fonctionnement de l’imprimante dépend du
type d’objet à fabriquer. Il peut être en plastique, en alliage, ou utiliser de
la céramique, des colles, ou des résines. Dans le cas des matières plastiques,
le processus s’appelle la stéréolithographie. On utilise une résine
photodurcissable sous l’effet du rayonnement ultraviolet ou d’un laser. Ce
dernier, actionné par un système de commande numérique, va polymériser, couche
par couche, le plastique. On voit ainsi émerger du liquide, l’objet terminé.
J’avais annoncé cette révolution technologique et
industrielle dans mon livre La révolte du pronétariat, des mass media aux
médias des masses, écrit avec la collaboration de Carlo Revelli[1] :
« Les pronétaires ne vont pas se contenter de
fabriquer des produits numériques (textes, musique, vidéos, jeux, etc.).
D’étonnants outils leur donnent désormais la possibilité de fabriquer des
objets physiques à partir d’imprimantes 3D. Pour usiner des matériaux
en plastique, en céramique ou métalliques, les imprimantes 3D fonctionnent de la
manière suivante. Une pièce métallique, par exemple, est usinée ainsi :
une buse projette une poudre métallique, couche par couche, sur un support
mouvant, tandis qu’un laser, suivant les mouvements de la buse, soude au fur et
à mesure la pièce en formation. La buse et le laser sont commandés par un
logiciel recevant, par exemple, depuis Internet, les commandes numériques
nécessaires, correspondant au plan de la pièce. Pour du plastique, la
plate-forme mouvante descend dans un bain de plastique liquide, qui est
polymérisé par couches successives sous l’effet d’un laser. On voit ainsi
l’objet (un jouet, un support d’IPod, un crâne pour l’enseignement de
l’anatomie...) prendre forme sous les yeux de l’utilisateur. Mêmes possibilités
pour des objets en céramique. Les imprimantes 3D, de la taille d’un petit
réfrigérateur, sont encore coûteuses. Leur production est dominée par trois
entreprises américaines (3D Sytems, Stratasys, et Z corp), mais il faut
également citer la société Eos en Allemagne et une douzaine de start-up en
Europe et au Japon. Sony et DuPont, se lancent également dans ce marché qui va
croître de 31% en 2005 pour atteindre 1 milliard de dollars. D’après les experts,
le prix de ces machines va considérablement diminuer dans les années à venir.
On verra arriver sur le marché des imprimantes 3D portables qui trouveront
leurs applications dans les foyers, les garages, les petits ateliers. La
liaison entre l’Internet, le PC personnel et les micro-usines personnelles sera
alors réalisée, ouvrant des possibilités de productions décentralisées encore inimaginables
aux pronétaires. La compétition sera alors encore plus vive entre les pouvoirs centralisés
traditionnels et les nouveaux pouvoirs des pronétaires du numérique et du monde
physique, au cœur même de l’univers des
« bits » et des atomes. »
Que peut-on faire avec sa micro-usine personnalisée ?
Fabriquer les objets les plus
divers. Par exemple des maquettes en trois dimensions pour les architectes,
comme des bâtiments qu’ils souhaitent montrer à leurs clients ou des
expositions en projet pour des musées ; des pièces de rechange, des engrenages
pour des PME ou pour des passionnés de bricolage ; des modèles
moléculaires, des crânes ou des squelettes pour l’enseignement
scientifique ; des coques personnalisées pour téléphones portables ;
divers bibelots, breloques, colliers ou bracelets. Mais il y a plus. Non
seulement on peut fabriquer des objets en ajoutant des matériaux, couche
par couche, qu’il s’agisse de plastiques ou d’alliages, mais l’on peut aussi sculpter
de la matière brute pour lui donner forme grâce à des systèmes à commande numérique
permettant d’usiner le bois ou la mousse plastique. J’ai d’ailleurs décrit,
dans un article
d’AgoraVox, la manière dont ma planche de surf avait été clonée grâce à un
robot 3D, usinant sous mes yeux un pain de mousse de polyuréthane. Les
commandes numériques étant transmises au robot, depuis la Californie, par
l’intermédiaire d’Internet. On peut imaginer les applications d’un tel système
d’usinage pour l’industrie de l’ameublement ou la fabrication d’objets
d’intérieur. Il est possible, par exemple, à partir d’un catalogue numérisé, de
personnaliser un vase en céramique, d’y ajouter la coloration et les motifs
décoratifs que l’on désire, puis d’« imprimer » ce vase à domicile !
Compte tenu du prix actuel des imprimantes 3D, on va sans
doute voir proliférer dans les villes des « Copy Services », comme
ceux qui existent aujourd’hui pour imprimer ses photos dans son quartier,
réaliser des photocopies couleur ou relier des rapports. On va également voir
apparaître des « agrégateurs » proposant des catalogues numériques
d’objets les plus divers et permettant, comme le font Google pour la publicité, e-Bay pour les objets ou iTunes pour la musique, de surfer sur les besoins de
la « longue traîne »
des pronétaires, afin de répondre à leurs demandes les plus diverses et les
plus personnalisées.
Évidemment, l’avènement des MUP ne se fera pas sans créer
de graves difficultés industrielles, économiques et même juridiques. On va sans
doute connaître les mêmes problèmes liés aux droits d’auteur (mais cette fois
pour les objets), que ceux que l’on observe aujourd’hui pour la musique ou les
textes imprimés. Par ailleurs, de nouveaux conflits vont éclater entre les
grands producteurs d’objets standardisés destinés à des consommateurs de masse,
et des pronétaires, des micros PME ou des associations, capables de fabriquer
des objets, jusqu’alors produits en série dans des usines centralisées. Et que
dire des applications issues des nanotechnologies, telles que les
« imprimantes moléculaires » ? Entre les mains des particuliers et
sans contrôle, ces systèmes pourraient être détournés pour fabriquer des
drogues, des armes nanotechnologiques, voire des agents permettant de modifier
l’environnement. Déjà, des chercheurs britanniques travaillent sur des
imprimantes 3D capables de fabriquer
d’autres imprimantes 3D en série ! Ils ont trouvé le moyen d’imprimer
des circuits électroniques à partir de buses projetant des alliages de bismuth,
d’étain, de plomb et de cadmium. Les parties en plastique sont fabriquées
séparément des circuits électroniques. Il ne reste plus à l’utilisateur qu’à
assembler les différents éléments comme pour un jeu de construction. Imaginons
que ce type d’imprimantes 3D autoreproductrices soit transposé au niveau
nanotechnologique. On retrouverait ainsi le concept de « nano
assembleur » écrit par Eric Drexler dans son livre Engins
de Création (Engines of Creation, the Coming Era of Nanotechnology,
1986, Anchor Press/Doubleday) et qui suscite beaucoup d’inquiétudes aujourd’hui
dans les mouvements et associations
opposés aux développements sans
contrôle des nanotechnologies.
Les imprimantes 3D et les MUP pourraient être considérées comme des outils de développement économique et social prometteurs, par exemple pour les pays en développement avec le concept de « Fab Labs » de Neil Gershenfeld du MIT, mais également comme des innovations susceptibles de déstabiliser les circuits économiques actuels et même de créer de nouveaux dangers pour la santé ou l’environnement. Afin d’éviter les dérapages dans ce domaine, il apparaît indispensable non seulement de s’informer sur les applications possibles de ces nouveaux outils, mais aussi et surtout d’expérimenter, d’échanger des informations, de réfléchir aux promesses, aux défis et aux risques de ces micro ou nano-usines personnalisées.
[1] Fayard, février 2006. Voir Chapitre 6, « Imprimer des objets physiques », page 187 de la version en .pdf, téléchargeable gratuitement à partir de www.pronetariat.com
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