L’énergie noire, une forme de magnétisme ancien ?
En 2011, les physiciens Saul Perlmutter, Brian P. Schmidt et Adam G. Riess partageaient le Prix Nobel de Physique pour leur découverte de l’accélération de l’expansion de l’Univers. Datant de la fin des années 90, cette découverte remettait en question une croyance encore aujourd’hui profondément ancrée dans nos esprits : sous l’influence de la gravité, l’Univers devait bien à un moment ou un autre arrêter son expansion, voir se contracter pour terminer dans un “big crunch” d’où tout, peut être, recommencerait. Mais non, l’Univers est toujours en expansion et cette expansion s’accélère. Toutes les galaxies s’éloignent les unes des autres et un jour, dans quelques dizaines de milliards d’années, le ciel sera vide d’étoiles et nos éventuels descendants, seuls à jamais.
Quelle est la cause de cette expansion ? On incrimine cette fameuse énergie noire (ou sombre), de nature inconnue mais qui compte pour 70% de toute l’énergie de l’Univers. Elle pourrait être ce que l’on appelle l’énergie du vide, une force répulsive inhérente au vide, ou encore une forme de gravitation particulière opérant sur des échelles cosmiques. Ou encore, elle correspondrait à la constante cosmologique, une énergie stable issue de l’écume quantique. Cette énergie est évaluée à un demi-joule par kilomètre cube, mais les calculs effectués à ce jour sur base de cette constante sont loin, très loin de correspondre à cette évaluation empirique.
Dernière hypothèse en date, formulée en 2008 par José Beltran et Antonio Maroto de l’Université Complutense de Madrid, une forme d’électromagnétisme qui serait l’écho des premiers instants de l’Univers, là où l’électromagnétisme - les photons – s’est détaché de la force nucléaire faible et dont la forme résiduelle apporterait l’énergie nécessaire à cette accélération de l’expansion. Travaillant sur une forme particulière de la gravité dite théorie tenseur-scalaire, ils s’aperçurent que les équations en jeu ressemblaient plus à l’électromagnétisme qu’à la gravitation, et plongèrent dans les secrets de l’électrodynamique quantique (QED pour les intimes), théorie en partie due à Richard Feynman (lui ayant valu le prix Nobel de 1965) et une des plus belles réussites de la physique théorique, jamais mise en défaut depuis sa conception. QED décrit le comportement des photons, qu’il soient porteurs de lumière visible, d’ondes radio ou de micro-ondes. Mais deux autres entités, jamais observées, sont issues de QED : un photon très spécial avec un champ magnétique allant vers l’avant (alors que pour un photon normal le champ est perpendiculaire à sa direction), et un second type dit “temporal mode” sans champ magnétique mais doté d’un potentiel électrique. On ne les “voit” jamais et ceci est expliqué mathématiquement par la condition (au jauge) dite deLorenz, selon laquelle les attributs de ces deux photons très spéciaux s’annulent totalement.
Les équations de Beltran et Maroto ressemblent à de l’électromagnétisme, mais sans Lorenz. Quelles en sont les implications cosmologiques ? Les ondes étranges bannies par Lorenz pourraient exister sous forme de fluctuations quantiques, apparaissant pour redisparaître aussitôt. Mais aux premiers instants de la phase de violente inflation de l’Univers (juste après son apparition l’Univers aurait subit une phase d’expansion aussi courte qu’infernale dite inflation cosmique, phase requise pour expliquer la structure observable de l’Univers dans le contexte de la théorie du Big Bang), ces fluctuations auraient été amplifiées, faisant apparaître des ondes de potentiel électrique avec des longueurs d’onde très largement plus grandes que l’Univers observable – donc invisibles sans instruments de taille suffisante. Ces ondes devraient contenir de l’énergie, mais invisible… de l’énergie noire ?
Les chercheurs ont baptisé cette idée “magnétisme sombre”. Elle permet d’expliquer la quantité d’énergie noire avec une précision très nettement supérieure à ce que permet la constante cosmologique. Elle permettrait apparemment d’expliquer aussi l’existence de vastes champs magnétiques cosmiques, dont l’existence est aussi réelle que mystérieuse – et a fortiori dans des régions de l’espace essentiellement désertiques, là où rien n’existe pour permettre la création de ces champs.
Il s’agit maintenant de tester cette idée expérimentalement, en observant notamment le fond diffus cosmologique, sorte de signature en forme de micro-ondes de la fameuse inflation cosmique. Le satellite Planck de l’ESA pourrait s’avérer crucial dans cette recherche. Peut être pourrons nous alors jeter un peu de lumière sur cette énergie noire qui, comme sa cousine la matière noire, est aussi mystérieuse que vitale à la construction théorique actuelle de notre Univers.
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