La fin de l’évolution de l’espèce humaine ?
Se battre contre ceux qui profèrent des âneries sur l’évolution peut être ludique, voire éducatif, dans la mesure où cela permet de présenter des thèses vraiment scientifiques. Mais, lorsqu’il s’agit de l’évolution de l’Homme, on touche aux grandes peurs de l’avenir, du futur. On est tenté de remettre en cause notre manière de vivre. On se réfugie derrière un ethnocentrisme qui nous ferait oublier que la dynamique de l’évolution humaine ne se réduit pas à la société occidentale dans laquelle nous avons construit notre cocon protecteur, mais prend en compte la formidable dynamique qui existe dans les pays émergents.
Dans un article récent, l’hebdomadaire Courrier International (N° 943) nous annonce qu’ "un généticien britannique annonce la fin de l’évolution de l’espèce humaine". Dans deux interviews à la radio (BBC Radio 4 et BBC Five Live le 7 Octobre 2008), le professeur Steve Jones, de l’University College de Londres, a défendu la thèse que la race humaine avait cessé d’évoluer. Son point de vue est fondé essentiellement sur l’allégation selon laquelle la réduction de mortalité juvénile, la diminution de l’âge des pères et une plus grande interdépendance des populations dans les sociétés occidentales contribuent à réduire l’apparition de mutations et le maintien d’un réservoir de mutations indispensables à une évolution de l’espèce. À la fois les données à l’appui de ces affirmations et ses vues de la façon dont ces facteurs influent sur l’évolution des populations ont été largement critiquées par d’autres universitaires.
Dès 1995, dans le New York Times, Steve Jones était présenté comme défendant la thèse suivant laquelle la sélection naturelle a dans une certaine mesure, été "abrogée" dans le cas de l’homme, la plupart des changements sociaux semblant conspirer pour "ralentir l’évolution humaine". A défaut d’être rigoureuses sur le plan scientifique, ces affirmations ont eu l’intérêt premier de lui permettre de vendre des livres. Elles reposent sur quatre arguments/affirmations principaux.
Faisant reposer l’évolution uniquement sur la sélection naturelle, l’apparition de mutations, et des changements aléatoires, Jones exclut les flux de gènes, l’un des quatre mécanismes usuels de l’évolution. Ainsi, il interprète que le brassage croissant des populations humaines est le gage d’un arrêt de l’évolution alors qu’il y contribue probablement fortement.
Le deuxième argument "massue" de Jones est que les pères plus âgés transmettent un taux de mutation plus élevé que les plus jeunes, et que la proportion de pères âgés est aujourd’hui moindre que dans le passé. Là encore, on assiste à un raccourci scientifique dans la mesure où l’histoire de l’âge paternel à la naissance n’est pas aussi simple que Jones voudrait nous le faire croire. De plus, l’argument peut être retourné (contre son auteur) puisqu’il ne considère que la proportion des père âgés alors que c’est leur nombre qui importerait : l’augmentation du nombre d’humains sur terre aurait donc le double effet d’accroître un des facteurs essentiels de l’apparition de mutations nouvelles qui est la taille de la population, et d’augmenter le nombre de pères âgés.
Un troisième élément de sa démonstration est que la réduction de la mortalité infantile et juvénile supprime un facteur de sélection naturelle. Là, Steve Jones ne voit le monde que du bout confortable et occidental de sa lorgnette, négligeant que la mortalité est encore élevée chez les jeunes dans un contexte mondial. De plus, même dans les pays favorisés, les progrès de la médecine qui permettent une diminution de la mortalité précoce, ont permis de transformer de potentielles mutations délétères en mutations neutres, qui, ainsi, sont conservées dans la population au lieu d’être perdues à cause, justement, de ces décès précoces. Enfin, il ne s’agit certainement pas du seul facteur de sélection.
Un dernier argument serait, selon le Times, "la disparition du hasard" dans l’évolution humaine. Le hasard serait lié à la confrontation de mutations apparaissant dans notre génome et les force "naturelles" de sélection. Puisque la manière dont l’homme façonne son environnement (biologiquement, socialement, économiquement, …) est considérée "artificielle", l’homme naturel n’étant que le bon sauvage, ces forces naturelles de sélection diminuent.
Il s’agit-là d’une vision extrêmement réductrice de l’écologie humaine. A la lueur de l’évolution, cela correspond probablement plus à un débat sémantique que scientifique.
Chris Stringer, du Muséum d’Histoire Naturelle de Londres, pense qu’on n’aurait pas pu prédire l’évolution récente du genre Homo et place au rang de conjectures la question de savoir vers où son évolution à venir l’entraîne. Ce qu’il affirme pourtant, c’est que l’évolution ne s’est pas arrêtée un jour, et qu’elle n’a pas besoin d’une intervention humaine pour la stimuler, ainsi que le proposent certains, à grands coups de clonage ou de thérapie génique : "nous serons en mesure de choisir nous-mêmes le cours de notre évolution" a déclaré Edward Wilson de l’Université de Harvard.
Mais il est une question que beaucoup d’entre nous veulent éluder : l’Homme n’est-il pas un cul-de-sac évolutif ? Est-ce de nous qu’il faut attendre l’évolution animale sur terre ?
Alors, rangeons nos prétentieuses affirmations sur notre futur, et, ainsi que l’écrivait M. Tattersall "apprenons à vivre avec nous-mêmes tels que nous sommes … Vite."
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