Streaming illégal : producteurs, ayants droit, internautes... tous perdants ?
Plébiscité par les internautes du monde entier, le streaming illégal est pourtant loin d’être sans conséquence : pour l’industrie du cinéma et même les Etats, les pertes se chiffrent en milliards d’euros, et pour ce qui est des utilisateurs, notamment les plus jeunes, l’association Ennocence rappelle que les publicités à caractère pornographique sont monnaie courante sur les sites de streaming et de téléchargement illégal…
Le streaming illégal continue de progresser, et les risques qu’il fait courir aux internautes aussi. D’après l’Alliance pour la créativité et le divertissement, une initiative lancée en juin dernier par 30 poids lourds du divertissement (dont la Warner, HBO, Netflix, Disney et Canal +), 5,4 milliards de téléchargements illégaux de films ou d’émissions ont été réalisés en 2016 dans le monde. L’organisation estime par ailleurs que les sites pirates ont reçu 21,4 milliards de visites l’année dernière.
Les chiffres sont tout aussi alarmants au niveau national : 13 millions d’internautes français (soit 27 % des utilisateurs) ont consommé illégalement des vidéos sur Internet en 2016. Selon une étude du cabinet EY, cela représente un manque à gagner pour l’Hexagone de 1,35 milliard d’euros. Réinjecter cette somme dans l’économie rapporterait pas moins de 430 millions d’euros de recettes fiscales et sociales pour l’Etat et générerait 265 millions d’euros pour les créateurs et les ayants droit.
Conscients de la menace, les industriels se mobilisent de plus en plus, comme le démontre la naissance de l’Alliance pour la créativité et le divertissement, dont le but est de lutter contre le téléchargement illégal en ligne. En Espagne, le site Rojadirecta, l’un des leaders du streaming illégal outre-Pyrénées, a été contraint de fermer en février. La décision a été prise par le tribunal du Commerce n° 1 de La Corogne après la plainte déposée par DTS (Canal + Espagne et Movistar).
Outre-Manche, le monde du football et ses associés télévisuels (Sky, BT, etc.) estiment que le streaming illégal est « la plus grosse menace pour les droits TV du ballon rond britannique ». En février dernier, cinq personnes ont été arrêtées et accusées de vendre des box permettant de diffuser les rencontres de Premier League gratuitement sur Internet, un trafic qui aurait rapporté 250 000 livres aux cinq suspects.
En France, Yousef Al-Obaidly, président de la chaîne beIN Sports, qui a récemment estimé à 200 millions d’euros le manque à gagner que représente le streaming illégal, a également décidé de prendre les choses en mains : « nous avons commencé à demander la fermeture de sites pirates et nous allons continuer de le faire, car nous pensons que cela handicape l’ensemble du paysage audiovisuel français », prévient-il.
Les jeunes internautes en danger
Mais si l’industrie du divertissement et, avec elle, une partie importante de l’économie sont menacées par le streaming illégal, elles n’en sont pas les seules victimes. Selon un rapport de l’Association of Internet Security Professionals (AISP), 80 % des sites de streaming illégal hébergent un ou plusieurs virus. Cinq cents millions d’ordinateurs (soit un ordinateur sur trois) seraient ainsi infectés dans le monde. Le but de ces sites : récupérer les données privées des internautes (photos, documents personnels, listes de contacts, informations bancaires, historique de navigation, etc.).
D’autres victimes sont d’autant plus discrètes qu’elles sont fragiles. Gros consommateurs de séries TV, de films et de sport, les jeunes, et notamment les enfants, constituent les principaux consommateurs de streaming illégal. Or, la plupart de ces sites se financent grâce à des publicités très agressives s’affichant de façon intempestive sur les écrans. Ces fameux « pop-up » présentent souvent des images à caractère pornographique et sont à l’origine de 72 % des glissements involontaires vers des sites classés X.
Une expérience violente et destructrice
Selon une étude OpinionWay commandée par l’association Ennocence, 14 % des 9-16 ans et 36 % des 15-16 ans déclarent avoir surfé sans le vouloir sur un site pour adultes. Résultat : un enfant a en moyenne 11 ans lorsqu’il est exposé pour la première fois à du contenu pornographique en ligne, ce qui peut être lourd de conséquences…
Pour Claude Halmos, psychanalyste spécialiste de l’enfance et la maltraitance, il faut « protéger » la sexualité des enfants des intrusions. En effet, « quand de la sexualité adulte se mêle à celle de l’enfant, c’est toujours pour lui très violent et destructeur ». La spécialiste estime que les images pornographiques sont particulièrement perturbantes « parce que l’enfant est envahi par des scènes de sexualité adulte », ce qui est « d’autant plus dangereux que, d’une part, la sexualité qui lui est présentée est une sexualité sans échange et sans respect de l’autre et que, d’autre part, elle est fondée sur des pratiques dont l’enfant va penser qu’elles sont les seules possibles ».
L’association Ennocence se bat depuis sa création pour protéger les enfants face à cette menace croissante. Elle sait cependant que le combat, notamment judiciaire, est difficile, les plateformes de streaming étant souvent hébergées à l’étranger. Seule une stratégie visant à couper les rentrées financières de ces sites pourrait être efficace. Et bien sûr, la sensibilisation et l’engagement des pouvoirs publics restent indispensables pour réussir.
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