Téléthon 2007, entre essoufflement et fin des illusions
La grande manifestation du Téléthon s’est déroulée en 2007, sans grande nouveauté au niveau du principe et de la forme. C’est ce qu’on appelle de l’événementiel bien réglé. Une grande manifestation nationale, unissant beaucoup de Français et marquant l’année, à l’instar des fêtes folkloriques traditionnelles censées scander le temps et traduire le renouvellement des saisons. Dans chaque localité, des bénévoles s’affairent pour recueillir des dons alors que le plat de résistance est offert par les chaînes publiques et leur logistique bien rodée. C’est d’ailleurs par ce biais que les trois quart des dons affluent aux centres de promesse, le quart restant étant dû aux collectes locales effectuées sur le terrain. Le show médiatique se compose de plusieurs pôles. D’abord l’événement en lui-même, avec des envoyés spéciaux chargés de montrer la ferveur populaire et la solidarité ambiante, et puis le relais indispensable des peoples dont la présence ajoute une aura ; ces stars multicartes qu’on retrouve dans les œuvres humanitaires ainsi que dans des événements servant à lancer une marque, dans des lieux classieux bien fournis en boissons pétillantes et force toasts caviardisés. Ensuite, place à la maladie, à ce don il est question et qui justifie l’appel aux dons. Et comme les donateurs deviennent de plus en plus scrupuleux, il faut également inviter sur les plateaux de télévision quelques scientifiques de laboratoire et aussi des responsables d’équipes médicales censés exposer l’avancée des recherches et des essais.
Cette année, le thème décliné par les autorités médicales, ce fut les essais. Ayant suivi quelques moments de l’émission du vendredi soir sur la Trois, il m’a semblé qu’une sorte d’apathie régnait et qu’on était loin de l’enthousiasme des débuts. Peut-être était-ce une distorsion liée au sérieux appliqué des invités concentrés sur leurs intentions pédagogiques. Pourtant, quelques signes d’essoufflement transparaissaient ; on se demande alors si d’ici à dix ans, l’utilité de cet événement ne sera pas discutée. Revenons à la soirée du Téléthon. Bien évidemment, la vue de ces enfants que le sort génique a condamné à une vie « anormale » ne laisse pas indifférent. Tout comme ce père ému aux larmes avec ses trois fils atteints d’une maladie rare et suppliant les médecins de lancer les essais et les gens de donner les moyens nécessaires car la lourdeur thérapeutique de cette médecine se chiffre en millions d’euros. D’où l’importance des dons pour un Téléthon qui, cette année, est placé sous le sceau des essais chez l’homme alors que le côté fondamental, avec ses schémas moléculaires, semble mis de côté, comme si c’était une affaire classée et qu’il faille à tout prix proposer des essais. Conformément à toute feuille de route appliquée dans la mise en place d’un protocole thérapeutique, du reste très encadré, laboratoire, essais toxicité, cellule, animal, essais chez l’homme, en quatre phase, puis AMM, mise sur le marché.
La question qu’on est en droit de poser, c’est celle d’un éventuel acharnement thérapeutique pratiqué par un corps médical cherchant à justifier le Téléthon, l’ampleur des dons passés et de la recherche effectuée en génétique. On sent une certaine discrétion, pour ne pas dire opacité. Il faut dire que le recul des quinze dernières années atteste de problèmes spécifiques liés aux thérapies géniques, le tout assorti d’échecs que la presse n’a pas toujours relatés. La science américaine avec ses moyens démesurés en sait quelque chose. La vérité étant que la plupart, sinon la totalité, des essais de thérapie génique, sont considérés comme des échecs, en dépit de quelques prouesses prometteuses, mais qui font déchanter eu égard aux effets secondaires observés. Alors que la poursuite des essais ne va pas de soi, le Téléthon de 2007 nous présente cette affaire comme un nouvel élan, faisant passer un crépuscule pour une aurore. Les mots de Jacques Testart, éminent critique de la médecine, sont sans appel. Les thérapie géniques pourraient peut-être finir par « marcher », dit-il en employant les guillemets, mais risque surtout d’apparaître comme un gigantesque bluff orchestré par des instances industrielles et des chercheurs se nourrissant de la foi dans le progrès et de la détresse des familles affectées.
La foi, le mot est lâché, avec sa connotation toute religieuse. Faut-il dire la vérité aux malades, aux proches, aux citoyens, ou bien faut-il poursuivre cette mise en scène annuelle avec ses espérances déclinées en messe de prime time ? C’est un sujet qui, généralisé et philosophé, aboutit à une autre question, la fin justifie-t-elle les moyens ? Autrement dit, la détresse des familles, la quête d’espoir et la générosité des donateurs, le tout sur fond de solidarité collective, justifie-t-elle qu’on s’acharne à poursuivre les essais en sachant que l’échec est l’issue la plus probable ? Ainsi que la divulgation d’informations présentées de manière fallacieuse ? Les médias ont en effet évoqué un succès de thérapie génique pour une adénoleucodystrophie, alors qu’il n’est pas question de guérison, mais juste d’un constat, effectué avec six mois de recul, portant sur des résultats qui seraient jugés « encourageants » car la protéine déficiente s’exprime dans un pourcentage important de cellules sanguines. Tout ceci ressemble à un communiqué diplomatique du genre, des avancées significatives ont été constatées... bla bla bla...
Pour finir, on croquera cette mise en scène du Téléthon en observant quelque parallélisme avec la religion et son exercice par des ecclésiastiques qui, souvent, furent en délicatesse avec la détresse humaine, monnayant parfois les recours en grâce au temps de la simonie et bien plus tard. La techno-science est devenu idéologie comme le disait Habermas et, dans le cas du Téléthon, on approche la croyance, autrement dit, on transige avec les exigences de la raison et on se met à croire en d’improbables miracles. Alors qu’une sorte de denier du culte est récolté à l’occasion de la messe cathodique où l’on prie la science et ses médecins. Autant dire qu’après la cléricature des intellectuels, les scientifiques et les managers d’espérances sont devenus ces nouveaux clercs d’un monde voué de plus en plus à la technique.
Un mot de la fin pour les premiers concernés, les malades et leurs proches. Au point où en sont les avancements de la recherche, il serait temps de reconsidérer le choix des actions et de penser plutôt à un soutien humain, une reconnaissance, une honnête compassion car c’est ce qui reste de plus important, une fois résigné à la vérité quant aux espoirs qu’une science ne peut plus légitimer. Un peu comme pour une fin de vie. La science ne peut plus rien, mais, dans le cas des maladies rares, c’est une toute autre chose car lorsque un enfant est ainsi touché, il est difficile d’admettre cette fatalité et, ma foi, on peut comprendre que l’espérance puisse être un précieux recours pour des gens.
Un mot de conclusion pour, en dépit de toutes les réserves et critiques qu’on peut adresser au Téléthon, saluer la mobilisation de gens sincères pour une cause généreuse qui, à l’origine, semblait jouable sur le plan scientifique. Une société a besoin de ces manifestations de solidarité, même si on peut y voir une certaine artificialité. La leçon à retirer étant que la Nature impose des limites à l’homme et que si certaines peuvent être transgressées par la technique, par exemple aller dans les airs ou l’espace, se déplacer à 300 km/h sur terre ; en matière de thérapie génique, les limites sont pour l’instant d’ordre cognitif et pratique. Et donc, la vue de l’impasse se précise, un peu comme quand on croit accéder par une voie à un sommet et qu’on se retrouve face à un obstacle infranchissable imposant de tout revoir. Pour le reste, rien que de l’ordinaire. Quelques gens avides de gloire et profits greffés sur l’aventure génétique, mais pas plus qu’ailleurs, dans l’humanitaire, le politique ou dans la gestion des structures publiques.
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