Quand vous dites que vous voyez les Celtes monter en puissance quelques siècles après le Xè siècle, je peux vous rassurer, vous n’êtes pas le seul : c’est là l’avis de tous les archéologues. En effet l’Age du Fer commence vers le VIIIè siècle av. J.-C., et à cette époque la civilisation celtique se répand sur le territoire européen. Les Celtes se sont implantés sur le territoire de populations présentes à la fin de l’Age du Bronze ; il paraît difficile de croire que ces populations auraient disparu soudainement, ou que les Celtes les auraient exterminées pour s’installer à leur place. Comme dans tous les cas de conquêtes durables (on peut prendre l’exemple bien connu de la conquête romaine de la Gaule), les populations ccupées assimilent progressivement les habitudes, cultes, langage, etc. des occupants. Des particularités régionales persistent, liées au souvenir de la culture précédente, mais en général elles s’effacent à la longue. On peut donc affirmer que les populations pré-celtiques ont été influencées par les Celtes, qui ont assimilé ces cultures en dominant l’Europe. Lorsqu’une civilisation a un rayonnement aussi fort, il paraît également raisonnable de penser qu’elle influence aussi les régions limitrophes, qui sont en contact prolongé et important avec elle.
Vous vous étonnez de voir qu’il puisse y avoir une spiritualité avant les Celtes. Il existe des preuves de spiritualité (qui n’est pas la même chose que la religion) pendant la Préhistoire, le Néolithique et l’Age du Bronze. De même la Lune et le Soleil sont considérés très tôt comme des divinités : à Sumer entre le VIè et le IIè millénaire on trouve un dieu-lune et un dieu-soleil, de même qu’à Akkad vers la fin du IIè millénaire. Les Celtes n’ont pas inventé le concept de spiritualité, ni celui de divinité, et ils n’ont pas non plus été les premiers à adorer ni à représenter le soleil et la lune.
Cela me ramène à une question que je me pose à la lecture de votre commentaire. Je n’ai pas lu tous vos livres ni vos articles, et par conséquent je ne comprend pas toutes les théories que vous avancez ici. Vous dites que Bibracte (quel que soit son emplacement) aurait été fondée par les Phéniciens ? J’aimerais savoir quels sont les faits qui vous permettent de l’affirmer ; j’aimerais également que les preuves que vous allez exposer si vous répondez à mes questions ne soient pas simplement liées à la re-traduction de textes antiques. En effet, quoi que vous en disiez, ces textes ne sont pas toujours à prendre au pied de la lettre, quelle que soit leur traduction, et ils doivent être considéré avec précaution car ce ne sont pas des textes scientifiques -au sens actuel-, mais des compte-rendus d’observations, qui sont en général subjectifs. L’Histoire naturelle de Pline l’Ancien est connue pour comporter aussi des bien des affirmations justes que des abérrations. Des écrivains historiens ou biographes, comme Hérodote, Plutarque, Diodore, etc. font la description de personnages ou des faits qui ont vécu/se sont passés des siècles avant leur naissance, le plus souvent sur la base de textes plus anciens qui sont eux aussi à prendre avec des pincettes. Il faut faire attention avec les textes antiques, et ne pas les prendre pour argent comptant.
Ce n’est pas parce qu’Hécatée de Milet parle de Celtes qu’il parle nécessairement des Arvernes. Ils ne sont qu’un des nombreux peuples celtes qui occupaient la Gaule, et ne sont connus qu’à partir des III-IIè siècles av. J.-C. dans la littérature antique. Les Arvernes sont certainement un peuple puissant (ils combattent les Romains au IIè siècle av. J.-C.), mais si ils le sont autant que vous le dites, il semble étrange qu’Hécatée n’emploie pas leur nom pour les désigner, mais en utilise un autre. Il sembe donc plus logique qu’il parle d’une civilisation au sens large, et pas d’un peuple qui occupe un petit territoire. De plus, il est attesté, à la fois dans la litturature et par l’archéologie, que les Celtes sont un peuple conquérant ; ils ont envahi des territoires comme Rome ou Athènes, pillé Delphes, et certains se sont même installés en Asie Mineure. De même les marins grecs qui ont fondé des colonies, dans le sud de la Gaule entre autre, sont rentrés en contact avec des Gaulois, et ils ont donc nécéssairement eu vent la puissance des Arvernes. De plus il faut se souvenir que Marseille a été fondée au VIIè siècle av. J.-C., par des colons provenant de Phocée en Asie Mineure. Donc il est probable que les habitants de Milet, qui se trouve aussi en Asie Mineure, aient entendu parler des autochtones habitant en Gaule par les habitants de Phocée, qui eux tenaient leurs informations des colons de Massalia. Les sources antiques indiquent que les Grecs ont très tôt été en contact avec les Celtes, notamment à travers la colonisation du littoral méditerranéen occidental, ce qui peut expliquer pourquoi Hécatée peut les mentionner près d’un siècle après la fondation de Marseille.
Vous trouvez l’origine du mot Celtes dans le nom des Chaldéens ; il est vrai que Keltoi et Chaldée ont des sonorités communes. Mais en est-il de même entre le mot Keltoi et Chaldée en grec (je pose simplement la question, car je ne m’y connais pas beaucoup en grec et je ne sais pas du tout quelle est la réponse) ? Ce n’est pas parce que deux mots dans deux langues différentes se ressemblent qu’ils sont nécessairement liés. De plus vous assimilez les Chaldéens aux Phéniciens. Or, il ne s’agit pas des mêmes peuples. Les Phéniciens sont un peuple de marins, qui vit sur la côte méditerranéenne au niveau du Liban, de la Syrie et de la Palestine ; ils ont fondé plusieurs colonies sur les rivages de toute la Méditerranée, jusqu’en Espagne. Les Chaldéens quant à eux viennent des bords du Tigre et de l’Euphrate, en Mésopotamie, c’est-à-dire à l’intérieur des terres. Les deux peuples ont sans doute été en contact, mais il s’agit quand même de peuples différents. Les Chaldéens ne sont pas un peuple de navigateurs, contrairement aux Phéniciens, donc si un des deux peuples a eu des contacts voire a pu s’implanter en Gaule, il s’agit plutôt des Phéniciens.
Il est à peu près certain qu’il y a eu une occupation du site de Gergovie ou de celui de Bibracte avant la période celte. Il s’agit de sites de hauteur, bien défendables, avec une vue générale sur le territoire environnant. Tous les peuples, depuis le Néolithique et même peut-être avant, ont cherché à s’établir dans des sites de hauteur, pour se protéger ; on trouve en archéologie beaucoup d’éperons barrés de l’Age du Bronze (les « ancêtres » des oppida), avec souvent une occupation antérieure datant du Néolithique. De plus le fait que les auteurs grecs mentionnent une ville dans le territoire celte ne signifie pas qu’il s’agit avec certitude de Gergovie ou de Bibracte. Tous les sites celtes n’ont pas été découverts, et le site de la ville de « Nuerax » n’a peut-être tout simplement pas encore été découvert ; de plus il n’est pas certain que cette ville se trouve en Gaule, elle peut se trouver plus à l’est voire en Europe centrale.
Je ne nie pas qu’on puisse trouver des points communs entre différentes
mythologies. La seule chose que je trouve étrange, c’est que vous
puissiez comparer un dieu gaulois (dont le culte a duré jusqu’au Ier
siècle av. J.-C.) à un dieu viking (dont le culte a débuté vers le VIIè
siècle ap. J.-C., soit environ 7 siècles plus tard). De même, le
chaudron de Gundestrup est un objet celtique, datant du Ier siècle av.
J.-C. ; à cette époque les viking, de même que leur culte, n’existent
pas. Par conséquent comment pouvez-vous voir dans les personnages qui y
sont représentés des dieux vikings ?
De plus vous dites que le chaudron vient de la région du Danube : j’ai
le regret de vous informer qu’il a été trouvé au Danemark, c’est à dire
bien au nord du Danube, sur un territoire celtique et pas germain, et
qu’il serait de facture gauloise.
Comme je vous l’ai également dit, la mythologie nordique est considérée
comme une des mythologies qui composent la mythologie germanique, mais
elle n’est utilisée que dans les pays nordiques, à partir du Haut Moyen
Age. Par conséquent on ne peut pas la mettre en relation avec la
mythologie celtique, qui n’est utilisée que jusqu’au Ier siècle av.
J.-C., puisque les peuples qui les utilisaient n’ont jamais été en
contact. Odin, Thor, Loki etc. sont des dieux vikings, qui ont été
adorés par les vikings ; à cette époque (vers le VIIè siècle ap.J.-C.)
la Gaule est chrétienne depuis plusieurs siècles. Les divinités
représentées sur le chaudron de Gundestrup ne peuvent donc pas être les
dieux vikings que vous voyez.
L’interprétation que vous faites des scènes représentées sur le chaudron
par rapport à la mythologie nordique ne peut donc, elle non plus, être
possible. De plus des interprétations, basées elles sur le panthéon et
la mythologie celtiques, ont déjà été faites, et les différents
personnages, animaux ou scènes ont pour la plupart déjà été identifiés
(même si ces interprétations doivent toujours être considérées avec
précaution, étant donné que nous ne connaissons pas très précisément la
religion gauloise ni celtique.
Si vous voulez comparer les mythologies celtiques et germaniques, et
éventuellement y trouver des similitudes (ce qui pourrait effectivement
être intéressant), vous devez prendre en compte des mythologies qui ont
été utilisées aux mêmes périodes (c’est-à-dire l’Age du Fer), et donc
trouver des renseignements sur les mythologies des peuples germaniques
(c’est-à-dire occupant les territoires de Germanie et une partie de
l’Europe centrale) de cette période.
De plus vous parlez du culte des têtes de l’époque gauloise, en le
reliant à la mythologie nordique ; vous pourriez dans ce cas-là trouver
beaucoup de comparaison du même genre, étant donné que les têtes ou les
crânes ont une place importante dans un certain nombre de cultures. Par
exemple les pratiques funéraires en Turquie au Néolithique (à Çatal Hüyük)
consistaient à décapiter les morts et à laisser les corps à l’air libre
pour que les charognards les décharnent pour enterrer les ossements
ensuite ; les têtes étaient elles aussi décharnées, mais on remodelait
un visage sur le crâne (avec de l’argile), et on les conservait dans les
maisons. Ce n’est pas parce qu’une culture pratique le culte des têtes
ou des crânes qu’il faut nécessairement la mettre en parallèle avec
toutes les autres cultures, de n’importe quelle période, qui ont
pratiqué ce culte.
Je trouve votre comparaison entre la mythologie celtique et la mythologie nordique abusive. En effet la mythologie nordique appartient à la mythologie germanique, qui se compose de plusieurs mythologies différentes : Loki n’appartient pas au panthéon germanique, mais au panthéon nordique et est donc à ce titre adoré exclusivement dans les pays scandinaves, au Danemark et en Islande. De plus la mythologie nordique est à la base de la religion polythéiste pratiquée par les populations de ces régions d’Europe du nord du Haut Moyen Age (c’est-à-dire vers les VIè-VIIè siècles ap. J.-C.) à leur christianisation. Je ne vois par conséquent pas ce qui vous permet de comparer Mercure à Loki, puis Loki à Lug, alors que le culte de Loki est bien postérieur à ceux de Lug et Mercure.
Vous avez cependant raison en comparant Mercure et Lug ; César lui-même assimile Mercure à Lug dans la Guerre des Gaules. Il indique aussi que Lug est la principale divinité celte, et qu’il est considéré entre autre comme l’inventeur des arts, le guide des voyageurs, le protecteur du commerce, etc. Lug n’a cependant rien à voir avec le mensonge ou la tromperie comme vous le sous-entendez. Si on trouve une référence à Mercure à cet endroit (dans l’hypothèse où le nom de Mercoeur est bien lié à Mercure), c’est peut-être simplement parce qu’à cet endroit se trouvait un sanctuaire de Mercure à l’époque romaine, éventuellement précédé par un sanctuaire de Lug à l’époque gauloise.
Vous affirmez que le nom de « Puy de la Vache » provient de la mythologie germanique. Or celle-ci n’a rien à voir avec la mythologie celtique utilisée en Gaule : qui vous dit que les Celtes considèrent que les vaches sont considérées de la même manière par les Germains et par les Celtes ? Rien ne prouve qu’elles soient si importantes pour les Arvernes à l’Age du Fer.
De plus je ne pense pas qu’il soit rationnel de baser tout votre raisonnement, pour le Puy de la Vache et pour celui de Mercoeur, uniquement sur la toponymie actuelle. Pouvez-vous affirmer qu’à la période moderne, à la période médiévale, à la période romaine, ces deux volcans portaient déjà les mêmes noms, ni même des noms similaires ? Mercoeur rappelle Mercure, mais il n’y a pas de preuve que ces deux mots soient directement liés. Quant au Puy de la Vache, je ne pense pas que vous puissiez affirmer que ce nom est directement lié à l’occupation gauloise, ni même romaine, de la région.