Ce que vous dites est particulièrement vrai depuis que les parents et ce, depuis plusieurs générations, passent dans le même moule systémique que leurs enfants. Mon point était de dire que ce phénomène de formatage était peut-être moins prégnant à l’époque où des individus, parents et non employés, s’occupaient eux-mêmes de l’éducation de leurs propres enfants et ne les remettaient à l’école qu’ensuite pour qu’ils y suivent un enseignement. Aujourd’hui l’école enseigne et éduque à la fois, la télé faisant le reste quand les parents rentrent épuisés. Ou même lorsqu’ils sont simplement un peu paumés. L’émancipation de la femme semble être une noble idée toute gentille mais a eu aussi cet effet pervers sur les masses : celui d’une soumission totale des esprits à ce qu’il convient aujourd’hui d’appeler le NOM = « one world, one ideology », et j’ajouterais « one family » pour faire bonne mesure.
Je vous rejoins aussi sur l’idée qu’un recul est nécessaire pour s’ouvrir et percevoir le monde avec un regard neuf. Cependant la plupart des adultes de ma connaissance — je ne parle pas des farfelus d’AgoraVox ^^ — sont au contraire souvent figés dans une vision du monde passéiste : celle de leur génération. Ils restent dans l’idée d’une opposition politique gauche-droite qui dans leur tête est pertinente ; mais qui malheureusement et dans les faits, ne l’est plus. Ils ont appris que les histoires de complot, c’est de la SF et que l’Europe c’est bien parce que ça évite la guerre. Ils ont aussi cru à l’ascenseur social et — pour ceux de la classe moyenne en particulier — ont passé leur vie à trimer dur pour 1) offrir un avenir meilleur à leurs enfants et 2) glaner une belle collection de « stuff » parce qu’à l’époque, l’abondance de choses matérielles était un idéal. Il faut dire que les générations précédentes avaient connu la guerre, la faim, le manque en général. Aujourd’hui l’on sait que tout cela a des conséquences sociales et écologiques — entre autres — désastreuses, mais on ne remet pas en question cinquante ou soixante ans de ce rapport-type au monde si facilement.
Je pense que la plupart des « jeunes vieux » ne se rendent compte de ce qui cloche qu’une fois arrivés à l’âge de la retraite. Ce moment où on fait le bilan et où on se dit « tout ça pour ça », et qu’est-ce que je deviens privé de travail et d’argent ? Certains partent alors en quête de vérité, s’intéressent et vivent des expériences nouvelles, inédites ; mais la plupart encore de ceux qui connaissent ce spleen le noient simplement dans toujours plus d’occupationnel entre enfants, petits-enfants, sport, système D, vie associative etc. — surtout ne pas avoir le moindre instant de repos. Ceux enfin qui n’en sont pas encore à cet âge-passerelle, pour la plupart, se contentent de vivre leur vie au jour le jour en tenant mordicus la roue de leur rêve américain... sauf que la roue tourne et que comme disait encore Carlin : ça s’appelle « rêve » parce qu’il faut être endormi pour y croire.
Il y a des exceptions que vous faites bien de rappeler, toutefois je persiste à penser que cette lecture du cas général est valide. C’est en tout cas ce que j’observe autour de moi et « en moi » : je m’inclus dans cette observation critique en sachant pertinemment que les questions que je me pose depuis quelques années — seulement... c’est pas bien long — ne me sont venues qu’après les premiers « vrais » soucis d’un parcours jusqu’alors sans accroc. C’est pas qu’avant, j’étais quelqu’un d’indifférent — mais ces questions ne sont « imposées » à moi qu’à partir du moment où ça a merdé et qu’il a fallu que j’essaie de comprendre « pourquoi ça cloche ». S’il n’y avait eu d’accroc, je serais sans doute toujours un mouton bien docile qui jamais ne doute de rien si ce n’est de lui-même.
L’imaginaire est d’abord le seul moyen d’envisager des solutions autres que la fausse alternative de « contradictions sous contrôle » à laquelle on nous soumet. Si vous n’aimez pas ce système, pensez l’alternative : surtout ne demandez pas au système de la penser pour vous.
Ensuite et pour ceux qui pensent qu’il n’y a pas d’alternative, que le système est trop bien ancré pour qu’une quelconque volonté libre et hors-lui (Horla ?) puisse l’ébranler, l’imaginaire représente une sorte de porte de sortie, une issue de secours, un endroit « rien qu’à moi » que personne ne peut — pour l’instant et en principe — me prendre et contrôler. De même que l’excès de sommeil est un symptôme de dépression — on déconnecte et on s’évade par le rêve d’ailleurs souvent troublé —, de même l’imaginaire permet de se déconnecter du réel et de trouver du réconfort « en pensée ». C’est un peu la dernière chance de salut pour ceux qui se sentent souillés constamment par le réel : je le rejette et m’enferme à double tour dans mon esprit. Ce qui d’ailleurs ne m’empêche pas de communiquer avec les autres « victimes » conscientes par quelque trappe secrète et dérobée qu’ « Il » ne connaît pas.
« Le problème de ces nouvelles figures de
l’idiotie, c’est qu’elles ne sont même pas drôles. J’entends déjà les
commentateurs du Point.fr me dire : "M’enfin, Nathalie, pourquoi vous
passez du temps à regarder ces trucs débiles ?" Le fait est qu’il
devient de plus en plus difficile de les éviter. »
Le « moule des parents » n’est plus que l’ombre de ce qu’il était. Je crois que c’est Aaron Russo qui expliquait fort justement — que ses « délires » rockefelleriens soient ou non véridiques — que l’émancipation des femmes (faire travailler plus pour exploiter plus) avait eu pour effet secondaire — ou primaire d’après lui — d’extraire les gosses du moule familial-parental pour les remettre dès le plus jeune = « premier » âge entre les mains du système scolaire et péri-scolaire. Ceci ayant pour conséquence de réduire leur culture au sens de « construction personnelle » à ce que le moule systémique juge souhaitable et — ce faisant — d’éliminer les divergences de points de vue permises dans une société éclatée (divisée en « familles ») pour mieux former les esprits à l’idée du « one world, one ideology ».
Je ne pense pas non plus que l’âge soit un vecteur de changement de paradigme, celui pour qui tout se passe « comme prévu » n’ayant que peu de chances de douter, s’interroger, remettre en cause. Le moule se fissure quand le système échoue càd à l’échelle d’un individu : le chômage, la précarité, la souffrance liée au manque de repères valides etc. — la plupart des « éveillés » que je connais ont tous connu la galère et ont dû se perdre pour mieux se retrouver.
Je suis plutôt d’accord avec le reste du commentaire, ceci pour l’étayer et sans vous offenser :)
Merci pour ce très bel article qui explique comment cette (anti- ?)
héroïne fascine même ceux qui la perçoivent comme l’Ennemi en quelque
sorte. Elle symbolise en effet l’ensemble des contradictions dans
lesquelles nous sommes pris qu’on le veuille ou non. Les dés sont jetés
et je demeure assez pessimiste... mais pour illustrer votre idée
d’évasion « par le haut », il y a cette citation que j’aime beaucoup et
qui dit : « L’homme avisé suit sa propre direction. »
L’imaginaire est le seul espoir de salut qu’il reste à ceux d’entre nous qui vous comprendront.