Discrimination et homophobie
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Groupe action Gay et Lesbien du Loiret
Deux animateurs bénévoles viennent dans la classe de troisième pour évoquer ces deux sujets délicats. Les premières questions restent sans réponse, les élèves qui étaient si bruyants l'heure précédente, sont totalement muets. Bien vite, deux de nos derniers lascars se font remarquer. Les élèves ont à remplir une feuille anonyme, ils doivent s'exprimer en quelques lignes, évoquer pour eux ce que représente l'homosexualité.
Un tableau à remplir permet de s'exprimer par quelques croix. C'est une manière distanciée de poser la réflexion. Le silence demeure lourd et pesant durant le passage à l'écrit. Un petit film est alors projeté aux élèves. Quelques rires discrets, une attention soutenue pour ces scènes du jeu de la séduction chez les adolescents. Deux garçons s'embrassent à l'écran, une petite réaction se fait entendre.
L'animateur interroge les jeunes sur les scènes aperçues. La parole se libère, quelques garçons interviennent, une seule fille ose une réponse pour l'instant. Il s'agit de définir des comportements, la fiction permet sans doute d'accepter ou bien de réfléchir à ce qui ne saurait être admis vraisemblablement dans le groupe.
Un second film, dans un quartier cette fois. Des acteurs de la diversité, une langue de la zone et pourtant la même problématique qu'il faut taire. Deux garçons : Arthur et Omar le caïd se retrouvent dans une cave, échangent des poèmes. L'un d'eux dit la douleur des insultes, sa rage de ne pouvoir être lui-même. Ils s'embrassent et sont vus. Le masque tombe, le poids de la cité contraint Omar au départ.
Aucune intervention durant la projection. Cette fois, c'est vraiment pesant. L'inacceptable est clair ; l'homosexualité ce n'est pas pour les quartiers. Les valeurs sont claires, on ne peut être chef quand on est homosexuel. C'est in-envisageable pour nos lascars. « La Honte pour la France ! » ajoute même un garçon quand l'autre dit « Mon père m'aurait tué ! ».
Les deux bouffons ont pris la parole, ils font glisser le débat, il faut que tout tourne autour de leur si importante personne. L'animateur tombe dans le piège. « Z » répond encore tout en provoquant discrètement sa voisine. Les apartés surviennent, un autre joue avec sa trousse. Cela fait une heure, c'est sans doute trop pour rester attentif.
Curieusement, toutes les idées reçues sont gentiment déclarées par l'un des deux. Ce n'est pas de la provocation, il est sincère, franchement naïf. L'intervention est devenue un échange triangulaire. Tous les autres sont silencieux ou occupés à autre chose dans un vrai calme d'indifférence ou de gêne. Je ne parviens pas à savoir si le sujet les préoccupe.
Enfin un autre élève intervient. « Z » immédiatement lâche une blague pour reprendre la main, rester le maître du jeu. Mes collègues doivent intervenir pour calmer quelques jeunes. Une jeune fille plus à l'aise dans le langage excrémentiel se donne enfin la peine d'intervenir. C'est l'occasion de rires et de remarques.
Subrepticement « Z » insulte ses camarades filles. Il continue à occuper la parole pour perturber, il s'agite, se tient mal quand son acolyte est vraiment attentif au sujet. L'animateur cherche à centrer son intervention sur la gravité des insultes homophobes pour ceux qui en sont victimes. Il y a quelques acquiescements discrets, des signes de tête. Pourtant, rien ne se débride vraiment. Cette séance est pesante car elle se focalise sur quelques élèves qui phagocytent l'intervention de manière discrète.
L'animateur ne cesse de parler, il meuble leur silence. Il est sans cesse dans le commentaire. Heureusement, son collègue permet à une jeune fille d'intervenir. C'est trop bref, le monologue reprend. Huit élèves n'ont jamais rien dit. Que peuvent-ils retenir ? Qu'entendent-ils vraiment ? Je m'interroge également : comment aborder de tels sujets dans le contexte de la classe ?
L'animateur cherche à tenir son programme. Quand l'horloge est la maîtresse du temps, il n'y a pas de place à la spontanéité. Enfin, il ouvre la porte à l'expression en donnant un papier pour que chacun puisse poser une question. Un garçon chiffonne son papier, d'autres se regroupent. Des élèves n'écrivent rien, non pas par incapacité mais par totale indifférence. Par bêtise ou par pudeur ? J'aimerais que ce soit la seconde hypothèse … D'autres jouent le jeu, heureusement.
Les questions ? Les rires fusent, les interventions parasites également. C'est un signe !
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Êtes-vous homo ?
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Comment on sait qu'on est homo ?
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Comment peut-on tomber amoureux d'une personne du même sexe ?
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Pourquoi insulte-t-on les personnes différentes ?
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Pourquoi se suicider si on accepte son orientation sexuelle ?
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Si je réponds à l'insulte par la violence, est-ce que je peux être puni ?
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Comment feront-ils plus tard des enfants ?
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Que va-t-il se passer si tout le monde devient homo ?
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Sur un des papiers, de manière anonyme un pauvre garçon intolérant et stupide pour lequel je n'ai aucun doute, a écrit : « Les PD méritent de mourir ! » Il se trahit clairement à la lecture de ce maudit jugement. Un autre a déclaré : « Les homos c'est une honte ! ». Il reste discret. La lecture des questions et leurs réponses n'ont donné lieu à aucune réaction. La classe est restée atone.
Nous terminons par l'inévitable fiche d'auto-évaluation. Mes deux lascars reprennent la parole, ils occupent l'espace, ils ont parfois des remarques pertinentes, d'autres fois, ils jouent. L'animateur est encore dans le lien avec eux deux. Il oublie ceux qui ne disent rien, tous les autres. Heureusement, une jeune fille pose une question pour casser ce dialogue que je trouve inutile car faux pour ces deux garçons qui jouent à faire semblant.
L'animateur entre alors dans l'anecdote personnelle. Il donne un peu plus d'âme à son intervention. Il touche quelques cœurs. Il est resté trop technique à mon goût jusqu'alors. Mais une fois encore, l'échange se réalise avec les mêmes. Ils ont réussi leur coup. Les autres furent exclus ou se sont exclus de cette séance. En ont-ils retenu quelque chose ?
J'étais réticent à cette intervention car je ne l'avais nullement sollicitée. Au bout du compte, elle fut nécessaire mais a-t-elle été utile ? C'est toujours la question dans une classe où se jouent aussi des rapports de force, des représentations et des comportements à tenir. C'est bien compliqué tout ça et le groupe ne permet sans doute pas de libérer une parole intime.
Observateurement vôtre
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