HADOPI : Désinformations en règle
C’est votre feuilleton de l’été, la loi HADOPI faisait son retour devant les sénateurs ce mardi soir.
Alors même que le vote négatif de l’Assemblée et la censure successive des « sages » du Conseil Constitutionnel n’effraie plus notre cher Président, il convient (enfin) de faire la lumière sur le contenu intrinsèquement tronqué du projet de loi HADOPI.Allègrement repris (qui a dit copié/collé ?) par tous les médias, la nouvelle lubie du gouvernement vise, je cite, à « dissuader le téléchargement illicite »(1). C’est là qu’est toute l’astuce, mais surtout le trompe-l’oeil gobé de toutes pièces par la presse, qui se révèle peut-être tout aussi déconnectée des réalités que nos élus grisonnants. En effet, en lieu et place de sanctionner effectivement le téléchargement illégal, HADOPI s’attaque en réalité au peer-to-peer (généralement abrégé en P2P). Ce système informatique de partage de fichier a été créé à l’origine en 1999 par un étudiant américain de l’Université de Boston : Shawn Fanning. Préoccupé par la possibilité d’échanger rapidement via internet des fichiers avec ses camarades de promotion, il va mettre au point le logiciel Napster en juin. Ce dernier sera très rapidement détourné de son usage au profit d’un partage de musique sous forme de MP3s, un format plutôt léger qui allège les durées de transfert, au vu de la bande passante de l’époque.
Petit à petit, la technologie aidant, le P2P se développe rapidement : alors que Napster est attaqué par les plus grandes majors, les clones du logiciel se multiplient et font évoluer le partage. Là où Napster centralise les données sur un serveur global auquel accèdent tous les internautes, ses successeurs comme Gnutella, Emule ou encore Kazaa transforment chaque ordinateur en simili-serveur, tant et si bien que ce sont tous les internautes possédant un même fichier qui le transfèrent simultanément. De nos jours les flux échangés sont sans commune mesure avec les volumes du début de cette décennie, mais le principe demeure dans l’esprit le même.
Mais revenons-en à nos moutons, ce bref rappel historique n’était pas que pour la forme, il permet d’identifier ce que sanctionne réellement la loi HADOPI : le P2P, qui jamais ne saurait se cantonner au seul téléchargement illégal. Le P2P est en effet un moyen tout à fait légal de partager des données sur le web, c’est bien son utilisation détournée qui en fait un outil de piratage. Ainsi, sous prétexte d’un mésusage, le gouvernement français va assimiler l’utilisation d’un de ces logiciels à du vol pur et simple.
Non, non, je ne fais pas preuve de démagogie, le P2P est de plus en plus utilisé à des fins tout à fait légales. Un exemple ? Blizzard (2) distribue désormais les nouveaux contenus et corrections (patchs) pour le célèbre World of Warcraft via les réseaux P2P. Mine de rien, cette mesure concerne pour ce seul titre plus de dix millions de joueurs sur la planète. Ca à l’air tout bête comme ça, mais j’imagine d’ici l’ô combien ubuesque situation du jeune gamer qui pourrait donc se retrouver devant un tribunal pour avoir eu le malheur d’acheter une version dématérialisée de son MMORPG favori, alors que dans le même temps le gouvernement jure à qui veut encore bien l’entendre que la loi HADOPI vise également à promouvoir « les plates-formes de téléchargement légal ».
Cette contradiction est loin d’être la seule, et elle ne tient surtout pas compte de la réalité actuelle de l’offre disponible sur le marché. Certes, nous connaissons déjà tous la plate-forme de distribution iTunes Music Store lancée en 2003 par Apple, exemple type de réussite en matière de dématérialisation (qui n’est d’ailleurs quasiment jamais citée par ces mêmes médias qui condament sans vergogne les vilains internautes). Loin d’être exhaustif, iTunes fait néanmoins preuve d’un éclectisme certain en termes de choix, ce qui n’est absolument pas le cas des films ou des séries télévisées. Malgré la multiplication récente des sites consacrés à la VOD (Video On Demand), on ne peut qu’être profondément désolé de la pauvreté de l’offre proposée : des séries uniquement diffusées sur les chaînes hertziennes, et pire que tout, uniquement disponibles en version française... Une situation qui nous place loin, très loin des Etats-Unis, où toutes les grandes chaînes proposent via leur site internet un florilège incroyable de catch-up TV (3). même la très conservatrice FOX met en ligne chaque nouvel épisode de sa série phare The Simpsons seulement quelques jours après sa diffusion.
On nous pousse bien timidement à changer de mode de consommation sans assurer le contenu nécessaire pour effectuer cette transition. En opérant de tels raccourcis et de méconnaissances techniques, le gouvernement prouve bien malgré lui son incapacité à ouvrir les yeux sur un aspect pratique de la modernité. En diabolisant l’internaute (et même internet (4)), il creuse et exacerbe également un fossé déjà constitué entre les générations. Le plus grave, c’est que ce discours malheureusement tronqué est intégré et unanimement repris par tous les grands médias, presse, télévision, mais aussi internet.
(1) Le texte original du projet de loi Olivennes est disponible à l’adresse suivante : http://www.laquadrature.net/files/projet-de-loi-olivennes-version-pre-conseil-etat.pdf
(2) Qui n’est autre que le premier éditeur de jeu vidéo au monde, excusez du peu.
(3) Au hasard : NBC, CBS, CNN...
(4) Confère le spot idéologiquement très partisant du Ministère de la Famille sur le contrôle parental.
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