L’inconfort du poète, Jean Ferrat
Quand il
est mort, le poète
par Gilbert Bécaud
Quand il est mort, le poète,
Tous ses amis,
Tous ses amis pleuraient.
Quand il est mort le poète,
Le monde entier,
Le monde entier pleurait.
On enterra son étoile,
Dans un grand champ,
Dans un grand champ de blé.
Et c’est pour ça que l’on trouve,
Dans ce grand champ,
Dans ce grand champ, des bleuets.
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Les poètes naissent aussi quelque part, mais pas n’importe où.
26 décembre1930, Jean Ferrat né à Vaucresson
Vaucresson dans le pays de France, Vaucresson, la contraction de val, vallée pour une plante aquatique qui pousse en eau fraiche, vivante, pure et limpide, Vaucresson, un ilot de verdure en en Ile-de-France, un espace boisé classé, en pays de France.
Entre Paris et Saint-nom-la-Bretèche, des mots jolis, une sonorité chevaleresque pour une croisade imaginaire et pieuse. L’intercommunalité nous parle même de l’agglomération du Coeur de Seine, Jean est né au coeur de la Seine.
Oui mais dans l’arrondissement de Boulogne-Billancourt, la régie Renault, les luttes ouvrières, un certain moment de l’histoire brillante, revendicatrice et sanglante de la France et de son industrie automobile.
Oui mais dans le canton de Chaville, Chaville, souvenez vous ? La chanson de Pierre Destailles dans les années 50...
Tout ça parc’ qu’au bois d’Chaville
Ce jour-là au Bois d’Chaville y avait du muguet
Si ma mémoire est docile c’était au mois d’mai
Au mois d’mai dit le proverbe fais ce qu’il te plaît
On s’est allongés sur l’herbe et c’est c’qu’on a fait...
Quand je songe aux conséquences de ce jour charmant
Je me sens rempli d’avance d’un très grand tourment
Car par ma faute il va naître un pauvre ingénu
Qui va forcément connaître
Tout c’que j’ai connu...
... Voilà mon cher petit homme
Tout ce qui t’attend
Parc’ que j’ai croqué la pomme
Un jour de printemps.
C’est peut-être une folie
Mais si tu voyais
Comm’ ta maman est jolie
Tu me pardonn’rais
D’avoir été à Chaville
Cueillir du muguet.
Les poètes naissent aussi quelque part, mais pas n’importe où et pas n’importe comment.
Jean Ferrat, né Tenenbaum, venu d’ailleurs, venu de loin, du pays des étoiles, des étoiles dans le coeur et plein la tête pour une star dans le berceau, mais une étoile de la honte imposé par la folie des hommes un jour obligatoire, et le départ de son papa en déportation qu’il ne reverra pas.
Oui mais il nait poète, son papa et joailler, il travaille le métal le plus rare, le métal précieux couleur de lumière, lumière de soleil pour un destin solaire, sa maman est fleuriste, le langage des fleurs, celui de l’amour. De cette union est née l’alchimiste, le poète. Dans un parterre de femmes il grandira.
Les étoiles rencontrent les étoiles, et ce fut Aragon, une étoile de première grandeur qui croisa sa course..
Les Yeux d’Elsa
Tes yeux sont si profonds qu’en me penchant pour boire
J’ai vu tous les soleils y venir se mirer
S’y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j’y perds la mémoire
En 1959, Jean rencontre Gérard Meys, qui deviendra son meilleur ami, et qui lui permet d’enregistrer en 1960, son premier quatre titres, son premier succès personnel.
Ma môme
Ma môme, ell’ joue pas les starlettes
Ell’ met pas des lunettes
De soleil
Ell’ pos’ pas pour les magazines
Ell’ travaille en usine
A Créteil
Dans une banlieue surpeuplée
On habite un meublé
Elle et moi
La fenêtre n’a qu’un carreau
Qui donne sur l’entrepôt
Et les toits
C’est beau comm’ du Verlaine
On dirait
On regarde tomber le jour
Et puis on fait l’amour
En secret
De concerts en albums, Jean Ferrat obtient un succès grandissant, jusqu’au troisième album Nuit et brouillard, dont le thème principal est la déportation, qui marque les esprits et fait de Ferrat un artiste à part.
Nuit et brouillard
Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent
Ils se croyaient des hommes, n’étaient plus que des nombres
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés
Dès que la main retombe il ne reste qu’une ombre
Ils ne devaient jamais plus revoir un été....
Deux chansons apporteront la consécration à Jean Ferrat, "la Montagne "1964 et "Potemkine" 1965,
La montagne
Album : Jean Ferrat - Vol.1 (1999)
Ils quittent un à un le paysPour s’en aller gagner leur vie
Loin de la terre où ils sont nés
Depuis longtemps ils en rêvaient
De la ville et de ses secrets
Du formica et du ciné
Les vieux ça n’était pas original
Quand ils s’essuyaient machinal
D’un revers de manche les lèvres
Mais ils savaient tous à propos
Tuer la caille ou le perdreau
Et manger la tomme de chèvre
Pourtant que la montagne est belle
Comment peut-on s’imaginer
En voyant un vol d’hirondelles
Que l’automne vient d’arriver ?...
Potemkine
Album : Jean Ferrat - Vol. 2 (1999)
M’en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un mondeQui chante au fond de moi au bruit de l’océan
M’en voudrez-vous beaucoup si la révolte gronde
Dans ce nom que je dis au vent des quatre vents
Ma mémoire chante en sourdine
Potemkine
Ils étaient des marins durs à la discipline
Ils étaient des marins, ils étaient des guerriers
Et le cœur d’un marin au grand vent se burine
Ils étaient des marins sur un grand cuirassé...
Je croyais à tort que sa célèbre moustache était gauloise, que nenni ...zapatiste des chiapas !
Le visionnaire dans le train des bouleversements et métamorphoses de Mai 68, l’Europe de l’est dans ses tourments humains déshumanisant, et la censure qui n’en finit pas de censurer. Il n’y prend pas garde le chevalier moderne au coeur pur mais la censure sournoisement pousse au retrait et le retrait à l’oubli...et les français de brailler maintenant que Jean a fait le choix de s’exiler dans le monde des justes.
Comme un guérilléros il affronta la bête montante qui sévit aujourd’hui, mais comme un poète il n’avait que les épines de la rose et sa plume "vengeresse" pour égratigner le monde. Ceux qui sourient crèveront de bêtise.
Sa gloire est désormais internationale mais je me sens infiniment triste maintenant.
Heureusement, dans la magie des mots et du verbe les étoiles se rencontrent toujours et encore, la comète Aragon réapparait dans son ciel dans les années 70.
Aimer à perdre la raison by Jean Ferrat Aimer à perdre la raison
Aimer à n’en savoir que dire
A n’avoir que toi d’horizon
Et ne connaître de saisons
Que par la douleur du partir
Aimer à perdre la raison
Ah c’est toujours toi que l’on blesse
C’est toujours ton miroir brisé
Mon pauvre bonheur, ma faiblesse
Toi qu’on insulte et qu’on délaisse
Dans toute chair martyrisée...
Son potentiel et l’étendue de son travail porteront les fruits de la notoriété...jusqu’au moment où...la disparition de son épouse en novembre 81 le plongera dans un grand désarroi et une solitude déjà coutumière.
Plus tard, ses prises de position politiques franco-françaises et " rocambolesques " pour la majorité raisonnable dont je m’honore de ne pas être, son amitié pour José Bové, le chevalier médiéval du plateau du Larzac, le berger des temps modernes qui piste ses brebis dans les macdos de l’oncle Sam. Un brave homme comme lui qui a l’obsession des O.G.M. et se répand en vaines jacqueries dans le paysage politique français.
Même dans le tumulte anglo-saxon des musiques afro-américaines qui ne déméritent pas, mais envahissent le continent européen en faisant bouger les lignes et entamer la fidélité aux princes de notre enfance, il contemple sereinement la galaxie du trio intemporel...ils étaient trois mousquetaires, Brassens, Brel et Ferré. il se nommait d’Artagnan, Jean pour les humbles et pour tous les autres. Les aventuriers de la paix, les modèles culturels pour un siècle et peut-être plusieurs siècles d’humanité, chacun avec sa différence.
Jean Ferrat est peut-être un des seuls poètes à chanter la France avec une force d’aimer et le désir de vivre.
Sa voix résonne en chacun de nous et même à notre insu, comme une fête, celle de l’humanité.
Je garde à l’esprit le souvenir d’un passage de lui derrière l’objectif photographique indiscret. Son beau visage portait le poids des ans. Son regard d’effroi et de souffrance parlait de la fin du chemin. Ses yeux mélancoliques et terrifiés à la vue d’une perspective sans perspective...peut-être un monde perdu.
L’inconfort du poète, c’est la clairvoyance du visionnaire.
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