Patrimoine architectural : un petit exemple de maltraitance
Les 36e journées européennes du patrimoine ont eu lieu ce week-end. L’occasion de nous enthousiasmer pour nos monuments, mais aussi d’alerter sur les maltraitances dont ils font l’objet. En voici un exemple, modeste mais significatif.
Les vacances d’été offrent l’occasion de parcourir notre pays, d’y découvrir ses merveilles naturelles et architecturales et, malheureusement, d’y constater parfois les dégradations subies par les unes comme par les autres. Dans le cas des monuments, c’est d’autant plus rageant lorsque le temps écoulé, les éléments ou le manque d’argent n’y sont pour rien. C’est ce qu’illustre ce petit exemple, trouvé à Cahors, la préfecture et principale ville du Lot.
Tout aurait pourtant pu bien se passer. En 2016 et 2017, le bailleur social Lot habitat, gestionnaire de quelques 4 100 logements sur une centaine de communes, acquiert un immeuble vacant, rue de la Barre, auprès d’un propriétaire privé et de la communauté d’agglomération, dans l’objectif de le réhabiliter et de proposer à la location six logements.
Les futurs occupants de la résidence « Lucterius » (du nom d’un chef Gaulois) ont de quoi se réjouir. Avec ses deux étages seulement, le bâtiment est à taille humaine. Construit en 1833, à une époque où, sans le dire, l’on faisait dans le durable, il porte beau. Et juste en face, dominant la rivière, se dressent deux monuments historiques, la tour Saint-Jean, édifiée au XIVe siècle, et la Barbacane, un corps de garde du XVIe siècle.
Pour mener à bien la rénovation du bâtiment, Lot habitat réuni un budget de 680 000 €, dont 20 % de subventions de l’État, de la région Occitanie, du Grand Cahors et de la ville de Cahors. Pour ces collectivités, il ne s’agit pas seulement d’aider le logement social mais également de protéger les parties anciennes de la ville : un « dispositif exceptionnel » permet ainsi d’obtenir jusqu’à 50 % d’aides publiques pour la rénovation des façades.
À l’été 2019, les travaux touchant à leur fin, il est possible de juger du résultat. Le crépi a été refait, les pierres apparentes nettoyées, les volets repeints et de très inesthétiques câbles électriques et tuyaux d’évacuation des eaux supprimés. C’est bien. Au dernier étage, deux fenêtres ont été obstruées, privant peut-être des pièces d’un peu de lumière. Vu de l’extérieur, peu importe. Mais au rez-de-chaussée, c’est un crime qui a été commis : la porte à double ventail, surmontée d’une imposte cintrée, vitrée, en éventail, a disparu. La baie de porte en arc a été comblée par des parpaings, ne laissant d’ouverture que pour une commune porte rectangulaire à simple battant. À gauche de celle-ci, une entrée fermée jusqu’alors par un (très laid) volet roulant métallique a laissé place à une petite fenêtre. Sur l’autre façade que possède le bâtiment, rue René Villars, c’est également une fenêtre qui a remplacé la porte traditionnelle…
Pourquoi s’offusquer, alors que ces entrées occupent si peu de place en façade ? Parce que ces portes, avec leur heurtoir ou leur poignée de tirage, avec les arcs en plein cintre qui accueillent toutes les ouvertures du rez-de-chaussée, sont (ou étaient) le principal élément d’identité de ce bâtiment. Et ce sont ces ensembles, répétés d’immeuble en immeuble, qui donnent son caractère à la rue de la Barre. Avec autant d’acteurs publics rassemblés, autant de financements mobilisés, quelle déception de voir s’exprimer une telle médiocrité architecturale !
Pour être juste, il faut dire que nombre d’immeubles de cette rue et d’autres rues de cette ville ont vu leurs accès ainsi transformés. L’explication tient à la mutation de locaux anciennement artisanaux, commerciaux voire industriels en logements. Mais ce que l’on peut attendre, aujourd’hui, d’intervenants qui prétendent défendre notre patrimoine, c’est de ne pas perpétuer ces mêmes dégradations.
Un maître d’ouvrage plus inspiré que Lot habitat (qui se propose, dans un slogan pour le moins maladroit, de « reconstruire la ville sur la ville ») aurait pu réhabiliter ce bâtiment avec l’objectif non seulement de lui redonner son lustre, mais aussi de redynamiser une rue commercialement à demi-morte, s’il l’on en juge par le nombre de locaux vacants. Première idée : dédier le rez-de-chaussée à des espaces artisanaux ou commerciaux, proposés à des tarifs très bas afin d’encourager l’installation de professionnels, éventuellement débutants. La « mixité sociale », graal des aménageurs publics, passe également par la mixité d’activité. Seconde idée : offrir à ces ateliers et boutiques de grandes vitrines, en rouvrant toutes les baies hormis, bien sûr, celles accueillant nos fameuses portes. Rien de bien compliqué, ni de coûteux pour nous montrer dignes du patrimoine que nous ont légué nos prédécesseurs.
- Les immeubles mitoyens des 8 et 30, rue de la Barre, à Cahors, ont été construits sur le même modèle, en 1833. Au 30, demeure la porte d’origine. Au 8, le bailleur social Lot habitat a fait partiellement murer la baie de porte et poser une porte ordinaire à un battant, ôtant au bâtiment une grande part de son identité (photos de l’auteur).
- La façade du bâtiment située au 8, rue de la Barre, en 2016, au moment du rachat de l’immeuble par Lot habitat. L’un des arcs en plein cintre accueille une porte en bois d’origine, un autre un volet roulant métallique (photo : Google Street View, août 2016).
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