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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Retour sur le déclin de l’empire américain (Denys Arcand, (...)

Retour sur le déclin de l’empire américain (Denys Arcand, 1986)

Le déclin de l’Empire américain… Avant même de voir le film de Denys Arcand, on songe spontanément aux ouvrages de Montesquieu ou de Gibbon, homme des Lumières convaincu que le christianisme était responsable de la chute de l’empire romain ; aux discours de Rousseau privilégiant le goût du luxe, l’oisiveté et la dégénérescence des élites pour expliquer ce déclin puis faisant l’éloge d’une éducation militaire à la spartiate… Viennent aussi à l’esprit les fulminations de Bonald contre la Révolution française qui aurait plongé la France monarchiste et catholique dans un abîme sans fond ; les vagues idées de Gobineau à propos du mélange des races, selon lui directement à l’origine de notre déliquescence ; ou beaucoup plus récemment le pamphlet de Nicolas Baverez, la France qui tombe, qui en théorisant sur le déclin de la France, participait incidemment à la campagne du président actuel.

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Remarquons pour commencer, le succès considérable du film, preuve qu’il se faisait l’écho d’une préoccupation largement partagée. A sa sortie, en 1986, ce sentiment du déclin se répandait effectivement un peu partout et depuis plusieurs années déjà, dans les publications, la presse, y compris chez les meilleurs éditorialistes, etc. Tant et si bien que dès 1983, Raymond Aron concluait ses Mémoires par des phrases d’un pessimisme que l’on peut juger a posteriori exagéré, mais probablement lié à son âge ou à la maladie (ce qu’il nomme pudiquement son « sursis » depuis 1977). S’agissant de l’Europe, il écrivait : « je ne découvre guère de raisons d’optimisme quand je regarde devant moi. Les Européens sont en train de se suicider par dénatalité. Les peuples dont les générations ne se reproduisent pas sont condamnés au vieillissement et, du même coup, guettés par un état d’esprit d’abdications. » Le jugement sur les Etats-Unis n’était pas moins sévère : « [ils] ont perdu la supériorité militaire. L’Union soviétique accumule les armes, d’abord pour intimider, pour intervenir aussi dès qu’une occasion se présente (…). Le pays n’est plus assez riche pour financer tout à fois la législation sociale et le réarmement. Il garde encore la prééminence scientifique, un appareil de production sans égal, mais il est devenu imprévisible pour ses ennemis et pour ses alliés ». Les historiens n’étaient pas en reste, puisque Paul Kennedy, professeur à Yale, publiera un livre en 1988 (traduit l’année suivante en France et préfacé par l’actuel secrétaire aux affaires européennes, Pierre Lellouche) précisément sur le déclin des grandes puissances et en particulier celui de son propre pays.

A voir le film de Denys Arcand, on découvre en apparence, la plupart des signes de ce déclin. D’abord dans la situation de départ : quatre hommes, plutôt intellectuels (deux professeurs d’histoire à l’université, Rémy et Pierre ; un étudiant ; puis un spécialiste de l’histoire de l’art) préparent jovialement le repas, alors que les femmes de leur côté, sont occupées à nager, courir ou soulever des altères. L’hédonisme, le mensonge et le sexe sont dans tous les échanges. Le thème de la dénatalité est aussi suggéré : Pierre n’a pas d’enfant et n’en désire pas ; Dominique vit seule depuis toujours ; si Rémy, Louise ou Diane parlent en revanche souvent de leurs enfants, on ne les voit guère à l’écran et de l’avis de Pierre, leur éducation est un « désastre »… Enfin, un dernier élément : la présence de la mort à travers la maladie (le sida ?) et la menace constante d’une guerre nucléaire. Un des personnages non seulement parle explicitement de l’idée de déclin mais a rédigé tout un livre sur le sujet : c’est Dominique. Sa thèse est de montrer que la mort des civilisations correspond aussi à une aspiration pour le bonheur individuel. Dès lors le comportement des personnages semble directement illustrer cette idée. Interviewée par son amie Diane, elle énumère les facteurs de ce déclin américain dont le Canada subirait les effets à la marge : le mépris des institutions, le refus des hommes de servir dans l’armée, la dette nationale incontrôlable, la diminution constante des heures de travail, l’envahissement des fonctionnaires, la dégénérescence des élites, et surtout l’absence de modèle de société après l’écroulement du rêve marxiste-léniniste.

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On peut assez aisément discuter ce constat, nous qui connaissons la suite de l’Histoire : trois ans plus tard, la chute du mur de Berlin ; la disparition de l’URSS ; le statut d’hyperpuissance des Etats-Unis ; l’excédent budgétaire sous l’ère Clinton ; la population américaine en constante augmentation (grâce à l’immigration), sont autant de signes qui démentent l’opinion des cassandres. De même les historiens rechignent aujourd’hui à employer le concept de déclin, lui préférant celui de mutation (ou bien de crise, de changement ou de transformation) dans la mesure où la disparition d’un régime politique (avec celle du dernier empereur romain) ne signifie pas pour autant la mort d’une civilisation (l’idée d’empire, la langue, la culture, l’art, le droit, continuent longtemps de lui survivre). Est-ce à dire que Denys Arcand se trompe entièrement, à la fois sur le mot et le constat ? Rien n’est moins sûr en réalité, car un dialogue final montre probablement le fond de sa pensée. En effet, Louise ose à la fin de la journée, récuser la thèse de Dominique devant tous les autres, affirmant qu’on pourrait défendre facilement l’idée inverse du progrès continu de la science et que son livre sur le déclin, n’est que le résultat de son humeur déprimée et mélancolique…

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En résumé, Arcand a probablement fait un film non pas sur le constat du déclin, mais sur l’impression ou le sentiment du déclin, tel qu’il est vécu notamment par les élites de l’époque. Louise dit de manière très lucide « qu’il est impossible de savoir dans quelle époque on vit ». C’est tellement vrai qu’on s’aperçoit souvent vingt ans après, à quel point on était heureux. Ce qui par contre est réellement saisissable, et structure ou envenime les rapports sociaux de plus en plus, c’est l’implacable guerre des sexes qui explose littéralement au dénouement. On a d’un côté des hommes plutôt grassouillets, satisfaits de leur statut, baisant régulièrement qui des étudiantes, qui des professionnelles ; et de l’autre des femmes véritablement actives, soucieuses à la fois d’élever des enfants, de s’épanouir sexuellement, de faire carrière, de soigner leur apparence physique par la fréquentation des salles de sport, etc. Rémy observe ce phénomène avec agacement : « les femmes, dit-il, prennent des cours tout le temps… ». Lorsque ces efforts faramineux sont finalement reconnus, persiste tout de même une certaine « condescendance », pour reprendre la formule de Dominique. C’est ainsi en tout cas, qu’elle explique le comportement des hommes à son égard : elle a en effet sacrifié sa vie familiale pour obtenir un poste de pouvoir (la direction du département d’Histoire), mais à la fin du film, elle fait remarquer à ses amis masculins (surtout Pierre et Rémy), qu’ils n’ont jamais en sa présence, donné le moindre avis sur son livre, alors que Louise ne s’est pas privée de le faire… On peut donc se demander si au fond, la guerre des sexes qui couvait durant la Guerre froide, n’est pas en train d’exploser simultanément avec la fin des grands récits et le sentiment du déclin ?

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Illustration : © Collection AlloCiné / www.collectionchristophel.fr


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28 réactions à cet article    


  • Daniel Roux Daniel Roux 26 septembre 2009 13:41

    Un empire qui se débat dans l’agonie à la suite de son suicide économique, celui qui a consisté sous l’idéal triomphant de l’ultra-libéralisme, a engager de grandes vagues de délocalisations vers les pays à bas coût au profit unique des riches actionnaires des multinationales.

    Le chômage de masse et l’appauvrissement des classes moyennes qui en découle sont les principales causes de cette décadence commencée en même temps que la prise de pouvoir par les méga entreprises militaro-industrielles-médiatiqes, dès l’engagement dans la guerre du Vietnam.

    Les soubresauts de ce grand corps en décomposition provoqueront encore quelques temps des dégâts dans le monde. Une nouvelle guerre coloniale va être engagée contre l’Iran.

    Les conséquences écologiques en seront catastrophiques mais ignorées.

    Le Marché se frotte les mains et salive devant les retombées économiques. Les méga entreprises américaines et européennes fourniront un camp, les méga entreprises russes et chinoises, l’autre camp. Cela ne va pas arranger le réchauffement planétaire, ni le gâchis de matières premières, ni la dette nationale, ni la crise financière et économique.

    Mêmes causes cachées que pour l’Irak, le pétrole et le dollars.
    Même stratégie, armes et bases secrètes à démanteler.
    Mêmes ennemis, les méchants islamistes.
    Même issue, la destruction d’une société, d’un pays, des infrastructures.
    Même conséquences, des attentats aveugles au milieu des populations.
    Mêmes vainqueurs, les méga société qui reconstruiront après.
    Mêmes victimes collatérales à venir, les centaines de milliers de civils iraniens.

    Hélas pour nous, nous allons être entraînés malgré nous dans une nouvelle guerre coloniale. Guerre engagée sans autorisation, au nom de la France, par un seul homme dont on connait l’agressivité excessive et le manque de maturité. Un homme élu parce qu’il avait promis de nous sortir d’Afghanistan et certainement pas pour déclarer une nouvelle guerre.


    • Equinox Equinox 26 septembre 2009 14:23

      Bonjour Daniel Roux,

      Beaucoup de sujets et de mots problématiques sont abordés dans votre réaction mais je voudrais surtout vous rassurer : je pense qu’il n’y aura pas de guerre en Iran pour plusieurs raisons :

      1. l’économiste Daniel Cohen a je crois, bien démontré le lien entre le déclenchement des guerres et les phases A de croissance économique. En résumé, on ne se lance dans une guerre coûteuse que lorsqu’on en a les moyens financiers. Par exemple la guerre en Irak n’a été possible que parce que les Etats-Unis jouissaient d’un excédent budgétaire issu des années Clinton.

      2. Aujourd’hui par contre, croyez-vous sincérement que les Etats-Unis aient les moyens financiers de mener une guerre dans un pays aussi vaste que l’Iran ? Ce serait à l’évidence un nouveau Vietnam pour les Américains qui pour le coup, les plongerait dans un irrémédiable déclin....

      3. Si on se place du point de vue américain : le discours de Barak Obama au Caire montre clairement qu’il est plutôt dans une optique de dialogue même si je vous l’accorde, les relations se sont tendues depuis... Obama du reste, était contre la guerre en Irak, et même s’il est favorable à un renforcement de la présence militaire en Afghanistan, je le vois mal provoquer une guerre en Iran. Serait-il même soutenu par les démocrates majoritaires au Congrès, et par l’opinion publique (aujourd’hui préoccupée davantage par l’emploi et la santé) ou la presse ? J’en doute...

      4. Du point de vue Iranien : non seulement l’équipe dirigeante actuel est divisée entre le président et l’Ayatholla Khameinei, mais issue d’un récent coup d’Etat, elle ne jouit pas, loin s’en faut, d’un soutien de la population. Tous les spécialistes le disent, les Iraniens ne sont pas antiaméricains, largement éduqués, ils aspirent à vivre autrement (dans la modernité et la démocratie). Les dirigeants le savent, une guerre contre les Etats-Unis ne serait pas soutenue par la rue Iranienne...


      • Daniel Roux Daniel Roux 26 septembre 2009 19:01

        J’espère me tromper.

        L’argument du cycle économique me paraît dépassé étant donné le niveau de délabrement des économies occidentales. Nous sommes dans une autre époque avec d’autres schémas de décisions.

        Cette guerre sera du type de celle menée par l’OTAN contre la Serbie. Pas de troupe au sol, uniquement des bombardements de destruction des centres de productions stratégiques, des infrastructures, des centrales énergétiques, les ports, aérodromes, matériels coûteux comme les avions, bâteaux et beaucoup de morts collatéraux.

        La désinformation médiatique est déjà bien avancée. Les mega entreprises militaro industrielles dominent l’occident et les états major ont très envie d’essayer leurs nouveaux jouets type drones tueurs et bombardeurs.


      • fouadraiden fouadraiden 26 septembre 2009 15:10


        Comprends pas ces pensées brumeuses sur le déclin des Européens et de l’Occident..

        quoique le pauvre Araon, on devine le désespoir qui fut le sien, lui qui venait d’éclore dans la civilisation française.

        il faudra bien un jour que l’humanité dépasse la civilisation occidentale si elle souhaite sauver l’ avenir de cette planète et nous avec.

         que perdra l’humanité dans la disparition de l’ hégémonie occidentale ? qu’a-t-elle perdu avec la disparition de l’empire britannique et français ? rien absolument rien.mieux, l’histoire aura libéré les français et les britanniques de leur fascisme.

         Reste la domination étasunienne bien sûr , mais plus vite les États-Unis auront échappé démographiquement des mains des blancs occidentaux et mieux ce sera.


        Bien des civilisations ont disparu , pour le plus gd bonheurs des hommes.


        • Equinox Equinox 26 septembre 2009 16:08

          Bonjour fouadraiden,

          avant de vous répondre directement, je voudrais revenir sur le concept de « guerre coloniale » utilisé par Daniel Roux. S’agissant des Etats-Unis, les guerres coloniales appartiennent au passé (je pense par exemple à la conquête des territoires du Mexique, ...). Il faut comprendre que la nation américaine est née en se libérant du colonisateur britannique en 1776 par la célèbre déclaration d’indépendance, et surtout par la guerre de libération gagnée en 1783. Depuis elle rechigne à mener ce type de guerre. Globalement d’ailleurs, je pense que les guerres coloniales sont anachroniques ; on voit bien que depuis la deuxième moitié du XXe siècle, le mouvement historique est à une longue décolonisation : d’abord les empires européens (britanniques, français, portugais, etc.) ; l’empire soviétique (même si aujourd’hui il y a un désir de recoloniser la Géorgie, voir l’Ukraine) ; et l’empire chinois (qui résistera tant que la croissance économique sera forte...)

          * Dans ce texte sur le déclin, je voulais surtout souligner le fait que tout est affaire de perception : il suffit sans doute que le sentiment de déclin soit largement partagé dans la population pour que nous basculions effectivement dans le vrai déclin. C’est probablement un des messages du film de Denys Arcand dont je souhaitais parler, car je considère qu’on ne lui consacre pas assez d’analyses sur le net (« les Invasions barbare » ou « Jésus de Montréal » mériteraient qu’on s’y attarde...)

          * La réunion du G20 est un signe que nous sortons comme vous le dîtes de l’hégémonie occidentale avec la prise en compte désormais, des pays émergents ; mais attention : souhaiter la disparition de la civilisation occidentale, c’est enterrer la démocratie car l’espace ayant horreur du vide, un autre empire moins soucieux des droits de l’homme pourrait lui succéder (la Chine par exemple, dominée par un parti unique...)

          * Votre dernier argument me paraît plus ou moins raciste (contre les blancs occidentaux américains), je ne fais donc pas de commentaire là-dessus.


          • fouadraiden fouadraiden 26 septembre 2009 16:20

            vs n’êtes pas s’en savoir que « la race » est constitutive de la société américaine. j’y suis pour rien croyez-moi.


          • fouadraiden fouadraiden 26 septembre 2009 16:24

            merde,désolé, sans savoir bien sûr.


          • Georges Yang 26 septembre 2009 16:20

            Ce que j’ai surtout retenu du film de Denys Arcand, c’est avant tout la dévirilisation de la société québécoise. Le rôle de plus en plus restreint et insignifiant de l’homme face à un militantisme féministe exacerbé. Je n’ai jamais vécu au Québec, mais longtemps travaillé au contact de Canadiens francophones au Zaïre de 1978 à 1995. Et d’avoir constaté une main mise sociale, familiale et culturelle des femmes sur les hommes avec en parallèle , la déchristianisation et un sésir de consommation baba-cool.
            Au Québec, on utilisait l’expression Homme -Bourdon, et même Bumble-bee, et oui, ils osent l’anglicisme, pour qualifier les mâles considéré uniquement pour leur capacité de reproducteur en dehors de toute autre intérêt.
            Je me souviens du cas de coopérantes laissant le mari garder les enfants pendant qu’elles allaient voir leur amant.
            Je pense cependant que les excès des années 80 et 90 ont actuellement tendance à s’estomper. On retrouve les mêmes personnages dans le film, Les invasions barbares, du même auteur, mais ils sont moins radicaux et plus désabusés ; Question d’âge et d’époque.


            • Equinox Equinox 26 septembre 2009 16:30

              Croyez-vous sincèrement fouad, qu’une société américaine dominée par exemple, par des latinos serait plus pacifique ?


              • fouadraiden fouadraiden 27 septembre 2009 14:55

                impossible de répondre à ça. l’avenir seul ns le dira et on verra dans 30 , 40 ans comment les américains occidentaux réagiront à la minoration que leur prédit les démographes .


                on verra alors si les principes politiques enseignés et recommandés par les démocraties occidentales d’aujourd’hui seront tjrs d’actualité . Car une majorité se sachant plus ou moins condamnée par une autre est tt à fait capable de changer les règles du jeu en chemin....

                A suivre donc...


              • Equinox Equinox 26 septembre 2009 16:43

                Bonjour George Yang,

                merci pour ce témoignage ; je désespérais pour tout vous dire, de rencontrer quelqu’un qui me donne tout simplement son avis sur le film...

                En effet, vous avez raison, et je crois pour ma part que le titre nous détourne du vrai sujet du film qui est à mon sens, la guerre des sexes et la montée inéluctable des revendications féministes. On peut tout de même penser que s’il y a comme vous dîtes dévirilisation des sociétés, le probème de la guerre des sexes devrait se régler par lui-même ?

                Pour nuancer toutefois votre analyse, je dirais que les femmes dans le film, ne s’opposent pas totalement aux hommes : on perçoit bien par exemple les rivalités dans le camp des femmes (entre celles qui ont privilégié leur carrière professionnelle, et d’autres, leur vie familiale) alors que celui des homme semble particulièremnt souder.


                • Georges Yang 26 septembre 2009 17:37

                  Les hommes ont cependant l’air bien pitoyable et assez médiocres dans un film dominé par les femmes ; Ils redeviennent avec plus de force de caractère dans les Invasions barbares. Paradoxalement celui qui a un cancer à 50 ans.
                  Des contacts que j’ai désormais avec des Québécois, il ressort que toute cette période rock’n’roll des années 70/90 le temps de Gilles Carle avec Les mâles et des grands rôles de Carole Laure est bien révolue.
                  Moins de féminisme, plus de pragmatisme et de désespoir, crise économique, immigration, voisinage encore plus prégnant des USA.


                • Equinox Equinox 26 septembre 2009 18:24

                  Je perçois moins de désespoir que vous dans les « Invasions barbares ». Bien sûr, le sujet est grave (la maladie, la mort) ; vous avez aussi la grande désillusion par rapport à l’utopie communiste - je pense notamment à ce passage où le héros raconte que voulant séduire une chinoise, il fait l’apologie de la Révolution culturelle... C’est évidemment une catastrophe ! - On a donc des personnages qui rejettent avec beaucoup d’ironie le maoisme aveuge d’un Philippe Sollers, mais en revanche une sorte de réconciliation des générations entre les enfants et les parents à la fin du film, laisse planer une lueur d’espoir... On renonce également aux drogues en même temps qu’aux idéologies, au profit de l’amour tout simplement.

                  Concernant le Canada, j’entendais il y a quelques semaines, l’économiste Olivier Blanchard, déclarer que ce pays était mystérieusement épargné par la crise actuelle (ou en tout cas moins touché que son voisin), sans d’ailleurs pouvoir vraiment l’expliquer à l’époque...


                  • gerlando gerlando 26 septembre 2009 18:28

                    Bonjour Equinox et bienvenue par ici !

                    Estimez vous chanceux d’avoir obtenu en commentaire ne serait-ce qu’une seule réaction en rapport au film dont vous parlez. Tout article, même le plus désaffecté, est sujet à déballage idéologique et/ou partisan sur agoravox (ne voyez aucune amertume dans cette constatation, c’est de l’observation froide). Entre les anti-américains, les antisionistes ou encore les centristes, rares sont les articles et commentaires qui ne font pas parti du tourbillon de la ferveur militante.

                    J’ai pris beaucoup de plaisir à lire votre article, érudit et calme, à propos de ce film qui déchaine tant les passions. Avez vous un blog ou écrivez vous pour un site en particulier ? J’aimerai beaucoup pouvoir continuer à vous lire.

                    Concernant le film d’Arcand, l’aspect qui m’a le plus frappé personnellement et celui de la guerre des classes, sous jacentes au film. Il existe une confrontation intéressante dans le film, celle du « bad boy », d’extraction populaire, qui arrive en fin de métrage chez les bourgeois - personnages principaux du film - et crée la gêne par sa rudesse et son inculture. Ce film m’a toujours beaucoup intrigué et la seule façon pour moi de lever le voile sur ses réelles intentions et sensibilités serait de rencontrer Denys Arcand. Son diptyque (bien que les invasions barbare, la suite du déclin, soit plus subtil) est il une apologie ou une critique par l’ostentation et le ridicule de cette bourgeoisie qui théorise compulsivement et méprisamment à longueur de journée ? « Les invasions barbares » est tout autant à double tranchant dans ces tonalités d’amertume et d’élitisme : la jeunesse est représentée par une junkie et un ultracapitaliste, bien que ceux ci se révèlent aussi « humains » et spirituels que leurs ainés... Rémy et ses amis sont toujours aussi dogmatiques et radicaux dans leurs retranchements idéologiques bien qu’ils avouent leurs erreurs (le maoisme)

                    Gerlando Stirner
                    http://compubmarket.wordpress.com


                    • Georges Yang 26 septembre 2009 18:32

                      Concernant les commentaires sur Agoravox, j’ai l’habitude ! Lors d’un article sur fellation et citoyenneté, j’ai eu droit à un farouche débat sur l’antisémitisme !


                    • Equinox Equinox 26 septembre 2009 19:00

                      Bonjour Gerlando,

                      D’abord merci pour ce message très chaleureux ! Effectivement, j’avoue découvrir ce site dont je salue l’existence, en même temps que ce forum qui me permet réellement de prolonger ce texte et de confronter mes impressions.

                      J’ignore si on doit parler véritablement de guerre ou de luttes des classes, à la fois dans le déclin de l’empire... et dans les invasions barbares, car la guerre des sexes semble davantage préoccuper Denys Arcand (que tout comme vous, j’aimerais rencontrer et dont je traque les apparitions sur le Net....). 

                      Au fond, ce film m’a fait penser aux derniers textes très controversés (mais peu commentés, surtout par les admirateurs...) de Michel Foucaut, prononcés pourtant dans une noble institution (le Collège de France). Il y déclarait qu’à la fin des grandes idéologies, succéderait inévitablement le retour de la guerre des races (thème cher à Gobineau que j’évoque dans ce texte...). Dans le cas présent, il s’agit de guerre des sexes.

                      S’agissant de la jeunesse, ce qui me frappe, c’est la difficulté à communiquer entre les générations. D’abord pour une raison simple : la fille de Rémy ne peut pas aller voir son père mourant, car elle poursuit un tour du monde à la voile... Quant au fils, il n’a jamais ouvert un livre de sa vie, ce qui pour un père universitaire est évidemment très agaçant... L’amour finit par les réunir à nouveau...

                      A la réflexion, je vous rejoindrais tout de même sur la guerre des classes, mais par le biais d’une sorte de critique sociale en filigranne dans le film. On oppose par exemple les hôpitaux publiques surchargés, dominés par la bureaucratie et les syndicats, aux riches cliniques privées américaines pourvues de la dernière technologie. L’auteur dénonce une deuxième inégalité entre le salaire d’un universitaire pourtant en fin de carrière, et celui d’un spéculateur financier... Le mérite ne fait pas le salaire. De façon générale, dans les films de Denys Arcand, quand on parle anglais, c’est souvent pour décrire l’opulence, et à l’inverse le français rime avec pénurie de moyens, et misère sociale...

                      Vous pouvez me rejoindre sur Equinox, je serais heureux d’avoir votre avis sur d’autres textes. http://jazzthierry.blog.lemonde.fr/

                      Cordialement, Equinox.


                      • Daniel Roux Daniel Roux 26 septembre 2009 19:26

                        En ce qui concerne le film que j’ai vu il y a très longtemps déjà, ce qui me reste comme impression, c’est le sentiment que ces personnages étaient surtout très égocentriques, uniquement préoccupés d’eux mêmes et de la recherche de la jouissance à tout prix.

                        Le premier tome, c’est « Notre vie n’a pas de sens, alors éclatons nous et après nous le déluge ».

                        Confirmée par le 2ème tome : « Tout ça pour ça ».

                        Si l’on recherche l’origine du déclin américain, elle provient peut être tout simplement de la cupidité et de l’égocentrisme de la haute bourgeoisie. L’immoralité et la jouissance comme drogues pour oublier que l’on va finalement mourir.


                      • Equinox Equinox 26 septembre 2009 19:44

                        Oui vous avez probablement raison, la peur de la mort peut expliquer, en dehors de la fin des grands récits, le comportement hédoniste des personnages. Par contre les professeurs universitaires font-ils partie de la haute bourgeoisie au Canada ? J’ai quelques doutes...

                        Ce goût démesuré pour le sexe ou la cuisine, fait penser immédiatement aux pages que Rousseau consacre à l’empire romain pour expliquer son déclin. Je défends l’idée que Denys Arcand est plus malin : il n’y a pas déclin mais perception par certains personnages du déclin. C’est toute la différence.

                        On sait par ailleurs, que les Etats-Unis ont à maintes reprises dans leur histoire été menacée par le spectre du déclin : dans les années 1980, Paul Kennedy dissertait sur la fin de l’Empire, avant que les années Reagan puis Clinton, démontrent finalement le contraire. Ce qui me frappe c’est la capacité extraordinaire des Américains de surmonter les difficultés. Leur optimisme est leur force. Voyez le New deal de Roosevelt, voyez l’Amérique actuelle de Barak Obama !


                        • Daniel Roux Daniel Roux 26 septembre 2009 20:02

                          Je n’écris pas que les professeurs du film sont dans la haute bourgeoisie.

                          Il m’a semblé que l’auteur nous présentait à sa façon, une image d’une société en crise existentielle ; société figurée par ce groupe d’amis.


                        • Jordi Grau J. GRAU 26 septembre 2009 20:16

                          Bonsoir.

                          Votre article et le film de Deny Arcand m’inspirent deux réactions : 

                          - J’ai vu Le déclin de l’empire américain à sa sortie, et j’avoue que le film ne m’avait pas emballé. J’avais trouvé ça très bavard et assez creux. Les personnages passent leur temps à sortir des « mots d’esprit » bien plats à mon goût. J’ai été heureusement surpris, en revanche, par Les invasions barbares, qui est un bon film triste - peut-être justement parce q’il n’essaie pas d’être drôle.

                          - Il me semble qu’il faut se méfier des interprétations morales de l’histoire. Les Romains étaient très forts dans ce domaine. Dès le premier siècle après Jésus-Christ, ils n’arrêtaient pas de se plaindre de la décadence de leur civilisation. Nos pères valaient mieux que nous, et nos grands-pères valaient mieux que nos pères. Nous sommes devenus des couilles molles. Voilà en gros ce qu’on pouvait entendre à l’époque de Tacite. Pourtant l’empire romain a duré encore quatre siècles - voire plus de mille ans, si l’on prend en compte l’empire romain d’orient. Le grand historien Paul Veyne, pour sa part, juge que l’empire romain d’occident s’est effondré pour des raisons contingentes. L’empire a été attaqué en plusieurs endroits à la fois et n’étaient pas prêt militairement à cette malheureuse coïncidence. En tout cas, Paul Veyne refuse absolument de parler de « décadence » à propos de l’empire des quatrième et cinquième siècles.

                          Pour ma part, je ne prétends pas que Paul Veyne ait raison, mais je me dis qu’il faut être très prudent. Si l’on compare avec l’époque contemporaine, on pourrait penser que le déclin des grandes puissances européennes (Angleterre, France, Allemagne) a été dû à la montée de l’individualisme et à la recherche effrénée du bonheur. Ce discours - d’un style très pétainiste, soit dit en passant - me paraît assez inexact. En réalité, c’est plutôt l’excès de patriotisme qui a causé le déclin de ces puissances. La première guerre mondiale a accéléré le déclin économique de l’Angleterre et de la France et a rendu ces deux puissances débitrices des Etats-Unis. Quant à la seconde guerre mondiale, elle a ruiné pour longtemps les espoirs de l’Allemagne de devenir la puissance dominante. Or, ces deux guerres n’auraient pas eu lieu si les populations avaient refusé d’aller au casse-pipe. Si les gens avaient un peu plus pensé à leur bonheur et un peu moins à la sacro-sainte Patrie... Evidemment, il est dangereux de multiplier les « si » et de refaire l’histoire. Ce que je voulais seulement montrer, c’est qu’il est bien difficile d’interpréter le déclin d’une civilisation ou d’un empire.


                          • Equinox Equinox 26 septembre 2009 20:37

                            Bonsoir J. Grau,

                            je vous rejoins complètement. Il est difficile d’interpréter le déclin d’une civilisation ou d’un empire.

                            Premièrement, car en général tous les critères ne convergent pas au même moment. Prenons l’exemple de la France des années 1930. L’historien Eugen Weber voulait absolument montrer le déclin la France dans ces années noires. Et effectivement du point de vue démographique (le déficit lié à la guerre et à la grippe espagnole), politique (la manifestation du 6 février 1934) ou économique, on pouvait souscrire à son propos. En revanche quand vous considériez la culture, vous ne pouviez conclure à un déclin de la France (Gide, Aragon, etc.).

                            Deuxièmement, Paul Veyne et d’autres historiens emploient plutôt le mot de transformation car comme vous le précisez, Rome n’est plus dans Rome mais l’héritage se poursuit.
                             
                            Enfin, comme le souligne l’un des personnages du film, il est souvent impossible de juger le présent. Une humeur mélancolique très personnelle, peut vous faire conclure à un déclin général de la société !


                            • Equinox Equinox 26 septembre 2009 20:42

                              Réponse à Daniel Roux,

                              Oui je suis d’accord avec vous sur ce groupe d’amis qui tantôt nous irrite, tantôt nous émeut... Et je cherche vainement un film aujourd’hui qui aurait la même richesse, et la même intelligence pour décrire une situation qui à bien des égards, est similaire...


                              • moebius 26 septembre 2009 22:48

                                «  En résumé, Arcand a probablement fait un film non pas sur le constat du déclin, mais sur l’impression ou le sentiment du déclin, tel qu’il est vécu notamment par les élites de l’époque »
                                Je pense qu’il fait là satire non pas de l’élite, l’élite ne décline jamais, mais d’une certaine classe moyenne américaine et qu’il le fait d’une maniére plus humoristique qu’ironique. 
                                Ce dit cette classe à laquelle je pense et que je connait et bien en en fait n’en est pas une. Dans la mesure ou sa conscience de classe au sens marxiste du terme a fait place a ’« un sentiment » de classe . Il me semble évident que ce « sentiment » et que toute sentimentalité ne peut etre logiquement que déclinant par rapport a une conscience collectif


                                • Daniel Roux Daniel Roux 26 septembre 2009 23:15

                                  « l’élite ne décline jamais »

                                  Un dogme ou on peut en discuter ?

                                  Les africains ont un vieux proverbe « le poisson pourrit d’abord par la tête ».

                                  Quelle soit romaine ou américaine, la déchéance d’un empire commence par le délitement de l’élite et le reste de la société suit. Pourquoi faudrait-il engager sa vie pour maintenir les privilèges d’une classe corrompue et jouisseuse ?

                                  Suivre Bonaparte à Arcole, d’accord mais se battre pour Napoléon et sa cour, non.


                                • moebius 26 septembre 2009 22:55

                                   Que dieu nous préserve, nous et le cinéma français d’un tel film !


                                  • moebius 26 septembre 2009 22:56

                                     c’est une trés mauvaise orientation et une tres mauvaise pente ....


                                    • hafetz 29 septembre 2009 23:25

                                      Je n’ai jamais vu ce film au premier degré, comme une prophétie sur l’avenir de la première puissance mondiale.
                                      En revanche, au second degré il s’agit des angoisses d’hommes et de femmes qui ont vécu une vie de confort et d’aisance matérielle, fondée sur des certitudes inébranlables, celles d’intellectuels universitaires sûrs d’eux mêmes, de leurs savoirs et leurs diplômes, pour un jour douter. Alors là, la question du déclin se pose. Ils sont l’expression d’un mode de vie consumériste, américain, et leur déclin ne peut être, pour eux, qu’un déclin général, celui de l’empire américain.
                                      ce film est un petit chef d’oeuvre de critique du nombrilisme de certains universitaires (pas tous) qui ne supportent pas de vieillir et de voir le monde changer.
                                      A un certain age, le confort matériel, et les affaires de cul ne suffisent plus. Alors tout le monde environnant est remis en cause. J’y vois surtout une critique d’un mode de pensée, plus qu’une réflexion géo-politique. 


                                      • Equinox Equinox 30 septembre 2009 15:10

                                        Bonjour Hafetz,

                                        Je n’ai pas voulu élaborer une réflexion géopolitique à partir de ce film, mais simplement essayer de restituer le contexte général ; et dans les années 1980, la question du déclin était lancinante. Tout comme aujourd’hui on produit des tas de films qui tantôt directement tantôt implictement nous parlent de la crise actuelle.

                                        Cela étant, vous avez raison d’y voir une critique de l’université ; je n’ai probablement pas assez insisté là-dessus, même si j’évoque la crise des institutions qui d’ailleurs, nous ramène à la question du déclin... J’ignore si vous l’avez vu, mais dans un autre film, les « Invasions barbares », on retrouve le personnage de Rémy, toujours aussi obsédé par le sexe mais qui cette fois, est en train de mourir sur son lit d’hôpital. Lorsqu’il doit quitter l’université, il s’aperçoit qu’aucun de ses étudiants ne le questionne, ni ne le retient d’ailleurs. Il est très vite remplacé. Un jour, à sa grande surprise, il voit arriver une brochette d’étudiants, apparemment très inquiets de son état de santé. Le spectateur s’aperçoit qu’en réalité son fils a tout manigancé : ils les avaient payé pour qu’ils rendent visite à leur ancien professeur d’histoire....

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