Rouen : l’Aître Saint-Maclou a gardé son charme intact
L’Aître Saint-Maclou est un ossuaire datant de la Renaissance. Il constitue sans nul doute l’un des joyaux du patrimoine de la ville de Rouen. Ciblé en 2016 par un projet de « reconversion » qui menaçait de dénaturer le site et de détruire l’étrange magie qui émane de ce lieu de quiétude hors du commun, force est de reconnaître que les inquiétudes des opposants au projet de rénovation ont été très largement entendues. Pour le plus grand plaisir des amoureux du lieu...
Quiconque a, un jour, visité la ville de Rouen connaît l’Aître Saint-Maclou. Situé au cœur du quartier éponyme, à deux pas de la superbe église dédiée à ce saint gallois évangélisateur de la Bretagne, cet ancien ossuaire du 16e siècle est l’un des fleurons du centre historique. Il se présente sous la forme d’un quadrilatère de 48 m sur 32 dont trois des galeries (ouest, nord et est) ont été édifiées entre 1526 et 1533 pour faire face aux besoins nés des épidémies de peste qui frappaient de loin en loin la ville de Rouen et se révélaient meurtrières pour la population, à l’image de celle qui a sévi lors des années 1521 et 1522.
La quatrième galerie, au sud, est venue compléter l’Aître Saint-Maclou en 1651, en respectant l’esprit du lieu. Contrairement aux trois autres, elle n’a jamais servi d’ossuaire, mais d’école pour les garçons pauvres. Et cela alors que l’on continuait d’entasser les corps dans la fosse commune située au centre de l’aître (du latin atrium) avant que les ossements, dégagés des chairs par la chaux vive, ne soient entassés au-dessus des galeries, entre le plancher supérieur et la charpente.
L’Aître Saint-Maclou a connu bien des vicissitudes depuis cette époque, notamment depuis le décret royal ayant conduit à l’interdiction en 1779 par le parlement de Normandie de maintenir des sépultures en ville. Plus ou moins laissé à l’abandon, puis transformé un temps en école de jeunes filles, l’Aître Saint-Maclou, un moment destiné à devenir un musée d’art, a accueilli en 1940 les étudiants des Beaux-Arts avant que l’état de vétusté des lieux ne conduise à leur départ en 2014.
Classé à l’inventaire des Monuments historiques en 1862, l’Aître Saint-Maclou, malgré un incendie en 1758 et les modifications apportées au fil du temps, n’en a pas moins gardé la plupart des éléments d’architecture et de décoration qui font de cet ossuaire l’un des plus remarquables ensembles du genre en Europe. À cet égard, la danse macabre, les têtes de mort et autres ossements, les outils de fossoyeur ou les accessoires de funérailles sculptés sur la sablière et les potelets en bois sont éloquents sur la destination du lieu, les colonnes de pierre étant, quant à elles, ornées de volutes et de feuilles d’acanthe.
Mais au-delà des bâtiments qui cernent l’atrium, c’est sous les arbres de ce dernier, de part et d’autre du calvaire, que se trouve l’âme véritable de l’Aître Saint-Maclou. Là se situait le charnier où étaient mis à décomposer les chairs des morts. Et il n’est pas douteux que les racines de nos arbres contemporains puisent dans ce sol riche du souvenir des morts et la présence avérée de squelettes la force d’honorer les défunts de leur belle vitalité.
Il s’est pourtant trouvé dans la ville et la communauté urbaine des édiles qui, disait-on du côté des opposants au projet de « reconversion », faisaient peu de cas de la riche histoire de l’Aître et de sa destination, et entendaient, sous la houlette de Frédéric Sanchez (l’ex-président de la Métropole Rouen Normandie), « reconvertir » cet ossuaire – autrement dit le transformer pour le dédier à un nouvel usage – en le livrant, officiellement sous couvert de culture et d’art, aux marchands du temple et à des cohortes de badauds bien peu sensibles à l’âme de ce havre de paix. Un projet qui a donné lieu au printemps 2016 sur le site Change-org à une pétition signée par des milliers de personnes, pas seulement rouennaises.
On parlait ici de raser les arbres nourris au « jus des morts » du charnier pour donner des spectacles plus ambitieux que ceux du festival d’été « Un soir à l’Aître ». On parlait là de louer aux artisans de la région les espaces dégagés dans les ailes nord et est pour en faire des lieux d’exposition et de vente. On parlait en outre d’installer, sans trop de souci d’intégration architecturale, un salon de thé à l’entrée de l’Aître, dans le passage le reliant à la rue Martainville. Bref, l’on oubliait qu’un tel ossuaire avait pour finalité d’être un espace de sérénité pour les trépassés qui gisent encore dans le sol de l’atrium et pour les visiteurs contemporains qui viennent s’y recueillir, y méditer ou dialoguer intérieurement avec les mânes du lieu.
Il n’était pas question pour autant de s’opposer à une réhabilitation de l’Aître Saint-Maclou. Et cela d’autant moins qu’à l’évidence l’état de certaines parties du bâti de ce remarquable ensemble laissait à désirer, voire mettait en péril la pérennité des structures. De même pouvait-on noter ici et là quelques anachronismes architecturaux qui nuisaient à l’unité de l’Aître.
C’est fort logiquement la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) de Normandie qui a été mise en charge de la maîtrise d’ouvrage du projet. Une tâche dont elle s’est acquittée, reconnaissons-le, avec beaucoup de soin. Tout d’abord en conduisant des fouilles archéologiques du charnier d’origine, lesquelles ont révélé la présence d’ossements et de petits objets funéraires sur plusieurs mètres au cœur de l’atrium. Ensuite en supervisant les travaux de réhabilitation dont la maîtrise d’œuvre a été confiée à l’architecte en chef des Monuments historiques Richard Duplat.
Hors fouilles archéologiques, le chantier, basé sur l’état très bien documenté de l’Aître Saint-Maclou en 1880, aura duré un peu plus de 2 ans – de mai 2018 à juillet 2020 – pour un coût d’environ 14 millions d’euros. Ont été sollicitées une trentaine d'entreprises et une quinzaine de métiers dont certains très spécialisés, à l’image des tailleurs de pierre et des restaurateurs de décors peints et de sculptures.
Le résultat est irréprochable, qu’il s’agisse de la restauration de l’atrium et des galeries, ou de celle des dépendances, principalement constituées par les anciens logis des prêtres et la chapelle. Conformément au projet, le débouché nord sur la rue Géricault, fermé depuis des décennies, a été rouvert à la circulation des usagers et des visiteurs. Quant au café Hamlet, implanté dans la galerie sud, il n’affecte en rien l’harmonie du lieu, pas plus que les locaux des créateurs d’art en résidence installés dans les galeries est et nord.
Un seul petit regret : l’absence, autour du calvaire central, d’une pelouse dans le carré arboré. Cet espace herbu faisait naguère partie du charme de l’Aître Saint-Maclou. Qui sait ? Peut-être sera-t-il réhabilité dans l’avenir... Un vœu qui, en tout état de cause, laisse indifférente la momie du chat, retrouvée emmurée dans l’ossuaire en 1950 : après avoir elle aussi été restaurée, cette dépouille, devenue la mascotte du lieu, a retrouvé sa place près du débouché de la rue Martainville.
À lire, pour en savoir plus sur l’Aître Saint-Maclou : lien
À voir : [Ren]aître
À écouter : La danse macabre de Camille Saint-Saëns
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