La France a eu aussi son 11 septembre
Je vous ai déjà conté ici l’histoire incroyable qui s’est produite à Ustica, cet endroit où s’est abattu le 27 juin 1980 un DC-9, pris semble-t-il au milieu d’une course poursuite opposant un chasseur américain et un Mig 23 Lybien, dont on retrouvera plusieurs mois après l’épave et le cadavre du pilote dans les montagnes calabraises. A l’époque, je vous avais laissé entendre qu’il y en avait eu d’autres, de catastrophes du même ordre. A savoir surtout celles d’une méprise militaire touchant un avion civil. L’histoire a longtemps couru à propos du Boeing de la TWA, je n’y reviens pas, je vous ai donné ma version des faits, qui exclut cette version du missile, et expliqué les conséquences actuelles sur les modifications demandées sur les appareils, qui sont encore loin de les avoir toutes subies. Et demeurent donc des dangers potentiels pour les passagers les empruntant.
Mais aujourd'hui, j'aimerai vous parler d'une autre catastrophe aérienne, dont la date sonne étrangement aux oreilles de tout le monde : c'est celle d'un 11 septembre bien particulier, en 1968. Et comme pour l'autre 11 septembre plus connu, un gouvernement, en l'occurrence le gouvernement français, s'est efforcé de présenter au plus vite une version des faits qui n'a satisfait que lui-même. Et qui continue à ne satisfaire personne, puisque le 22 septembre dernier, dans une relative indifférence médiatique, des proches des 95 victimes (dont 13 enfants) ont déposé plainte contre X, avec constitution de partie civile, réclamant 40 ans après les faits l'ouverture d'une enquête plus approfondie que celle rondement menée à l'époque. A la tête du mouvement, les frères Louis, Mathieu et Jacques Paoli qui avaient à l’époque 21, 24 et 30 ans. Et qui ont perdu leurs parents, Ange-Marie et Toussainte, alors âgés de 61 et 59 ans, dans la catastrophe. Pour eux, la Caravelle n'a pas pris feu subitement pour s'abîmer en mer, mais a été abattue par un missile militaire français, rien de moins.
Mais revenons plutôt sur les circonstances de ce qui pourrait très bien devenir un 11 septembre français, près d'un demi-siècle après les faits. A savoir une catastrophe provoquée par des responsables de l'état, un état qui aurait tout fait pour en cacher la teneur véritable et la présenter sous l'aspect présentable pour les familles d'un incident technique transformé en tragédie par les pures lois du hasard. Ce jour là, à Ajaccio, une premiere Caravelle, la F-BHRB a déjà décollé à 8h10, avec fort peu de passagers à bord (45 seulement) pour se poser à 10h40 à Orly, ce qu'elle fera effectivement sans encombre. Vers 9H05 du matin, un deuxième vol, le numéro 1611 Ajaccio-Nice d’Air France, un bi-réacteur SE 210 Caravelle immatriculé F-BOHB (et nommé "Béarn") s'envole et plonge quelques 28 minutes plus tard dans la mer au large du cap d'Antibes, alors que "la visibilité est bonne, le vent nul et la mer très calme" précise la presse de l'époque. L'avion avait annoncé laconiquement quelques minutes avant à la tour de contrôle la présence d'un problème grave à bord : "On a le feu". A 9h 31, nouveau message de l'équipage : "Nous avons le feu à bord, demandons atterrissage d'urgence". Une minute plus tard, le message se veut un plus rassurant : "Nous sommes en vue du sol en bonne visibilité". Mais à peine 26 secondes plus tard, un dernier message angoissant est reçu à la tour de contrôle Nice : "on va se crasher si ça continue". Ce seront les dernières paroles du pilote. A 9 h 33 min et 20 secondes tout est fini. L'avion a impacté la Méditerranée à grande vitesse semble-t-il, et s'est transformé en milliers de confettis.
Un Lockheed Constellation du SAR, avion de surveillance maritime français de l'époque, dotée de deux étonnantes excroissances de surveillance sur son fuselage (ses "oreillles de Mickey"), et appelé de Corse (ou de Toulouse, nous n'avons pu le déterminer !) à la rescousse, et à tôt fait de repérer les débris dès 11H30, à peine deux heures après l'annonce de la dispartion de l'appareil : il distingue sur mer une énorme nappe de kérosène jonchée de centaines de petits morceaux flottant à la surface. Sur les 89 passagers et les 6 membres d'équipage, on retrouvera à peine 15 corps complètement déchiquetés. Pas un de plus. Des plongeurs remonteront plus tard ce qu'ils pourront des débris. Quand on les pèsera, on s'apercevra que la Caravelle se résume alors à 8 petites tonnes de tôles tordues en tout et pour tout : le heurt avec l'eau a été violemment destructeur, et on n'a donc pas tout remonté. Les deux réacteurs, notamment gisent toujours au fond. Le vol 1611 est parti en miettes, il n'en reste presque rien. A part une question : comment un avion de ligne régulièrement entretenu, et un avion réputé pour sa fiabilité a t-il pu aussi rapidement disparaître des écrans radars après avoir pris feu de manière aussi brusque et aussi violente ? Un appareil d'un telle finesse (de 22 !) capable d'effectuer une descente pareille sur un seul réacteur ?
A bord, ce jour là, vers 9H, au niveau 70 (à peu près 2100 mètres d'altitude) l'équipage a entendu un bruit sourd à l'arrière de l'appareil au niveau de l'office des hôtesses et des toilettes). Le mécanicien navigant (à l'époque les avions ont 3 hommes d'équipage) constate alors que son réacteur gauche monte en température (plus de 1000 °C) et rend l'âme : le Rolls-Royce Avon brûle, et le kérosène qui continue à l'alimenter à plein avec lui : l'avion laisse derrière lui une longue traînée noire de plusieurs centaines de mètres. Le commandant de bord Salomon, pilote chevronné, entame les mesures d'urgence et alerte la tour, en gardant un calme tout relatif : il sait son avion en perdition, car il chute maintenant, sur un seul réacteur, et ne peut le ralentir : les aéro-freins d'ailes ne peuvent être utilisées, l'avion plonge déjà trop vite et il les arracherait. Salomon ne pourra rien faire pour sauver son équipage et ses passagers : son réacteur gauche en feu, il ne peut redresser son avion, car les circuits hydrauliques actionnant la queue sont également abîmés.. l'appareil ne répond plus que partiellement à ses commandes.
Très vite, on découvre que ce jour là des manœuvres militaires impliquant plusieurs avions français dont des Super-Mystère SB2, des Mirage III et des ravitailleurs KC-135 qui étaient en l'air se jour là. Et très vite aussi, un ministre des armées de l'époque, à savoir Pierre Messmer en personne, dans un gouvernement dirigé par Maurice Couve de Murville revenu à la tête du pays avec la chambre "bleu horizon" élue après les événements de mai 68 intervient sur les ondes pour donner la version officielle des faits. Elle est assez surprenante : un incendie causé par une cigarette mal éteinte ou un chauffe-eau défectueux serait à l'origine de l'explosion du réacteur droit de l'appareil ! On a du mal à y croire. Et on ne comprend pas trop bien l'insistance ministérielle à vouloir à tout prix incriminer le propulseur situé à droite... sauf à moins de regarder une carte. Pour les familles, un missile tiré de l'île du Levant est à l'origine de la catastrophe : or si c'est le cas, il se serait dirigé vers le côté... gauche de la Caravelle et non le droit ! Et très vite aussi, des plongeurs dépêchés à mille mètres de profondeur (avec quel bathyscaphe ?) remontent les deux boîtes noires... dont il est dit qu'elles sont inutilisables, ce qui est aussi fort rare. Ce jour là également, des visiteurs du centre radar de commandement de l'opération en cours se sont faits brusquement éconduire de la salle après la disparition d'un écho radar. Celui de la Caravelle.
L'hypothèse d'un missile Masurca inerte (il n'y aurait pas eu de charge explosive à l'intérieur, c'est le corps du missile qui serait allé au contact du réacteur !), tiré par mégarde se précise des années après, avec des témoignages de témoins qui n'avaient rien osé dire à l'époque pour des raisons diverses, dont le fait d'être... des militaires.
Celui de Bernard Famchon par exemple. "En 1970, dit-il, alors que je faisais mon service militaire au 40e régiment d'artillerie, au camp de Suippes, à côté de Mourmelon en Champagne, j'étais serveur au foyer auquel pouvaient accéder tous les soldats qui venaient à l'époque faire des manoeuvres dans le camp. Un soir, l'un d'entre eux s'est écroulé en pleurant sur le comptoir. Il disait vouloir parler à quelqu'un parce qu'il n'en pouvait plus. Il voulait, comme on dit, soulager sa conscience et nous a raconté que deux ans auparavant il était serveur sur une batterie de missile couplée à un système radar où il attendait le passage d'un avion cible. Lorsque la cible supposée est passée, le missile avait été lâché et avait atteint la caravelle Ajaccio-Nice... Il a ajouté que les autorités militaires les avaient ensuite contraints à garder le silence. Ce que, visiblement, il ne supportait plus".
Ou celui encore plus troublant d'Étienne Bonnet qui se promenait entre Juan-les-Pins et Golfe-Juan avec à la main une paire de jumelles, pour regarder les dauphins nombreux à cette époque de l'année : "j’ai regardé la Caravelle qui descendait assez lentement vers Nice. Soudain, une traînée bleu ciel, provenant de l’extérieur, frappa l’appareil à la hauteur du réacteur sur son côté gauche. Un incendie se déclara. Puis, une terrible explosion se produisit. Des boules de feu se confondaient avec les nuages et des morceaux en feu tombaient sur la mer. Une deuxième explosion eut lieu et le reste de l’appareil tomba en feu dans la mer". C'est le témoin visuel primordial, qui précise la trace de fumée du missile et le côté par lequel il aurait abordé la Caravelle d'Air France.
Un troisième, celui de Noël Chauvanet, qui lui répète ce que lui aurait dit un technicien du département radar de chez Thompson : "il m'a dit que lors d'une campagne d'essai de missiles sol-air en Provence, en 1968, le premier engin qui a fonctionné a malheureusement détruit la Caravelle." Un quatrième confirme les tirs réguliers dans le secteur, c'est Jacques Lalut, aujourd'hui âgé de 84 ans, dans son livre de mémoires d'un commandant de bord de Boeing 707. Selon lui, Alors trois jours après le crash de la caravelle, ça recommençait : à bord d'un avion de la Tunis-Air, lui et son co-pilote ont pu croiser en vol "un missile qui était passé à deux kilomètres de l'appareil. Si j'avais décollé 20 secondes plutôt (de Marignane), affirme-t-il, j'y avais droit. Et lorsque j'ai signalé - immédiatement - l'incident à ma station relais radio, près de Toulon, demandant de me donner des précisions sur la position du missile, on m'a répondu l'avoir vu tomber dans la mer au large du cap Bénat. J'ai prévenu la Direction de l'Aviation Civile à Paris, et je n'ai plus entendu parler de rien". Le secteur était le lieu de véritables tirs de barrage anti-aérien : il semble bien qu'on voulait accélérer la mise au point du Masurca par tous les moyens possibles et un timing infernal.
Et il y a d'autres faits tout aussi troublants dans cette affaire : comme dans celle de l'Ustica, on a cherché à maquiller des documents officiels. Deux enquêteurs auteur d'un ouvrage sur la catastrophe (dont l'arrière-arrière petit-fils de Jules Verne) ont trouvé d'autres faits inquiétants sur la conduirte de l'armée vis à vis de l'événement. Sur plusieurs rapports auxquels ils ont pu accéder après que le secret défense aît été levé sur eux, des mots ont été rayés au stylo, des pages de rapports sont manquantes, surtout une page spéciale, celle du journal de bord de la frégate lance-missiles Suffren alors présente dans les parages. Celle d'une des deux pages couvrant le 11 septembre 1968, celle qui couvre une période de 6 heures à midi seulement : la page a été carrément arrachée et remplacée par une autre grossièrement collée à la place ! Or le Suffren, lancé en 62 et opérationnel en 1965 est un bateau remarquable pour l'époque, une frégate anti-aérienne capable de lancer ceci. Elle est encore en phase d'expérimentation de 3 ans et ne sera intégrée que le 1er avril 1969 à l'Escadre de l'Atlantique (avec comme port d'attache celui de Brest). Elle est chargée de protéger les deux porte-avions français contre des attaques aériennes (le navire a été retiré du service en 2001.) Et est alors sous le commandement du Capitaine de vaisseau Jean Tardy. Or en 1968, la Suffren, au large du Levant, était en train de "certifier" le lancer de Masurca, à la fin des 50 tirs nécessaires pour le rendre opérationnel. Comme certification, on ne peut rêver pareil couronnement : même non armé, il abat un biréacteur... civil. Pourtant, en 2004, Michèle Alliot Marie, alertée par les frères Paoli, leur répondait "« l’accident de la Caravelle ne peut être imputable aux forces armées qu’il s’agisse de la marine, de l’armée de l’air ou de la Délégation générale de l’armement ou de toute autre force ou unité. En effet, écrivait-elle, le Centre d’essai de la Méditerranée de l’île du Levant n’a procédé à aucun essai de tirs de missile entre le 26 juillet et le 23 septembre 1968 ». Le témoignage d'Etienne Bonnet la contredit complètement pourtant.
Aux dernières nouvelles, les familles ont donc déposé plainte contre X. C'était juste après la déclaration du procureur de la République de Nice qui a classé « sans suite » le dossier de la catastrophe de la Caravelle. « Les faits sont prescrits, il n’est pas possible de rouvrir le dossier d’un point de vue judiciaire », a précisé à la presse Éric de Montgolfier. L’information judiciaire avait déjà été close il y a fort longtemps, par un non lieu, en juin 1973 exactement, à la suite du rapport du ministère des transports au Journal Officiel du 14 décembre 1972, concluant à l'incendie accidentel. La prescription de l’action publique avait été déclarée en mai 1983. Pour l'état français, l'histoire est terminée.
De cette histoire, on retiendra que lors d'une catastrophe actuelle fort récente due à un incident indéterminée, en 2008, le lendemain même de la catastrophe, à 40 mètres de profondeur seulement, on retrouve très vite les deux boîtes noires d'un Airbus A-320. En 1968, on a pris 9000 photos au fond de l'eau, mais on en a vu que fort peu, et les deux boîtes noires, qui fonctionnent de la même façon et sont protégées de la même manière quarante ans après, à peu de choses près, ont été déclarées inutilisables, alors que l'avion était lui aussi en phase d'approche et a subitement plongé, sans que des témoins ne voient d'explosion cette fois en 2008. Victime certainement d'une rupture de liaison de gouverne de queue ou de gouverne elle-même (il a amorcé une chandelle juste avant de plonger).
Et ailleurs, en 2001, on n'a jamais retrouvé 8 boîtes noires sur des engins qui se sont tous écrasés au sol. Même pas besoin de ressortir l'Alvin dans ce cas. Pour l'instant, sur une catastrophe survenue la même journée, c'est le record toutes catégories. Il ne risque pas d'être égalé.
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