Un témoignage (peut-être fabriqué, qui sait ?)
Je ne pourrai pas être ce soir à Paris, mais j’aimerais
partager avec vous mon témoignage de cette nuit d’horreur du 17 octobre
1961.
Je me nomme Alan Bennett, je suis britannique, et en 1961,
je travaillais à l’Agence de presse Reuter, rue du Sentier à Paris.
J’allais bientôt avoir 20 ans.
En quittant mon travail le soir du
17 octobre, vers 19h30 je remonte vers le boulevard Poissonnière prendre
le métro pour rentrer chez moi. L’accès du boulevard est totalement
bloqué, et j’y vois défiler des centaines de personnes, hommes et
femmes, scandant « Paix en Algérie ».
Je retourne en courant au
bureaux de l’Agence Reuter, distants d’une cinquantaine de mètres, et je
demande au journaliste de permanence d’alerter les correspondants, qui à
cette heure-là étaient rentrés chez eux. Il me demande de couvrir
l’évènement en attendant leur retour.
Je redescends, et arrivé rue du Sentier j’entends de nombreux coups de feux, d’un fusil-mitrailler m’a-t-il semblé.
Un
jeune homme algérien court vers moi en boitant, du sang sur la jambe de
son pantalon. Je le mets à l’abri dans le hall d’entrée de l’Agence
Reuter, puis je remonte vers les grands boulevards. Des cars de
policiers sont stationnés en file sur la ligne médiane, on voit tourner
les gyrophares des voitures de police, et règne un immense silence. En
arrivant sur le boulevard, je suis effaré du nombre de chaussures,
notamment féminins, qui jonchent le trottoir, restes de la fuite
paniquée des manifestants. A AUCUN MOMENT JE N’AI VU MANIFESTER LA
MOINDRE AGRESSIVITÉ DE LEUR PART AVANT LA CHARGE MEURTRIÈRE DES
POLICIERS.
Devant le cinéma Rex, une demie-douzaine de corps
gisent sur le trottoir, des rigoles de sang finissent de couler dans le
caniveau.
Voilà mon témoignage. A évoquer cette violence
policière, je revois parfaitement la scène, et j’en éprouve une émotion
difficilement maitrisable. Quarante ans plus tard, j’ai visionné le
remarquable DVD d’Alain Tasma « Nuit Noire », et à revoir ces terribles
évènements, j’ai sangloté près d’une heure sans pouvoir m’arrêter,
devant mon écran de télévision.
J’aimerais ajouter qu’en tant que
citoyen du Royaume Uni, pas encore membre de l’Union Européenne, je
devais régulièrement à cette époque faire renouveler ma carte de séjour à
la Préfecture de Police de Paris. Devant les files d’Algériens faisant
la queue, je me mettais tout naturellement en fin de queue pour attendre
mon tour. Invariablement les policiers m’invitaient à passer devant les
« bicots » ou les « bougnoules » comme ils les traitaient, et je vous
laisse imaginer leur perplexité et leur visible mépris lorsque je
refusais cet « honneur ».