Tous les problèmes viennent, me semble-t-il, de ce que l’homme moderne est encore incapable d’un minimum de rationalité et se conforme à des comportements aussi ritualisés que ceux qui s’observent dans la plupart des espèces animales.
Dans « Le fantôme de la liberté », de Bunuel, il y a une scène extraordinaire : autour d’une grande table comme on en trouve dans les salles à manger, une douzaines de sièges en porcelaine munis de chasses d’eau sur lesquelles il convient de se déculotter avant de s’asseoir. Sur la table, des journaux, des magazines. Et les conversations vont bon train, comme dans les latrines romaines. De temps à autre, quelqu’un se lève et va s’enfermer dans une petite pièce, pousse pudiquement le verrou, ouvre une petite trappe qui fait apparaître une assiette bien garnie et une bouteille d’un bon cru. Tout cela sera très rapidement avalé avant de retourner à la grande table de ce qui n’est plus, à proprement parler, une salle à « manger ».
Bunuel oppose la bouffe et la sctatologie pour qu’on perçoive très immédiatement l’opposition du remplissage et du vidage, mais il va de soi que si l’on compare d’un point de vue purement esthétique, et sans aucune autre prévention, un gros plan pornographique et un gros plan sur la tête de quelqu’un qui est en train d’ingurgiter un plat de spaghettis, c’est probablement cette dernière séquence d’images qui sera la plus obscène et la plus dégoûtante. Et pourtant, on voit ça tous les jours, même dans la rue et à travers la vitre des restaurants.
Personne ne paraît s’offusquer de ce qui m’apparaît tout de même comme à Bunuel, lorsque j’y songe, comme un grossier attentat à la pudeur. Cela me semble même absolument répugnant, mais on ne songe pas à commenter pédagogiquement la chose pour les petits enfants, cela fait partie du réel. Il n’y a donc pas lieu de faire un sort particulier aux images sexuelles qui traînent désormais un peu partout, cela aussi fait partie du réel et cela n’a donc pas à être caché non plus. Et je doute en tout cas que les enfants en soient plus « traumatisés » que je ne le suis lorsque je vois un gros plein de soupe attablé dans un restaurant.