Unité !
par Dominique Strauss-Kahn
Le Monde, 18 septembre 2004
Le parti socialiste entre dans des eaux tumultueuses. Il s’apprête à vivre des heures
difficiles et peut-être même des jours sombres. D’ici la fin de cette année, chacun le
sait, les militants vont être appelés à se prononcer, par référendum, pour arrêter
notre position sur le projet de Constitution européenne. Version optimiste : c’est un
exemple de démocratie pour tous les autres partis. Version pessimiste : c’est un
affrontement programmé qui se profile. Aujourd’hui, je ne peux qu’exprimer mon
inquiétude. Laurent Fabius, après avoir, je n’en doute pas, soupesé ses convictions
et les conséquences stratégiques de son choix, a arrêté sa position. La majorité qui
dirige le parti socialiste se partagera donc entre les tenants du oui et du non. Les
enjeux politiques, idéologiques, symboliques, institutionnels sont lourds. Des voix
doucereuses évoquent un « débat calme et serein ». Mais j’entends, en écho,
l’avertissement de Jaurès qui, dans un autre contexte, rappelait que « la guerre
n’est jamais fraîche et joyeuse ». Ce traité constitutionnel mérite-t-il un tel
affrontement ? Je ne le crois pas. C’est, je n’ai aucun doute là-dessus, une avancée
réelle. Mais ce n’est à l’évidence qu’une étape - d’ailleurs sans doute moins
importante et moins difficile pour les socialistes que ne l’était Maastricht. Ce traité
constitutionnel impose-t-il un tel affrontement aujourd’hui ? Je n’en suis pas sûr :
nous sommes encore bien loin du référendum annoncé par le Président de la
République. Alors, que faire ? Faire campagne, aux côtés de Martine Aubry,
François Hollande, Bertrand Delanoé et bien d’autres en faveur du « oui »,
évidemment ! Mais penser aussi à notre unité, travailler à notre unité encore et
toujours en préparant, ensemble, car il faudra bien en définitive se retrouver, les
étapes suivantes de la construction européenne. Mais faut-il ne parler que de
l’Europe ? Parlons d’Europe, assurément, ne parler pendant trois mois que de
l’Europe, je ne crois pas cela opportun. Ce serait un cadeau à faire à ce
gouvernement : il ne le mérite aucunement. Ce serait un grave manquement aux
Français : ils ne nous le pardonneraient pas. Pendant que les socialistes débattent,
les problèmes des Français demeurent et les socialistes, la gauche, doivent jouer
leur rôle. S’opposer - et il y a de quoi. Proposer surtout, en gardant à l’esprit ce qui
taraude notre société : les inégalités. Elles progressent. Elles inquiètent. Elles
révoltent. Alors, parlons de l’emploi. Parlons de l’école, de la petite enfance
jusqu’aux universités. Parlons des revenus. Construisons un projet pour la France.
Pour ma part, je continuerai à le faire.