Il s’agit d’une parabole de l’extinction de l’ego. Les souffrances de Jésus sont les souffrances que ressent l’homme quand l’ego entre dans la phase finale de dissolution, c’est ainsi que les images des biens de ce monde se forment afin de pousser l’adepte à conserver son ego. S’il succombe, il est maudit, c’est cela le mystérieux blasphème contre l’Esprit Saint qui embarrasse tant les théologiens. Mais nous en reparlerons à ce moment-là. Ce passage décrit bien les épreuves qui mènent à la dissolution et à la mort de l’ego ou esprit individuel, et après son extinction définitive (il expira ou il rendit son esprit individuel qu’il reçut au moment de sa naissance à l’esprit universel), et parallèlement à cette dissolution, l’Esprit Saint s’écoule dans le corps de l’adepte et permet son entrée dans l’universalité. Les tentations que suscite le Diable sont les dernières manifestations de l’ego pour faire trébucher l’adepte. Quand l’adepte y a pleinement résisté, il ne reste plus au diable qu’à s’en aller. Notons que ce passage est magistral, quelle plaie qu’il ne fut réécrit que pour magnifier Jésus. Quant au péché contre l’Esprit, cela concerne ceux qui, tout en subissant la dissolution de leur ego, prennent peur et veulent le maintenir vivant en refusant l’entrée de l’Esprit Saint, ceux-là sont les maudits & les sorciers, car ils empliront la terre de mal pour rester en vie ou plutôt pour conserver ce qui leur reste de vie. Notons encore qu’une telle épreuve peut se dérouler n’importe où, mais dans un état altéré de conscience. Notons encore que les épreuves et tortures que l’adepte subit sont réelles, car elles doivent nous briser, enfin briser notre ego. Rappelons l’adage talmudique qui dit que quatre rabbins entrèrent au Paradis, le premier mourut, le second devint fou, le troisième coupa les racines (c’est-à-dire qu’il fit le mal pour survivre, ce que la tradition explique plutôt par une apostasie), et le quatrième sortit sain et indemne. Cet adage nous montre qu’il n’y a que quatre résultats aux pratiques spirituelles supérieures : folie, mort, mal ou réussite totale. Au risque de choquer, nous n’hésiterons pas à affirmer que le nabî ou prophète est plus proche du chaman que du croyant basique de n’importe quelle religion.
Dans mon livre, j’ai inclus une citation de l’Écrit de Damas, qui décrit le shéol où l’adepte est éprouvé, on ne survit à cette épreuve qu’en cessant de faire sa volonté propre par l’accomplissement de la volonté de Dieu. La volonté de Dieu ne consiste pas à tuer ceux qui, d’après tels ou tels textes ne feraient pas la volonté de Dieu, mais bien à renoncer à soi-même pour que nous devenions le réceptacle de Sa Volonté et non le réceptacle de notre volonté propre et de l’obstination de notre cœur, comme dit l’Écrit de Damas.
Enfin, le fait que le Diable cite le Psaume 91 qui est le psaume utilisé dans les exorcismes (On a retrouvé quatre psaumes d’exorcisme dans les manuscrits de Qumran, hélas très fragmentaires (11q11 ou 11qapocrPs). Pour leur étude voir Craig A. Evans. « Jésus et le Psaume 91 à la lumière des manuscrits d’exorcisme. » Pages 563–578. In Célébrer les Manuscrits de la Mer Morte — Une perspective canadienne. Sous la direction de Jean Duhaime et de Peter W. Flint. Montréal, Médiaspaul, 2014. ), donc censé le faire fuir, ce qui pourrait signifier que l’auteur ne connaissait pas cette fonction du psaume, et confirmerait que les tentations seconde et troisième sont des ajouts ultérieurs. Cela suggère que les tentations qui surviennent lors des phases finales de la dissolution de l’ego, sont bien des épreuves, qui ne peuvent se comparer à un exorcisme. Notons que Jésus réplique, d’ailleurs à chaque fois au diable, par une citation de la Torah, Deutéronome pour être précis, et que pour faire face à la folie qui le guette, il ne peut s’en prémunir que par une conscience éveillée, que par la pratique des commandements donnés dans la Loi et que par l’exercice de la Justice, et que ce n’est que par notre connaissance des lois que nous pourrons passer ces épreuves, car les lois ont comme fonction de nous permettre de distinguer le bien du mal.