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Vivienne (---.---.155.233) 2 février 2007 08:26

Voici un extrait du débat qui a précédé le vote de l’Assemblée sur la loi concernant la procédure pénale :

http://www.assemblee-nationale.fr/12/cra/2006-2007/100.asp

"M. le Rapporteur - L’amendement 83 vise à inscrire dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le juge civil surseoit à statuer lorsqu’une décision attendue au pénal est susceptible d’exercer directement une influence sur la solution de son dossier. Le projet de loi, en réécrivant l’article 4 du code de procédure pénale, va à l’encontre de cette jurisprudence, créant un risque important que des décisions rendues au civil soient suivies de décisions contraires rendues au pénal, ce qui aurait pour conséquence soit l’existence de décisions de justice contradictoires, ce qui ne saurait être accepté, soit des recours en révision au civil. C’est pourquoi l’amendement 83 tend à consolider cette jurisprudence.

M. le Garde des Sceaux - Cet amendement est exactement le contraire du texte que je vous propose : j’y suis donc défavorable et je souhaite que l’Assemblée ne suive pas la commission. À la suite de différents dysfonctionnements, mon prédécesseur avait confié à M. Magendie, président du tribunal de grande instance de Paris, le soin de réfléchir à des réformes. L’article 11 ne fait que reprendre ses propositions. Dans la tradition de notre code pénal, le criminel tient le civil en l’état. Mais cette règle, sur laquelle je ne souhaite pas revenir, a reçu une large extension jurisprudentielle de la part de la Cour de cassation, qui conduit à un véritable dévoiement. Ainsi, un employeur assigné aux prud’hommes par un salarié irrégulièrement licencié va déposer plainte, avec constitution de partie civile, contre ce salarié pour vol, bloquant l’instance prud’homale jusqu’à ce que le juge d’instruction rende un non-lieu. Ou encore, un litige commercial sera bloqué parce que l’une des parties engagera des poursuites contre l’autre pour faux ou escroquerie.

Cette règle porte préjudice aux petits, aux moins puissants, à ceux qui n’ont pas les moyens de faire traîner un procès civil et de mettre en branle une autre procédure qui n’aboutira à rien d’autre qu’à gagner du temps. Elle paralyse les procédures civiles. Elle est la cause de nombreuses procédures pénales non fondées, qui encombrent les cabinets de l’instruction et empêchent les juges de se consacrer aux véritables victimes. En 2005, sur plus de 30 000 informations ouvertes à l’instruction, presque 10 000 faisaient suite à une plainte avec constitution de partie civile, dont plus de 9 000 se sont terminées par un non-lieu, une irrecevabilité ou un refus d’informer ! Des non-lieux terminent, même si l’on ne dispose pas de pourcentages précis, l’écrasante majorité des plaintes avec constitution de partie civile - sans doute 80 % en 2004 à Paris, en matière économique et financière ! On voit bien les abus qui ont cours. Je souhaite donc que cet amendement ne soit pas adopté. D’ailleurs, ce sont les magistrats réunis autour de M. Magendie qui ont souhaité cette réforme : qu’on leur fasse confiance, ce sont des professionnels ! Ils sont déjà submergés de travail toute la journée, ils n’ont pas à être victimes de procédures dilatoires. C’est dans leur intérêt comme dans celui de la justice que la procédure ne soit pas dévoyée.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois - Je voudrais expliquer pourquoi la commission a adopté cet amendement. Le principe actuel est que le pénal tient le civil en l’état : on attend la décision pénale avant de prendre la décision civile lorsqu’elles ont le même objet. Selon un autre principe, celui de l’autorité de la chose jugée, la décision pénale s’impose à tous, notamment sur le plan civil. Du point de vue de la commission, la Cour de cassation a placé le curseur au bon endroit en permettant de ne pas surseoir à statuer lorsque l’action pénale n’a pas de conséquences directes sur la décision civile. Je pense que c’est la bonne solution : si la décision pénale a une action directe, il faut surseoir à statuer. L’amendement 83 propose donc d’inscrire cette jurisprudence dans la loi.

Le projet de loi, pour sa part, propose un mécanisme qui tient fortement de l’usine à gaz : il n’y a plus d’obligation de surseoir à statuer - la procédure civile suit donc son cours - et si jamais la décision pénale ultérieure contredit la décision civile, il n’y a qu’à engager un recours en révision ! Ce n’est vraiment pas raisonnable. On comprend les raisons de la commission Magendie, qu’a expliquées le Garde des Sceaux : les cabinets d’instruction sont effectivement encombrés par les plaintes avec constitution de partie civile. Mais il est vrai aussi que les magistrats instructeurs ont toujours demandé la disparition des plaintes avec constitution de partie civile ! Le seul problème est qu’elles sont le pendant indispensable, normal et mécanique du principe de l’opportunité des poursuites : à partir du moment où le parquet a la possibilité de poursuivre ou non, il faut évidemment laisser à la partie civile la possibilité de mettre elle-même en mouvement une action publique.

C’est pourquoi la commission est tout à fait favorable à la disposition de l’article 12 selon laquelle une plainte avec constitution de partie civile ne serait recevable qu’après un certain délai, au cours duquel le parquet n’aurait pas agi. Cela va permettre de désencombrer les cabinets d’instruction, tout en laissant bien sûr la possibilité à la partie civile, si le parquet ne poursuit pas pour une raison quelconque, de déposer une plainte avec constitution de partie civile. Revenons sur l’exemple du licenciement pour vol : on sait qu’en matière prud’homale, le débat est cristallisé par les motifs de la lettre de licenciement et ne peut rien aborder d’autre. Si l’employeur dépose une plainte pour vol, comment voulez-vous que le conseil des prud’hommes puisse statuer sur le bien-fondé du licenciement, sur son caractère abusif ou non, s’il ne dispose pas de la décision pénale ? La raison pousse donc à adopter l’amendement 83 et cette disposition de l’article 12, et surtout à rejeter un système qui provoquera des décisions contradictoires avec, comme solution, des recours en révision !

M. Michel Hunault - Quelques chiffres seulement pour appuyer cet exposé : nous comptons chaque année 5 millions de procès-verbaux, pour une capacité de 650 000 jugements. C’est souvent la dernière possibilité d’un justiciable, lorsqu’il y a un classement sans suite, que de porter plainte avec constitution de partie civile.

On ne peut laisser dire qu’une garantie essentielle pour le justiciable serait une procédure dilatoire.

M. le Garde des Sceaux - M. Houillon commet l’erreur majeure de croire que notre proposition tend à empêcher les plaintes avec constitution de partie civile. Il n’en est évidemment rien. Le dispositif aura pour effet de cribler les plaintes en éliminant automatiquement celles qui sont déposées dans un but dilatoire, puisque le procès civil se poursuivra de toute façon. C’est du bon sens. Je n’ignore pas que la commission des lois compte d’éminents spécialistes, mais la commission Magendie était, elle aussi, composée de professionnels dont je doute qu’ils aient formulé des propositions d’une complète stupidité.

M. le Président de la commission - Je n’ai pas dit que le dispositif empêcherait les plaintes avec constitution de partie civile puisque la question n’est pas celle-là, mais de savoir si le pénal tient le civil en l’état. M. le garde des sceaux a parlé de bon sens ; est-ce du bon sens de prévoir qu’il faudra recourir à une révision si le juge civil dit « blanc » et que le juge pénal dit « noir » ?

M. le Garde des Sceaux - Ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

M. le Président de la commission - C’est pourtant ce que dit le texte, qui institue la possibilité d’une contradiction entre juge pénal et juge civil alors que les principes généraux de notre droit ont été pensés pour éviter une telle situation. S’agissant des professionnels, je puis vous assurer que les avocats ne sont pas favorables à cette mesure ; il n’est donc pas exact de dire qu’ils le sont. Le ministère public ayant la maîtrise des poursuites, il est juste de maintenir le pouvoir de suspension dans le seul cas où il existe un lien direct entre le civil et le pénal. C’est le bon sens.

M. le Garde des Sceaux - Le juge civil décidera, selon les cas, s’il suspend l’application de la procédure, selon qu’il l’estimera ou non dilatoire. Là où le Gouvernement souhaite permettre plus de souplesse vous souhaitez maintenir une rigidité. C’est très regrettable.

M. Jérôme Bignon - J’ai été sensible aux explications du garde des sceaux mais j’y aurais été plus sensible encore s’il avait mentionné, outre l’intérêt des magistrats, qu’il nous a décrits débordés, celui des justiciables, qui devrait être notre préoccupation principale. Le juge civil pouvant parfaitement décider d’attendre, et si les sursis encombrent, la révision sera exceptionnelle. L’idée est donc pertinente et il faut suivre le Gouvernement. "

(fin de l’extrait)

à la fin :

« À l’unanimité des 23 suffrages exprimés sur 29 votants, l’ensemble du projet de loi est adopté. »

Pas une seule voix contre, seulement 29 députés présents. Sans commentaires.

Isabelle Debergue a écrit le 27 décembre :

http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=17009

Réforme de la Justice : toujours impossible, ou pis encore ? Après Outreau et le rapport de la Commission d’enquête parlementaire, les citoyens attendaient une réforme de la Justice française recueillant leurs plaintes et leurs inquiétudes. Malheureusement, c’est loin d’être l’impression qui ressort de la lecture des débats parlementaires et des deux textes adoptés en première lecture (635 et 639) par l’Assemblée nationale. Même l’idée « minimale » d’instaurer une séparation des carrières entre le siège et le Parquet, avancée par la Commission d’enquête, a péri dans un débat parlementaire peu couvert par les médias et auquel les « petits justiciables » ont cessé d’être appelés. Exprimant une claire insatisfaction, Georges Fenech a annoncé, avec des acquittés d’Outreau et l’un de leurs avocats, la création d’un « Observatoire d’Outreau » afin de « promouvoir une réforme profonde de la Justice ». Des auteurs de cette initiative qualifient la « réforme » en cours de « réformette insignifiante ». Mais est-ce vraiment le cas, la réalité ne serait-elle pas pire ? Car, à la lecture des textes adoptés, on peut penser à une véritable contre-réforme cachée.

On nous avait dit après Outreau quelque chose comme : « Soyez rassurés, on a compris, maintenant on va réformer la Justice ». Ensuite, on a commencé à nous « faire comprendre » que ce n’était pas aussi simple. Plus récemment, il est apparu qu’il n’y avait pas grand-chose à attendre des travaux législatifs en cours. Mais est-ce tout ? Le message rituel : « Laissons tomber pour cette fois, il ne va rien se passer avant les élections... » décrit-il avec justesse la réalité ? On peut sérieusement en douter. C’est un classique de la politique française, que dans ces situations d’apparence anodine et de « fin de règne », des choses importantes et graves surviennent dans les domaines législatif et réglementaire, mine de rien et à l’insu de l’opinion publique. Tel risque d’être le cas avec la prétendue « réformette » en cours de la Justice. Discrètement, et sans réel rapport avec les conséquences à tirer de l’affaire d’Outreau, le gouvernement a profité de l’occasion pour faire adopter des dispositions sur l’action pénale aux conséquences très importantes. Ce n’est pas en soi une surprise, vu la tendance des positions exprimées par le ministère de la Justice depuis juin dernier. Mais il appartient aux Français d’en prendre conscience, de ne pas se laisser prendre au dépourvu et de s’exprimer en conséquence.

(...)

Un débat, en somme, qui tranche « par la bande » des questions très importantes, mais dont les Français ont été tenus à l’écart. Quel journaliste en a parlé, qui a osé susciter une véritable discussion publique ? Vingt-neuf votants dans l’hémicycle, le 19 décembre, tard le soir, pour une loi aussi importante que celle sur l’équilibre de la procédure pénale. L’Assemblée nationale compte 577 députés. C’était donc un vote acquis d’avance, ou je n’ai rien compris...

(...)


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