C’est formidable l’omniscience. Ainsi on peut habiter à Châtenay-Malabry, évoluer dans les milieux feutrés de la finance mais tout de même arriver à donner des leçons sur la rue, les quartiers dits populaires et leur psychologie. J’admire, moi je n’y arriverais pas.
Ca me permet au moins d’apprendre à nouveau, si besoin en était, que toute la crise sociale des quartiers défavorisés ne vient que du mal-être de jeunes simplement désireux de réussite sociale et humiliés en permanence par le système.
Ainsi, les seules motivations des violences seraient l’exclusion et l’absence de moyens. L’Etat faillit à sa mission quand il ne parvient pas à convaincre de jeunes délinquants que bosser dur, faire des études et rentrer dans « le système » pour gagner 1500€ par mois est tout de même bien plus intéressant et valorisant que la perspective de rouler en BMW à 25 ans, armé, fringué grande marque des pieds à la tête, avec la sensation d’être un dur respecté socialement et un pouvoir d’achat cinq fois supérieur grâce à ce qu’on appelle pudiquement l’économie souterraine. Mais que font nos élus, je vous le demande.
C’est également bien plus excitant, comme chacun sait, d’être un honnête citoyen intégré dans le moule, celui qui salue les commerçants du coin, paye ses impôts et s’arrête pour discuter avec la voisine, que de devenir le caïd craint d’un gang qui se bat pour la domination territoriale contre ses ennemis, qu’il s’agisse de flics ou d’autres gangs.
Alors si ces jeunes ne se précipitent pas dans la voie d’une intégration sociale solide, c’est qu’ils n’ont pas eu la moindre chance de le faire, n’est-ce pas ? On va donc le faire à leur place. Penser pour eux, les rééduquer. C’est le seul moyen, bien entendu. On va les aider et leur apprendre à devenir d’honnêtes citoyens, car ils n’ont pas eu la chance de pouvoir le devenir par eux-mêmes. On ne leur a pas inculqué l’intelligence sociale nécessaire, c’est ça le problème. Réglons-le grâce au dialogue et à l’argent de l’Etat.
Bon, trêve de plaisanterie. Un de ces jours il serait peut-être temps de cesser de prendre ces jeunes pour des cons. Et surtout, de prendre les éducateurs dans ces quartiers pour des cons. Qu’est-ce que vous croyez ? Qu’ils ne savent pas, au travers de leur mission sociale, montrer les moyens de « s’en sortir » à de jeunes adolescents sceptiques sur leurs chances de réussite ? Quel pourcentage de délinquants l’est réellement devenu parce que personne ne leur a jamais proposé ni montré d’autre alternative ? Allons, un peu d’honnêteté.
Songez aux modèles qui sont proposés. Pour un esprit en formation, confronté à une vie pas évidente dans des quartiers défavorisés, qu’est-ce qui va être le plus attirant ? La voie lente et difficile d’une intégration sociale réussie ? Trimer, faire de longues études, avec sérieux, dans un milieu qui ne s’y prête pas, avec des perspectives limitées à la sortie, parce que le problème de l’accès à l’emploi chez les jeunes est loin de se limiter à ceux des banlieues ?
Ou plutôt la perspective du pouvoir, à quelque échelle qu’il fût, de l’argent facile grâce à des « business » huilés de longue date et souvent hautement lucratifs ? Celle d’être un combattant, celui qui lutte contre « le système » qui l’opprime, avec détermination et fierté de ses appartenances ? Celle de susciter le respect, parce que c’est le caïd qui inspire la crainte et non le brave voisin du 4ème ?
Posez-vous un peu la question. Les mecs des banlieues, eux, connaissent parfaitement le dilemme. Il est plus facile de demander aux autres d’agir que d’agir soi-même. L’Etat peut agir sur la formation, améliorer les conditions de vie et les perspectives professionnelles de ces jeunes. Il peut faire de la prévention et de la communication, bien que l’impact que ça a quand il est de base perçu comme l’ennemi soit connu. Franchement, vous croyez sincèrement que c’est en offrant aux adolescents des banlieues des perspectives sociales plus ostensiblement intéressantes qu’actuellement, qu’ils vont se convaincre que les petits trafics juteux qui s’offrent à eux ne sont pas une alternative et qu’il est plus honorable de travailler dur pour s’en sortir ?
Pourtant, beaucoup le font déjà, notamment par désir réel d’intégration. Ils luttent contre la tentation de la délinquance, font de gros efforts pour s’en sortir. Mais tant que des économies aussi lucratives existeront dans les banlieues, il y aura toujours une part de la population pour les exploiter. Et cette population-là n’entend pas que l’autorité étatique, sous quelque forme que ce soit, prévention ou répression, vienne perturber leurs petites affaires. Le chaos et l’insécurité en protègent trop bien le fonctionnement. Ca c’est la réalité des faits.
Pour qui veut bien voir les choses en face, tant que les problèmes liés à l’existence d’une économie souterraine forte ne seront pas réglés, la crise sociale continuera en banlieue. Et lesdits problèmes sont loin de ne concerner que les délinquants. Beaucoup de familles dans les cités vivent en partie des revenus de cette économie souterraine. Comment en vouloir à la mère de famille qui élève ses trois gosses avec un SMIC et demi de fermer les yeux sur quelques centaines d’euros en plus, à l’origine douteuse mais qui donnent un bol d’air tellement bienvenu aux finances de la maison ?
Cette situation rend le démantèlement des réseaux extrêmement délicat. Par crainte ou par intérêt de ceux qui savent, les informations nécessaires sont particulièrement difficiles à obtenir. Et le chaos dans les cités protègent le trafic d’une intervention policière trop musclée.
Alors on nous dit « zéro répression, prévention uniquement, dialogue, éducation ! » Bien sûr ! C’est évident que la solution est là. En tout cas pour nos sociologues bien-pensants carrés dans leur canapé, elle y est, aucun souci.
Mais ce n’est pas en expliquant gentiment à des dealers que le trafic de drogue c’est mal qu’on le fait cesser. Que les jeunes ne voient plus l’argent facile comme une alternative crédible est un préalable absolu au règlement de la situation. Ce préalable-là ne peut se créer qu’en faisant disparaître la source de l’argent facile.
Question à plusieurs milliards d’euros : comment fait-on pour la faire disparaître, sachant que toute forme de répression, jusqu’à une simple intervention policière, sera présentée comme du fascisme (grâce à la progression d’un insidieux mode de pensée pseudo-libertaire qui au final est le meilleur rempart de ces activités), et sachant que l’information sur le trafic ne circule pas ou peu, les rares personnes renseignées et disposées à fournir des indications à cet effet ayant déjà assez à faire pour préserver leur propre sécurité. Je vous laisse juge de la solution. A vos stylos, vous avez quatre heures.
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