Bonjour, et merci pour votre long et interessant commentaire, j’essaie d’y repondre point par point.
Tout d’abord, vous avez raison, John Locke est le premier a avoir formule explicitement le liberalisme, je cite Milton pour montrer que le liberalisme est ne dans un contexte historique particulier (le liberalisme comme defense de la liberte d’expression pdt la guerre civile). Je m’appuie pour cela sur le livre de Pierre Manent sur le « liberalisme », qui retrace l’histoire du liberalisme depuis justement Milton.
Sur ce que vous dites de la philosophie de Locke, je suis tout a fait d’accord. Je ne savais pas que Locke etait d’abord theologien, et cela me rappelle qu’Adam Smith etait lui-meme professeur de morale etc.
Sur le liberalisme economique, Mandeville a bien sur precede Smith, mais c’est Smith qui a « theorise » l’economie et en a fait un sujet de recherche et d’etude. Le liberalisme economique est tout a fait compatible avec le liberalisme politique, il en decoule meme comme vous le rappelez, par la notion de contrat. Ou plus precisement non, pour Locke, l’important est d’abord la propriete et le fait de pouvoir en jouir librement, et non pas l’echange, qui vient ensuite, quand notre propriete ne peut nous fournir tout ce dont nous avons besoin. Il me semble qu’entre le liberalisme politique qui pense surtout la « propriete » et le liberalisme economique qui pense plutot « l’echange », il y a une difference, qui merite de s’y arreter. Je ne dis pas que c’est un hasard tombe du ciel, mais que le passage de l’un a l’autre, comme le fait justement remarquer P.Manent, n’etait pas donne a priori, mais etait tout a fait possible. Le plus etonnant est surtout que par la suite, l’economie a pris le pas sur le politique (pas seulement via Hayek que je cite, mais d’une facon plus generale).
Mais le point le plus interessant que vous soulevez est celui de la mutualisation des risques. Comme vous le rappelez, ce n’est pas nouveau. J’ai meme vu que les marchants romains, ou pheniciens, pratiquaient deja la mutualisation des risques pour leurs voyages en bateau, selon un principe d’actionnariat bien connu. Donc rien de nouveau, et c’est un phenomene pragmatique evident. C’est la facon dont ce phenomene est traite par le liberalisme qui est nouveau. Car, fondamentalement, mutualiser c’est se grouper, donc depasser l’individualisme. Je ne connais pas assez Locke pour en debattre davantage, mais je connais mieux ce qu’en dit Kant.
En se groupant, les hommes perdent une partie de leur liberte. Mais cette perte ne peut etre legitime que si elle est volontairement, et librement, choisie. La mutualisation n’est legitime que librement consentie. Mais il reste tout de meme le probleme qu’on ne peut s’en degager librement, on y est contraint dans le long terme, et seule la liberte initiale donne sa legitimite a la perte de liberte qui en decoule. C’est un point delicat du liberalisme. Peut-etre pourrait-on le rapprocher de la vision politique de l’Etat : pour le liberalisme, l’Etat doit assurer la liberte des citoyens, mais en retour, les citoyens doivent etre libres de choisir cette securite : c’est le fondement du parlementarisme : l’Etat n’est legitime que s’il protege la liberte de facon libre. Peut-etre que le fait que les Etats-Unis n’aient pas de systeme national de sante, privilegiant au contraire les mutualisations privees (un groupement d’individus in l’Etat), vient de la, je n’en sais rien, et tout cela est sans doute trop simple.
Quand a assimilier droite-liberalisme et gauche-socialisme ou marxisme, je me garderais d’une telle simplification ! d’abord, la gauche americaine est liberale quand la gauche francaise est socialiste, donc l’egalite precedente est plutot louche. Il s’agit plutot de distinguer deux philosophies qui s’opposent et se nourrissent – meme si l’une semble nee apres l’autre. Disons que l’une tourne autour de l’individu et l’autre autour de la communaute. Le marxisme, le socialisme, la philosophie de Rousseau, et beaucoup d’autres choses, appartiennent plutot a la 2e categorie, voila ce que je voulais dire, sans en dire plus non plus.
Il est ensuite evident qu’au pouvoir ces differences ne sont pas aussi tranchees, ne serait-ce que parce qu’un pays n’est pas soit liberal soit socialiste. Mais je pense tout de meme que la philosophie dominante modele tout de meme la facon de voir les problemes. Le liberalisme, ou le socialisme il y a longtemps, sont plus des grilles de lecture du monde que des guides de politique pratique.
Je serais tres heureux de continuer cette discussion sur mon blog : http://endirectdelacrise.blog.lemonde.fr/
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