• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile


En réponse à :


cousin 28 mai 2009 07:00

Comment on a réveillé Bolkestein : le document qui accuse mardi 26 mai 2009

Le 16 février 2006 à Strasbourg, avec les voix des eurodéputés PSE, PPE (dont 14 UMP) et ALDE (dont Modem), Bolkestein renaissait de ses cendres à l’initiative du Commissaire Mac Creevy : la « directive Services révisée » n°2006/123/CE. La technique bruxelloise de contournement est devenue un grand classique : après la Constitution européenne recyclée par amendements dans le traité de Lisbonne, la directive Bolkestein a bien été recyclée par morceaux dans la directive Mac Creevy et le Règlement Frattini. 70% de nos emplois étant des emplois de services, plus de 4.000 métiers sont directement concernés, malgré les apparentes dérogations introduites dans le nouveau texte.

I - CE QUE DIT LA DIRECTIVE MAC CREEVY

Les mots « Principe du pays d’origine » ont été seulement remplacés par « Libre prestation de Services » dans la nouvelle version et un amendement affirmant l’obligation d’appliquer la loi « du pays de destination » était même repoussé par 527 voix (dont UMP, Modem et Verts), levant toute ambiguïté sur l’intention de leurs auteurs.

Enfin, quelques « dérogations » semblaient sauver certains secteurs, comme la santé ou les services sociaux, mais la Commission s’est empressée de rappeler que néanmoins ils « continueront de relever des règles et principes de la concurrence », lesquels priment évidemment sur le droit national (Communication du 16 avril 2006 ).

Au final, cette directive Mac Creevy, déclinaison des accords de l’OMC libéralisant les services au niveau mondial (1), ressemble fort à cette directive Bolkestein qui avait suscité l’émotion au Printemps 2005 :

1) c’est la loi du pays d’origine qui s’appliquera a priori : en témoigne le guide d’application publié fin 2007 par les services de la Commission de Bruxelles.

2) le droit du travail est ouvertement subordonné au droit européen, donc au droit du marché

3) doivent être supprimées les règles nationales qui permettent aux Etats de connaître et de contrôler les prestataires étrangers : ni déclaration, ni autorisation préalable d’activité, ni adresse, ni établissement ou représentant, ni exigence relative au matériel.

4) les pleins-pouvoirs sont donnés à la Cour de Luxembourg pour l’interpréter, sachant que depuis 2007, sa jurisprudence en faveur du pays d’origine s’accélère : elle permet déjà de sous-payer des salariés d’entreprises de pays de l’Est travaillant en Suède ou en Allemagne, au nom précisément de la « Libre prestation de services » (Affaires Laval et Rüffert).

5) plus de 4000 métiers sont directement menacés : maçons, plombiers, coiffeurs, agents commerciaux, charpentiers, électriciens, agents immobiliers, guides touristiques, conseils en management, agents de voyage, loueur de voiture, agents d’entretien, soutien aux personnes âgées, parcs d’attraction, services aux entreprises, services aux consommateurs, publicité, etc. (exemples pour la plupart cités par la directive elle-même, Considérant n°33).

II - CE QU’EST DEVENU LE « PRINCIPE DU PAYS D’ORIGINE »

1) La loi du pays d’accueil n’a pas à être appliquée a priori, selon les services de la Commission

Le « Manuel relatif à la mise en œuvre de la directive Services ; » (http://www.observatoiredeleurope.com/attachment/143138/), publié fin 2007 par la Direction Générale du Marché intérieur de la Commission européenne, est très explicite : Page 39 - 7.1.2. Portée et effet de la clause de libre prestation de services

« L’article 16 exige que les États membres s’abstiennent d’imposer leurs propres exigences aux prestataires d’autres États membres (…) En conséquence, les prestataires sauront qu’ils ne seront pas soumis à la législation de l’État membre où le service est fourni » [2]

Si le prestataire n’est pas soumis à la loi du pays d’accueil, c’est donc qu’il peut rester soumis à la loi du pays où il a son siège : c’est le principe du pays d’origine.

2) Exception : la loi du pays d’accueil en cas de « raison impérieuse » appréciée par… le juge européen

Quatre « raisons impérieuses d’intérêt général » justifient qu’un Etat d’accueil impose l’application de sa loi : l’ordre public, la santé publique, la sécurité publique, la protection de l’environnement.

En France, le droit et les conditions de travail sont considérées comme d’ordre public. Plus précisément, on ne peut déroger au droit du travail que dans un sens plus favorable au salarié : c’est « l’ordre public social ». Les salariés français sont-ils protégés pour autant ? Avec la primauté du droit européen et les pouvoirs donnés à la Cour de justice, cet « ordre public social » qui protégeait les salariés français devient une digue de papier :

parce que cette directive Mac Creevy affirme rien de moins que la supériorité du droit européen (donc du droit de la concurrence) sur les législations du travail, alors même que celles-ci étaient jusqu’ici du ressort de chaque Etat !

« Les États membres appliquent le droit du travail (relations individuelles et collectives) dans le respect du droit communautaire". (Considérant n°14 et article 1er §6)

parce que le traité de Lisbonne ; consacre la supériorité du droit européen sur les Constitutions nationales et affirme (futur article 151) que c’est « le fonctionnement du marché intérieur qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux. »

parce que c’est la Cour de justice européenne qui jugera si un Etat avait une « raison légitime » d’empêcher l’application de la loi du pays d’origine.

Page 35 : « La notion de raison impérieuse d’intérêt général (…) fait référence aux raisons légitimes (…) reconnues comme telles par la jurisprudence de la Cour de justice. (…)Des raisons économiques telles que la protection des concurrents ne constituent pas, selon la jurisprudence de la Cour de justice, une raison impérieuse d’intérêt général et ne pourront dès lors justifier l’imposition d’une exigence restrictive. »

3) La Cour de Luxembourg applique déjà largement la loi du pays d’origine

La directive 96/71 sur le détachement de travailleurs dans le cadre d’une prestation de services intracommunautaire laisse place à de nombreuses pratiques de dumping, comme en témoigne la « jurisprudence Bolkestein » des dernières années :

Le passage sous pavillon estonien d’un ferry finlandais et de son équipage, pour pouvoir le payer au salaire estonien. La Cour a donné raison à l’entreprise Viking Line au nom de « la liberté d’établissement » (Arrêt Viking, 11 décembre 2007 )

35 travailleurs lettons d’une entreprise lettone construisant une école en Suède avec des salaires lettons 40% moins chers que ceux de la Convention collective suédoise : la Cour a préféré le dumping social au nom de « la libre prestation de service » plutôt que d’imposer le droit du travail suédois. (célèbre Arrêt Laval, 18 décembre 2007 ) V. Pierre Avril, L’Europe légitime le dumping social, Le Figaro, 19 décembre 2007 )

53 maçons polonais détachés d’une entreprise sous-traitante travaillant en Allemagne sur un chantier de construction publique et payés au salaire polonais 46% du salaire minimum : la Cour a jugé que payer des salaires conformes aux conventions collectives constitue un obstacle à l’accès au marché pour les sociétés d’autres Etats membres. (Arrêt Rüffert, 3 avril 2008 )

Face au juge européen, combien de temps le juge français pourra-t-il encore résister aux « salariés Bolkestein » et autres « faux travailleurs indépendants » ? Voici quelques autres exemples lus dans la presse :

Des éleveurs et abattoirs allemands ont embauché des milliers de porchers et bouchers polonais au salaire polonais pour travailler dans des élevages et ateliers de découpe. L’Allemagne peut ainsi exporter vers la France en cassant les prix. (L’Humanité, 14 février 2009)

32 électriciens slovaques en sous-traitance dans une entreprise de robotique près de Rouen et payés deux fois moins chers que les salariés français. (Paris Normandie, 28 juin 2008)

Une entreprise de plomberie polonaise (avec des salariés payés au tarif polonais) sous-traitante d’une entreprise vosgienne pour l’extension immobilière d’une station de ski. (L’Est Républicain, 2 octobre 2008)

III - LES « REGLEMENTS FRATTINI » CONSACRENT AUSSI LE PRINCIPE DU PAYS D’ORIGINE

1) Dans les contrats de prestation de service conclus à partir du 17 décembre 2009

Un règlement du 17 juin 2008 ; modifie la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (« Rome I ») pour les contrats de service qui seront conclus à partir du 17 décembre 2009.

L’article 3 dispose que « Le contrat est régi par la loi choisie par les parties ». A défaut de choix, l’article 4.1.b pose le principe : « le contrat de prestation de services est régi par la loi du pays dans lequel le prestataire de services a sa résidence habituelle », autrement dit la loi du pays d’établissement ou pays d’origine du prestataire.

Il soumet donc les contrats internationaux à la loi du pays dans lequel est établi le fournisseur des biens ou des services, à moins que les parties (mais l’une a souvent l’ascendant sur l’autre) n’aient fait le choix d’une loi différente. « Ce texte constitue la dernière en date, et la plus radicale, des offensives menées par la Commission en faveur de la loi du pays d’origine » selon quarante éminents professeurs de droit dans une lettre ouverte publiée le 13 décembre 2006. « Il va beaucoup plus loin en ce sens que la célèbre « proposition de directive Bolkestein » (...) alors que celle-ci concernait exclusivement les services, le Règlement projeté affecte tous les secteurs d’activité. » (voir cette lettre ouverte sous notre article)

Toute règle nationale impérative en matière contractuelle pourra être contestée devant la Cour de justice européenne, qui sous prétexte de distorsion de concurrence et parce que la loi française est généralement plus protectrice de la partie faible, alignera toujours par le bas[3].

Après le plombier polonais, le plombier indien ?

Le Règlement s’appliquera aux contrats de travail (article 8 du Règlement). Une entreprise étrangère et un salarié exerçant ses talents en France pourraient donc convenir « en toute liberté » que la loi applicable à leur rapport serait la loi d’un autre Etat-membre, ou de n’importe quelle loi disponible sur la planète (principe d’universalité, article 2), pourquoi pas indienne, se demande Gilles Karpman, Silence, on contourne !

Avec le bouleversement de la hiérarchie des normes du fait de la primauté du droit communautaire sur le droit national consacrée par le traité de Lisbonne, la soumission du droit du travail au droit européen (directive Mac Creevy) et l’obsession de la tabula rasa qui est celle de la jurisprudence européenne, les dispositions impératives de la loi nationale apparaissent comme des garde-fous de plus en plus fragiles. On voit mal comment le salarié exerçant en France ne serait pas, à terme, privé de la « protection » que lui assurent les dispositions pourtant d’ordre public de la loi française.

2) En matière de responsabilité civile

Un second Règlement européen, jumeau du précédent, dit « Rome II », du 11 juillet 2007, pose les mêmes règles pour la responsabilité civile. Le principe est le suivant : les parties peuvent prévoir par convention, avant la survenance d’un dommage, la loi applicable à leurs obligations extracontractuelles, c’est à dire à leur responsabilité civile, réservant la loi du lieu de réalisation du dommage à des circonstances exceptionnelles.

Ainsi, une société puissante peut installer son siège social (ou un de ses établissements) dans un pays où la responsabilité civile l’expose peu (elle y délocalisera sa production lorsqu’elle en aura conscience ...) ; elle obtiendra de ses cocontractants que les relations de responsabilité civile qu’elle pourrait avoir avec eux seront soumises à cette loi imposée et moins protectrice.

***

L’Union européenne actuelle organise une concurrence impossible pour nos commerçants, artisans, entreprises de service. Le principe du pays d’origine nous ramène aux temps barbares où la loi était attachée à la personne plutôt qu’au lieu, une brèche dans les principes constitutionnels de territorialité de la loi et d’ordre public social. La Commission et la Cour, avec la complicité du Parlement européen, ont donc imposé en toute matière cette loi du pays d’origine au nom d’une concurrence mondiale manifestement faussée. C’est une conception de la concurrence par le bas prix et uniquement par cela.

Or, l’Europe, qui est déjà l’économie la moins protégée du monde, ne peut pas concurrencer les autres ensembles tels la Chine ou le Brésil sur le terrain du prix. Sa seule carte ? La qualité et la technologie : elle sait faire des Airbus et non pas des teeshirts à bas prix. Il lui faut pour cela une concurrence par application de la loi du pays d’accomplissement de la prestation. Lorsqu’on organise une compétition sportive, chacun concourt avec les règles du lieu du stade et non pas avec celles de chez lui ; quand on joue au foot à Rome, tout le monde s’expose à la chaleur, il n’y a pas d’équipe qui vienne jouer avec son climatiseur…

Nicolas VIGNON Chercheur en droit social communautaire pour L’Observatoire de l’Europe http://www.observatoiredeleurope.com

[1] L’Accord général sur le commerce des services (AGCS), annexé à l’Accord de Marrakech instituant l’OMC en 1994, organise la libéralisation des échanges de services.

[2] Source : site internet de la Commission européenne (http://ec.europa.eu/internal_market/services/services-dir/index_fr.htm)

[3] Par exemple, la loi française fixe à dix ans la garantie que les architectes et entrepreneurs doivent contre les malfaçons affectant les bâtiments qu’ils édifient alors que nombre des autres droits européens retiennent une durée de garantie plus courte. Mais si les législateurs étrangers estiment qu’une garantie moins étendue est suffisante, la Cour jugera que « l’exigence du Code civil français est disproportionnée par rapport à son objectif ». C’est son analyse habituelle, qui sera tout aussi bien appliquée aux règles françaises qui protègent les auteurs dans les contrats d’édition ou les preneurs dans les baux ruraux ou commerciaux, qui fixent impérativement le taux maximal de l’intérêt dans les prêts d’argent, les obligations des assureurs dans leurs rapports avec leurs agents, des vendeurs envers leurs représentants et distributeurs ou de ceux-ci avec leurs fournisseurs, etc. …

De : NicolasVignon mardi 26 mai 2009


Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON


Palmarès