Partons du patron qui bosse beaucoup.
Il y a essentiellement deux cas de figures possibles.
Premier cas : Le patron qui bosse beaucoup en étant seul dans une entreprise qui n’a pas la vocation d’employer des tiers.
Je n’y vois rien à redire. Je ne vois jamais rien à redire à ceux qui mènent une croisade personnelle, sans jamais chercher à convaincre qui que ce soit de leur vision, sans jamais chercher à entraîner qui que ce soit dans leur trip.
Second cas : le patron qui bosse beaucoup (ou s’affiche comme tel) et qui emploie des tiers. En général, celui-là a un discours travailliste (au sens « Il faut bosser dur »). Même quand il est taiseux, ce patron exprime le travaillisme par son activité, face à des tiers qui dépendent de son autorité.
Quelle est la stratégie du patron travailliste qui emploie des tiers ? J’ai honte de dire un truc aussi trivial. Chaque fois qu’un tiers bosse pour son entreprise, ça lui rapporte plus confortablement que si c’était lui-même qui avait effectué ce travail. Si un ouvrier bosse deux fois plus que la norme, ça lui rapporte deux fois voire trois fois plus. Il va donc de soi que tout patron qui emploie des tiers a intérêt à tenir un discours travailliste.
Bien des employés peuvent débarquer dans le monde du travail en étant déjà acquis au travaillisme, par leurs parents souvent. Pour convaincre tout à fait ses employés, le patron a tout intérêt à afficher son travaillisme en travaillant dur (à ne jouer au golf qu’en cachette de ses employés)
Bien sûr, la réalité des psychologies est complexe et il faut au moins ajouter que pour un patron plombier travaillant dur et dirigeant 3 employés, il y a dans sa tête les deux visions superposées. L’une allant à considérer que même s’il était seul, il bosserait dur, l’autre allant à considérer qu’il a tout à gagner à entraîner ses salariés dans le travaillisme.
En aucun cas un patron ne se préoccupe du bien-être de tous.
A la rigueur, s’il est dans un contexte général porteur du paternalisme, il peut avoir un souci sincère pour son personnel épuisé, asséché, exangue (Cf. Cognac & Jay). Mais le paternalisme soutient d’abord la paternité donc le souci de ses propres enfants. Un parternaliste va donc d’abord gaver ses propres enfants avant de soigner ses ouvriers épuisés. Il réussit à convaincre ses salariés de s’user pour lui en contrepartie d’une meilleure protection quand ils seront usés. Ca conduit le salarié à s’user volontairement pour le patron à seule fin d’être protégé du pire. C’est le dévouement du valet. « Plus je me donne, plus il tiendra à moi et moins il m’abandonnera quand je serai usé de l’avoir servi ».
Or, depuis un siècle, on est progressivement sorti du paternalisme. Ce n’est plus tel ou tel patron-père qui va protéger le minimum vital des salariés, c’est la collectivité globale.
Un patron d’aujourd’hui, n’a donc même plus à essayer de faire mieux qu’un autre patron en termes de protection ou compensation ultime. Un patron d’aujourd’hui envoie ses usés vers la Société. Il ne lui reste plus qu’à dire à ses salariés, « Bossez dur et vous serez protégés par la Société ».
Cette possibilité de botter en touche, d’envoyer les éclopés vers la société, change complètement la donne.
Alors que du temps du paternalisme, il fallait tout de même que le patron-père investisse dans des logements, des écoles et des dispensaires, très visibles aux yeux de tous (d’où une concurrence humaniste-de-valetaille entre patrons-pères) le patron d’aujourd’hui n’a plus à contribuer à cet humanisme-de-valetaille que par le biais de prélèvements sociaux.
Comme ce qu’il reste au bout du tuyau de ce prélèvement est mis au pot commun, comme l’argent ainsi mélangé n’a plus d’odeur personnalisée, il n’y a plus concurrence entre les patrons pour mieux gâter leurs usés. Et comme il n’y a plus cette concurrence entre eux, ils basculent au contraire dans le cynisme total.
On a donc cru bien faire en démantelant le paternalisme de type Menier (chocolat) ; Steinway (piano) Michelin ou même Jean-paul Guerlain (dans une bien moindre mesure) et en obligeant à la sécurité sociale mais en dépersonnalisant les ressorts humanistes minimum, on a rendu le monde du travail dépersonnalisé et incroyablement dur.
Plus personne n’est tenu d’exprimer individuellement de l’humanité.
Imaginons qu’on en soit resté au système Menier (grand complexe usine+ ville à Noisiel Seine et Marne) et que chaque entreprise rivalise à la fois en matière de produit à vendre mais aussi d’architecture d’usine et de ville afférente. Si on part de ce que c’était déjà chouette il y a un siècle (Je vous invite à observer les usines cathédrales-théâtre de 1800, aussi bien en France qu’aux EU et aussi à Lodj en Pologne) on se dit qu’aujourd’hui ce serait magnifique. (Beaucoup des maisons d’ouvriers de 1920 sont aujourd’hui très recherchées. Quand aux lofts dans les usines de 1950, n’en parlons pas !)
Hélas, on a jeté le bébé avec l’eau du bain et la ville paternaliste n’existe plus.
De nos jours, en dehors des sièges sociaux où il y a parfois des efforts en matière d’esthétique, le reste de l’architecture du monde du travail est devenu affligeant. Et comme le commerce de détail est une des sortes d’entreprises, comme c’est devenu aussi dépersonnalité, d’un bout à l’autre de notre cadre de vie, on n’a plus que des hangars.
Ca valait ce que ça valait, mais autrefois, les usines étaient éclairées de sheds où l’on pouvait tout de même voir le ciel, ressentir la climatologie. Aujourd’hui on bosse sous fluos offrant la même lumière toute l’année. Il y a la même lumière dans l’usine de Berck que dans les bureaux de Vitrolles. Et chez Carouf, pareil.
L’usine L’Oréal d’Aulnay sous Bois Nord et considérée comme prestigieuse. Je n’y vois aucun mm² d’élément décoratif. Le Technocentre de Renault à Guyancourt est considéré comme prestigieux. Je n’y vois pas le moindre élément décoratif non plus.
Citons alors Challenger de Bouygues à Guyancourt et là oui, il y a des efforts de faits dans la décoration, dans la lumière naturelle. Bon ça reste circonscrit au lieu de travail mais c’est pas mal. Dommage que ce ne soit valable que pour le siège.
Bien entendu, la très belle usine Menier, les belles filatures du Nord étaient aussi des monuments glorifiant le travail et la vision du patron. Mais après tout, pourquoi pas si on y trouve sur tous les murs la preuve formelle qu’il faut aussi du gratuit, du beau, de l’éthique, de l’équilibre, de l’esthétique, du plaisir, toutes choses qu’apportaient les cathédrales religieuses.
Il convient de signaler que dans les années 70, il y avait eu quelques entreprises, du genre Jacky Setton Pionneer mais aussi Richard Branson à ses débuts, qui exprimaient le souci de leur patron de créer un univers vivable et esthète. Il y a certainement encore quelques cas dans le genre ici ou là mais globalement, ce qui l’emporte très largement c’est le cynisme total du patronat auquel répond le cynisme de l’employé.
On a critiqué le paternalisme et on s’est planté.
Mais loin de revenir en arrière, on enfonce le clou en raillant tout ce qui exprime la confiance et la bienveillance. On raille le bisounours. On s’enfonce dans le plus dur encore.
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