110 000 Galaxies
110 000 Galaxies qui vous donnent à penser...
Il n’y a pas de Monde en soi, ni même d’objet en soi. Même le concept d’Univers, de Grand Tout, comme totalité physique, relève d’une sorte d’aveuglement des habitudes de la conscience. Les concepts astrophysiques contemporains peuvent certes être mathématiquement modélisés (c’est même là leur nature profonde) mais ce qu’ils comprennent du ’’temps’’ et de l’’espace’’ est sans commune mesure avec notre perception spatio-temporelle.
Notre oeil embrassait à l’instant 110 000 galaxies (110 000 points sur l’image) dispersées sur une distance de 2 milliards d’année-lumière à partir d’un référentiel zéro, au centre de l’image, référentiel arbitraire mais qui est, de fait, le nôtre : la place de la Voie Lactée, la Milky Way, bref notre petite galaxie à nous, dont la structure, au regard des différentes espèces existantes, est de surcroît très banale. Chaque galaxie est constituée de plusieurs centaines de milliards d’étoiles, la gravitation assurant la cohérence de l’ensemble. A cette échelle, la Main de Dieu n’est rien de plus qu’un événement survenu à une de ces étoiles. Elle est donc définitivement naine, cette Main de Dieu. Notre Soleil, un de ces 4, aura la chance d’obtenir un si frappant effet esthétique, perçu depuis le référentiel d’une autre étoile.
Il y a une remarque de Mao, en son temps : « Les quelques bombes atomiques dont disposent les Etats-Unis ne sauraient exterminer les Chinois. A supposer même qu’elles aient une puissance telle qu’une fois lancées sur la Chine, elles transperceraient le globe terrestre ou le feraient sauter, cela pourrait être un grand événement pour le système solaire, mais compterait peu pour l’ensemble de l’univers. » On ne s’étonnera pas, entre vision cosmique du communisme et cynisme du phénomène humain, que Mao n’ait pas lésiné sur les chiffres, provoquant la famine d’environ 38 millions de personnes pour exporter de la nourriture en Russie et acheter... des usines nucléaires..., tout en commentant placidement : « Il se pourrait que la moitié de la Chine doive mourir. »
Dans le même genre, un historien un peu particulier pourrait hausser des épaules à l’énoncé de la comptabilité macabre d’une guerre, ou d’un génocide. « Vous savez, on en a vu d’autres. D’ailleurs si ces gens n’étaient pas morts à ce moment là, ils seraient de toute façon morts aujourd’hui... »
C’est que l’infini peut ouvrir à l’inhumanité...
Dès que l’Infini théologique cesse d’aveugler la conscience humaine, dès qu’il n’est plus cette Unité absolue du divin où tout se résorbe, s’explique et se repose, ses entrailles, enfin avérées, font dédales du sens. C’est l’effroi et le sentiment de la petitesse sans nom de mon existence consciente.
Kant cherchait bien un équilibre, nommant ’’sublime’’ un sentiment distinct du ’’Beau’’. Le Beau est reposant, apaisant, gracieux, fini. Le sublime, lui, vous prend aux tripes ; il est porteur de cet infini qui humilie la conscience, rappelle à l’homme sa nullité face aux phénomènes naturels démesurés, chaotiques, sur-humains. Mais il est en même temps, pour Kant, ce par quoi nous sommes invités à la compréhension de ce qui nous transcende, et il provoque en nous, entre stupéfaction, admiration et horreur, le désir de dépasser notre petitesse, de surpasser notre insignifiance, à tout prix, de nous élever enfin à ce qui dépasse le monde sensible.
Bien entendu, toute l’astrophysique est sublime...
Il y a cette fameuse conclusion de la Critique de la Raison pratique de Kant : « Deux choses remplissent le coeur d’une admiration et d’une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure que la réflexion s’y attache et s’y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi […] La première vision d’une multitude innombrable de mondes anéantit pour ainsi dire mon importance, en tant que je suis une créature animale, qui doit restituer la matière dont elle fut formée à la planète (à un simple point de l’univers), après avoir été douée de force vitale (on ne sait comment) pendant un court laps de temps. La deuxième vision, au contraire, rehausse ma valeur, comme intelligence, par ma personnalité dans laquelle la loi morale me révèle une vie indépendante de l’animalité, et même de tout le monde sensible. »
On ne peut que préférer cette prose élégante et profonde au cynisme d’un Mao. Malheureusement, le génie de Kant est une manière de sauver les meubles de la Maison Divine... Cette loi morale vide mais rationnelle (Agis comme tout homme doit agir, agis de manière universelle, etc) dont le sujet est conscient, et qui peut nous donner l’espérance d’une vie suprasensible, c’est là, évidemment, ce qu’il reste de religieux chez Kant.
Thème célèbre de la philosophie : la conscience est infime, dans l’ordre matériel, mais glorieuse dans l’ordre spirituel. Chez Pascal, par exemple.
Si bien qu’on doit se demander ce que serait une pensée et une vie humaines qui sans s’évaporer dans le numineux et le religieux, ne tomberaient pas dans le cynisme.
Comment voir l’infini ?
Peut-être convient-il d’abord de sortir de la longue rumination induite par le religieux lui-même. Rumination par laquelle, sans cesse, l’humain se trouve défini par les traits de la finitude, de la mortalité, de la limitation, etc. Ce n’est pas si simple. Le religieux peut être d’atmosphère, d’habitude de pensée, d’inconscient même. Il ne suffit pas de se détourner des crucifix pour que la vision s’estompe parfaitement. Nous restons travaillés par l’histoire d’une civilisation ; et l’effondrement apparent du christianisme n’implique pas que les âmes et les corps ne soient pas encore, en partie, soumis à ces catégories de pensée.
En philosophie, la pensée de Heidegger, qui chercha un évident dépassement du religieux et de la métaphysique en son ensemble, apparaît aux lecteurs contemporains quelque peu judicieux encore portée par de telles habitudes de pensée, malgré le génie puissant qui la caractérise : le sujet est ’’être-pour-la-mort’’, dit-il.
Voir l’infini en face, c’est d’abord comprendre qu’il n’est pas au-delà, mais là. C’est ensuite comprendre l’homme lui-même, en tant que Sujet, comme infini. Les infinités ne rendent pas mon existence misérable ou dérisoire. Car elles ne sont, en définitive, rien d’autre que la notion même d’échelle ou de mondes divers. L’infiniment petit s’égale d’emblée à l’infiniment grand. Il n’y a nul besoin de Dieu, par-delà, ni d’effroi supérieur dans l’immanence des dimensions.
Tout est déjà galaxie, en nous et hors de nous.
Et maintenant, place aux milliards. Une traversée possible, en 3D, cette fois-ci, dans l’image initiale, disponible ici :
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